lundi 22 août 2016

Le jeu dangereux de Lactalis contre les producteurs de lait

Le jeu dangereux de Lactalis contre les producteurs de lait

Gérard Le Puill
Dimanche, 21 Août, 2016
 
AFP
En deux ans, le premier groupe industriel laitier français  a fait baisser de prix du lait qu’il paie aux producteurs de 10 centimes par litre. Des manifestations  de producteurs sont prévues  dès lundi  auprès des laiteries du groupe pour obtenir une hausse alors que la firme  envisage une nouvelle baisse  de la rémunération des éleveurs laitiers.
Des manifestations  de producteurs de  lait sont prévues  à partir de lundi devant le siège de Lactalis à Laval en Mayenne.  Lactalis  est  le plus grand groupe privé  de l’industrie du lait. C’est même le second industriel laitier au niveau mondial  derrière Nestlé  avec 16 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel. Propriété de la famille Besnier , il collecte le lait de 20% des producteurs en France  et est connu des consommateurs via les marques Président pour certains fromages et autres plaquettes de beurre , pour le Roquefort Société , pour les briques de lait et autres produits frais vendus sous la marque Lactel  dans nos grandes surfaces. En juillet 2014  Lactalis versait  à ses fournisseurs un prix moyen de 363€  pour  1.000 litres  de lait collectés à la ferme. En juillet 2016,  Lactalis ne verse plus que 257€ pour la même quantité de lait, soit une baisse d’environ 30% sur chaque litre de lait. C’est 15€ de moins que les autres grands groupes coopératifs ou privés et même 40 à 45€ de moins  que certaines PME qui ont une bonne valorisation du lait. Au prix que paie Lactalis, rares sont les producteurs de lait  à ne pas perdre de l’argent chaque jour. On estime en effet que le prix de revient moyen du litre de lait est de 34 centimes, en France comme en Allemagne. Or Lactalis  va, selon certaines sources, encore baisser le prix du lait à  250€ les 1.000 litres. D’où la colère  des producteurs notamment dans les régions Bretagne et Pays de la Loire.
Ruineuse  pour les producteurs, cette baisse du prix du lait est la conséquence directe d’une politique de dérégulation. Durant la présidence de Nicolas Sarkozy en France, avec Bruno Le Maire au ministère de l’Agriculture,  les pays  membres de l’Union européenne, ont accepté, sur proposition de la Commission, de mettre fin   aux quotas laitiers à partir d’avril 2015. En place depuis 1984, les quotas laitiers  autorisaient un volume annuel de lait à ne pas dépasser  dans chaque pays membre de l’Union.  Cette régulation permettait de faire de sorte que l’offre laitière européenne dépassait rarement la demande   globale de produits transformés, la concurrence entre pays et entreprises  étant néanmoins ouverte au sein de l’Union. Il en résultait un prix du lait plutôt  stable  et convenablement rémunérateur  pour les paysans dans toute l’Union.
Avant même la sortie des quotas, les laiteries de  pays comme l’Allemagne, l’Irlande, la Pologne, les Pays Bas  et quelques autres ont poussé leurs livreurs à augmenter la production  afin de prendre des parts de marché au sein  de l’Union comme dans des pays tiers tels que la Chine et la Russie. Mais la Chine a  réduit ses achats  et la Russie  a répliqué aux sanctions économiques européennes  à propos de l’Ukraine  en mettant l’embargo  sur les exportations de produits agricoles européens  dont le beurre et les fromages. Entre 2014 et 2016,  la production laitière  européenne a augmenté d’environ  4%. Comme pour l’extraction du pétrole,  cette offre légèrement supérieure à la demande s’est traduite par une baisse du prix du lait  de 20 à 30% selon les laiteries  dans la plupart des pays de l’Union  européenne.  Autant dire que l’immense majorité des producteurs européens est aujourd’hui en difficulté. Car le prix  du lait est fixé de façon unilatérale par les transformateurs, les producteurs ayant le choix entre vendre à ce prix où ne pas trouver  preneur pour le produit de la traite des vaches deux fois par jour.
Il faut avoir  ces éléments en tête  pour analyser le communiqué de Lactalis   du 18 août  qui dénonce le « discours irresponsable » de la FNSEA  et de sa Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL) affirmant qu’ « il n’y a qu’en France que le  syndicalisme agricole   refuse la réalité du marché et  s’en prend à une entreprise en particulier, avec un discours irresponsable  que le groupe Lactalis a dénoncé et condamne fermement ».  Dans son communiqué, le premier groupe laitier français concède que cette crise  est « avant tout une crise de surproduction » et ajoute qu’elle paie  le lait un prix « supérieur   à ceux de tous les grands concurrents européens »  avant de fustiger « les déclarations irresponsables  de la FNSEA et de la FNPL».
Il est vrai que le président  de la FNSEA  s’est adressé à Emmanuel Besnier, PDG de Lactalis dans un courrier en date du 4 août dernier. Dans cette lettre au contenu très modéré, Xavier  Beulin  écrit que « la FNSEA et la FNPL, sa   branche laitière, en tant qu’organisations responsables, ont toujours  porté la voix des producteurs laitiers en étant force de proposition (…) C’est ainsi que la FNPL a porté  sa charte laitière des valeurs. Tous les distributeurs ont montré leur bonne volonté en la signant et en respectant leur engagement. Mais votre groupe  a soigneusement    évité d’apparaître comme signataire  de cette charte. Peut-être parce que  cette initiative émanait du syndicalisme », poursuit  le président de la FNSEA en souhaitant être reçu  avec le président de la FNPL par le patron de Lactalis. Car poursuivait Xavier Beulin  « nous devons désormais évoquer les sujets de fond : évidemment, en premier lieu, le niveau de rémunération du prix du lait, mais aussi l’avenir de la filière. Les industriels aussi ont besoin de stabilité  et de visibilité.  Pas uniquement  d’un approvisionnement  au plus bas prix possible qui ne saura être durable pour personne »
Tels étaient le propos du président de la FNSEA   que le PDG de Lactalis  a pris pour un « discours irresponsable » choisissant  de répondre à cet appel au dialogue par un communiqué au lieu de recevoir le premier responsable du syndicat majoritaire  avec Thierry Roquefeuil , le président de la FNPL.. Dès lors, il ne reste plus que l’appel à la mobilisation contre Lactalis à partir de lundi matin pour tenter de sortir de l’impasse. 

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