mercredi 8 juin 2016

« Charter Awards », le palmarès des préfectures hors la loi

« Charter Awards », le palmarès des préfectures hors la loi

eugenie barbezat
Mercredi, 8 Juin, 2016
Humanite.fr

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Photos : Julien Jaulin / Hans Lucas
Mardi après-midi à la maison de Métallos, à Paris la Cimade et ses partenaires Emmaüs, Médecin du Monde, le Gisti et le RESF avaient convié la presse à une cérémonie parodique qui mettait en scène avec un humour féroce les traitements brutaux, inhumains et surtout illégaux dont sont victimes les personnes étrangères (ou supposées telles), de la part de l’Etat français.
Environ deux cent personnes avaient pris place dans la salle d’exposition de la Maison des Métallos à Paris. Le temps d’une après midi, l’ancien siège de l’Union Fraternelle des Métallurgistes CGT dévolue aux progrès sociaux, qui habite aujourd’hui un établissement culturel a en quelque sorte renouer avec l’une de ses vocations première : la lutte inventive et digne contre l’injustice.


Photo : Julien Jaulin / Hans Lucas
L’idée de cette cérémonie a  éclos au moment du festival de cannes 2015 au sein du groupe des juristes de la Cimade qui interviennent au centre du Mesnil Amelot, celui qui jouxte l’aéroport de Roissy. L’évènement a logiquement été placé sous le signe du « voyage » et du « glamour » comme en témoignaient  les avions gonflables suspendus au plafond et les tenues de soirées de certains des responsables d’association venus remettre des prix, comme Richard Moyon, le fondateur du Réseau Education sans Frontières qui avait revêtu queue de pie et haut de forme pour l’occasion. L’objectif de cette remise symbolique de « charters awards » en forme d’avions miniatures dorés aux préfectures qui font vivre aux personnes étrangères des traitements dignes de mauvais films était bien sûr de marquer les esprits.



photo : Julien Jaulin / Hans Lucas




Deux comédiens animaient la cérémonie avec des saynètes retraçant en les exagérant à peine les situations kafkaïennes vécus par les hommes, les femmes , les enfants ou les jeunes mineurs  enfermés en centre de rétention avant d’être expulsés, au péril de leur vie, parfois même vers des pays en guerre, sans avoir pu faire valoir leurs droits.
Ainsi la préfecture du Pas de Calais s’avère la grande gagnante de la journée avec pas moins de quatre nominations et deux « Charter Awards » : le prix Tarzan, roi de la jungle, couronnant son zèle en matière de « rafles » de migrants » : la préfecture du pas de calais a en effet interpellé dans la jungle de calais et emmené de force par avions et par bus plus de 12000 personnes pour les disperser en les enfermant illégalement dans sept centre de rétention, partout en France. Or, cette pratique traumatisante est aussi absurde qu’illégale : les CRA sont réservés aux expulsions par aux potentiels demandeurs d’asile… D’ailleurs, toutes les personnes ont été libérées après intervention de la justice en raison de violation massives de leurs droits et sont ensuite revenues par leurs propres moyens à Calais. « Dans la jungle, terrible jungle, le droit est mort ce soir », ont entonné les comédiens au moment de la remise du trophée. Par contre ils sont restés sans voix quand a été décerné à la même préfecture, le prix « Retour en enfer », pour avoir expulsé des exilés vers des pays en guerre.   Une pratique persistante malgré des décisions de justice qui condamne la préfecture du Pas de Calais et des mises en gardes répétées de la Cour Européenne de Droits de l’Homme à la France (CEDH) à ce sujet.
L'annonce du prix "Tarzan, roi de la jungle"

Après 5 nominations, la préfecture de Guyane, remporte le prix « La quête du Graal », qui souligne son acharnement à enfermer et à expulser des personnes en quête d’asile.
Notons que la Guyane était également en lice pour le prix « 48h chrono », finalement décerné à la Gironde qui apporte une large contribution à l’enfermement de près de 50 000 personnes chaque année en France dans des centres de rétention administratifs (CRA). Pour la plupart de ces hommes, femmes et enfants, il est difficile de bénéficier d’un recours effectif contre ces décisions arbitraire tant les délais ont été restreint pour pouvoir se défendre devant la justice. Ils n’ont que 48h, weekend compris après leur arrivée en rétention pour déposer un recours… De nombreux autres obstacles à l’accès au juge s’ajoutent en tête desquels des problèmes d’interprétariat et la mise en rétention dans des lieux à l’écart de tout accompagnement.
Particulière remarquée aussi pour sa persévérance en terme de pratiques abusives, la préfecture de Seine Saint Denis, a été citée trois fois et s’est vue décerner le « Charter Award » « Very bad trip » pour n’avoir pas hésité à placer en rétention et tenter d’expulser un Français certes « un peu étourdi » puisqu’il avait perdu ses papiers d’identité !
Trois des récompenses étaient tout particulièrement dédiées aux pratiques abusives visant les familles et les enfants. Le prix « Maman j’ai raté l’avion », pointant la séparation des famille est revenu à la Haute Garonne, tandis que celui intitulé « Péril jeune », concernant l’acharnement contre les mineurs isolés étrangers, dont on décrète à partir de tests osseux à la fiabilité contestable et contestée qu’ils n’ont pas 18 ans, a été décerné à la préfecture de la Vienne tandis que le « charter Award » « Nos enfants chéris » a été remis à celle du Doubs. Cette dernière "récompense" est emblématique du respect de la promesse de campagne de François Hollande, qui, en 2012 déclarait dans un discours teinté de lyrisme que n’ont pas manqué de rappeler les membres de RESF qui remettaient les prix,  qu’il prenait « l’engagement, [s’il était] élu à la présidence de la République, à mettre fin à la rétention des enfants et donc des familles avec enfants. »
Le prix « Je vais bien, ne t’en fais pas » a été remis à la préfecture de Loire Atlantique qui s’est montrée particulièrement zélée dans l’expulsion de personne malade vers des pays où elles ne peuvent recevoir de soins. « Ce que réserve l’Etat à de nombreux malades étrangers, c’est bien un couloir de la mort qui ne dit pas son nom, dénonce la Cimade. Ces dernières années, les préfets ont de plus en plus tendance à jouer au docteur, avec l’aval du ministère de l’intérieur.» D’ailleurs, depuis la loi du 7 mars 2016 les médecins chargés d’expertiser l’état de santé des personnes étrangères susceptibles d’obtenir un titre de séjour pour raison médicale sont désormais placés sous la tutelle du ministère de l’intérieur et non plus sous celle de celui de la santé.
Après la distribution de ces avions dorés, qu’aucun préfet n’est venu chercher… D’ailleurs le matin même des tapis rouge avaient été déroulés devant des préfectures et des membres des différentes associations participantes avaient tenté d’approcher les maitres des lieux afin de leur remettre leur trophée en main propre… sans succès. A Bobigny par exemple, l’objet a été laissé au guichet ? Ce fameux guichet que nombre de personnes en quête de séjour ont tant de mal à atteindre !
A l’issue d’une heure de cérémonie menée tambour battant, la présidente de la Cimade a dédié l’évènement à toutes les personnes enfermées en rétention « qui pour la plupart ne savent même pas que nous organisons cette manifestation aujourd’hui », a-t-elle précisée, ajoutant qu’elle espérait que cette d’action, très loin des pratiques habituelle de la Cimade qui publie d’habitude de consistants rapports d’observation, aurait l’impact espéré.
On ne peut s’empêcher d’y voir une pique lancée à la presse qui met plus d’entrain à relayer le festival de cannes et autres capiteux évènements que les nombreux communiqués d’alerte du RESF ou les épais documents de la Cimade. « A travers cette action, il est évident que nous souhaitions tenter d’assurer une meilleure visibilité médiatique aux pratiques que nous dénonçons depuis des années », a-t-elle conclu. Effectivement quand les abus viennent des instances même de l’Etat, on mesure la nécessité d’un quatrième pouvoir capable de mobiliser l’opinion publique !


Interrogée lors de l'annonce du palmarès des Charter Awards, Dorothée Basset, intervenante de la Cimade au centre de rétention administrative du Mesnil Amelot qui est avec ces collègues, à l'origine de cette cérémonie parodique, explique les enjeux d'une telle manifestation.

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