Pourquoi la loi travail n’a-t-elle pas recueilli le soutien de l’opinion publique ?
Lundi, 13 Juin, 2016
L'Humanité
Avec Yves-Marie Lagron Secrétaire général du syndicat CGT des personnels des organismes nationaux de la Sécurité sociale; Véronique Descacq, Secrétaire générale adjointe de la CFDT et François Hommeril, Président de la CFE-CGC.
L’existence et la légitimité des syndicats menacées
par Yves-Marie Lagron Secrétaire général du syndicat CGT des personnels des organismes nationaux de la Sécurité sociale.
par Yves-Marie Lagron Secrétaire général du syndicat CGT des personnels des organismes nationaux de la Sécurité sociale.

Toutefois, il reste une conséquence de la loi sur le travail qui n’a pas été expliquée. À long terme, la déqualification des syndicats telle que l’inocule la loi sur le travail risque d’ouvrir la voie à des formes de lutte et d’organisation inconnues. Et il y a fort à parier que les modes d’action viseront d’abord l’efficacité directe et le rééquilibrage rapide des forces au sein de chaque entreprise. Comme la nature, le monde social a horreur du vide.
Il est important d’avoir conscience de cette réalité quand on veut dynamiter un édifice légal vieux de plus de deux cents ans. Car, la loi sur le travail consacrerait l’impuissance des syndicats dans le rôle que l’État et la loi leur ont finalement reconnu à force de luttes. Et ce, depuis la Révolution française. À savoir : fédérer les revendications, donner corps à l’action des travailleurs, négocier leur satisfaction, y compris devant les tribunaux dont le Code du travail est issu pour l’essentiel.
Jusqu’à présent, rien n’empêchait un patron de conclure avec les syndicats des accords plus favorables que ce que prévoyait déjà le Code du travail pour, par exemple, augmenter tous les salaires, établir la semaine de 32 heures, etc. Pour cela, il suffit de parvenir à un accord minoritaire avec 30 % des syndicats représentatifs d’une entreprise… Mais qui a déjà entendu parler de tels accords qui, de surcroît, auraient été obtenus après un « dialogue », fût-il social, sans qu’aucune loi ne les impose ? Le principe selon lequel les salariés pourraient améliorer leurs conditions de travail et leur rémunération par la discussion, hors de tout cadre légal contraignant, relève au mieux de la naïveté, au pire de la duplicité. Il s’agit pourtant de l’argument de vente n° 1 utilisé par le gouvernement et le patronat pour promouvoir la loi sur le travail. Dans le monde réel, avec la loi sur le travail, les syndicats seraient engagés dans un engrenage de négociations défavorables provoquées par les « top managers » les plus offensifs. Et cela en particulier sur les salaires et les congés payés. Le risque est grand que si les syndicats devaient être, par la force de la loi, cantonnés dans des négociations péjoratives visant à dégrader l’ordre social tel qu’il était garanti par les conventions collectives et le Code du travail, ils perdent vite toute légitimité.
Peut-être est-ce d’ailleurs l’objectif inavoué de la loi sur le travail, malgré ses atours consensuels et ses appels rituels au « dialogue social ». Comme tous les « éléments de langage » utilisés en communication politique, cette incantation est dénuée de réalité. Elle occulte le fait qu’un compromis est toujours le résultat d’un conflit d’intérêts, fût-il exprimé civilement et pacifiquement. À menacer l’existence et la légitimité des syndicats, les promoteurs de la loi sur le travail aspirent à un nouvel ordre social. Un ordre nouveau où la figure de l’entrepreneur tout-puissant remplacera les corps intermédiaires et les droits qu’ils ont fait naître.
Il n’est même pas certain que celles et ceux qui défendent cette loi aient bien mesuré les conséquences que ce grand reversement pourrait avoir sur la stabilité de la société, sur celle de la sécurité publique et même… sur celle du capital. À ce titre, il est notable qu’aucun pouvoir conservateur, même d’inspiration libérale, économiquement, n’ait jamais envisagé une révolution légale comparable à la loi sur le travail. De ce point de vue, le gouvernement de M. Manuel Valls pourrait bien être réhabilité dans une filiation de gauche : l’anarchie. Il ne demeurerait pas moins infiniment minoritaire.
Ce texte correspond à notre ambition
par Véronique Descacq Secrétaire générale adjointede la CFDT.
par Véronique Descacq Secrétaire générale adjointede la CFDT.

Le 14 mars, après une concertation obtenue par la CFDT, le texte était réécrit. Ainsi, les dispositions supplétives (ce qui s’applique en l’absence d’accord) reprennent le Code du travail existant : les dispositions inacceptables sur le temps de travail des apprentis, sur le fractionnement du repos pour les salariés en astreinte, sur le forfait jours ont été supprimées. Le pouvoir unilatéral de l’employeur a reculé : il ne peut plus mettre en place unilatéralement des forfaits jours ou de la modulation au-delà de neuf semaines. Le barème prud’homal impératif a été supprimé et les planchers d’indemnisation actuels demeurent. Le compte personnel activité (CPA) a été enrichi, notamment avec des droits à formation supplémentaires pour les salariés, demandeurs d’emploi et jeunes peu qualifiés. Le rôle des branches a été précisé. Elles continueront, contrairement à ce qu’on lit ici ou là, à traiter des classifications et des salaires, au minimum… Elles négocieront leur « ordre public professionnel », c’est-à-dire ce que les accords d’entreprise devront respecter.
L’organisation du temps de travail relève, en revanche, de la négociation d’entreprise. C’est normal pour la CFDT, puisque c’est au plus près des salariés que l’on peut l’adapter, traiter efficacement du fonctionnement de l’entreprise et des contreparties utiles pour les salariés… tout en respectant le Code du travail : 35 heures, déclenchement des heures supplémentaires… Car, non ! Il faut en finir avec ce slogan mensonger : il n’y aura pas un Code du travail par entreprise ! La CFDT a également rencontré les parlementaires et obtenu, dans le texte adopté par l’Assemblée nationale le 11 mai, la suppression de la restriction du périmètre d’appréciation des difficultés en cas de licenciement économique. Ce texte a donc déjà très largement été amendé. Grâce à notre action, il correspond aujourd’hui à notre ambition : mieux protéger les salariés et renforcer le dialogue social pour conduire les mutations nécessaires au progrès économique et social.
Un rapport de forces désaxé qui se radicalise, faute d’avoir pu s’exprimer
par François Hommeril Président de la CFE-CGC.
par François Hommeril Président de la CFE-CGC.

Le mouvement ne fléchit pas quand il est proposé aux partenaires sociaux de travailler sur la représentativité syndicale dans de bonnes conditions d’appropriation de la matière grâce à deux rapports (Chertier et Hadas-Lebel), étoffés et complétés par un avis du Conseil économique, social et environnemental (Cese) – nous sommes en 2008.
Il est évident que la portée et la philosophie de construction de la négociation collective, c’est-à-dire tout ce qui se cache derrière l’article 2 (et les articles connexes) de la loi travail, participe étroitement de la suite de ce mouvement, qui est à portée systémique.
Or – et c’est l’erreur à notre sens la plus importante du gouvernement –, la loi travail, dans la méthode proposée, crée une rupture avec l’évolution précédente et entend sur ce sujet s’abstenir d’un processus de concertation permettant à chacun d’adhérer, peu ou prou, à l’évolution proposée, ou en tout cas d’y participer et de s’approprier progressivement les enjeux du changement. Plus encore, les articles concernés sont « noyés » au milieu d’autres dispositions davantage susceptibles, elles, d’être l’objet d’un travail parlementaire classique.
Résultat : en l’absence de saisine des partenaires bien en amont de la production législative, les « négociations » se font avec le gouvernement dans le cadre d’un rapport de forces désaxé qui s’exaspère et se radicalise, faute d’avoir pu s’exprimer dans un cadre pacifié.
Alors, finalement, nous sommes contraints de répondre à la question à deux reprises.
La loi travail est-elle amendable ? Oui ! Oui, et nous avons proposé des amendements à toutes les dispositions relevant du champ individuel et non systémique, et nous continuerons à le faire comme nous l’avions fait en première lecture et au Sénat.
La loi travail est-elle amendable ? Non ! Non, elle ne l’est pas concernant son article 2, dont nous demandons la suspension en attendant la transcription législative d’un accord national interprofessionnel négocié dans des conditions de sérénité, d’intelligence et de construction dignes des enjeux portés par la négociation collective.
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