jeudi 9 juin 2016

Jean-Claude Juncker veut ruiner l’agriculture européenne, la France se tait

Jean-Claude Juncker veut ruiner l’agriculture européenne, la France se tait

gérard le puil
Jeudi, 9 Juin, 2016
Humanite.fr

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Des manifestants protestent contre le CETA et le TTIP, en Allemagne, le 23 avril dernier
Photo : Reuters
L’acharnement que met l’actuelle Commission européenne et son président sous influence de la finance à promouvoir partout des accords bilatéraux de libre échange menace d’importants secteurs économiques à commencer par l’agriculture. Face à ces risques, la France se réfugie dans un silence coupable.
Selon des indiscrétions en provenance de Bruxelles, la Commission européenne présidée par le luxembourgeois Jean-Claude Juncker veut faire ratifier en catimini le traité de libre échange conclu en septembre 2014 entre l’Union européenne et le Canada. Baptisé CETA pour la formulation anglaise « Comprehensive Economic and Trade Agreement », cet accord suscite de plus en plus de critiques dans plusieurs pays membres de l’Union parmi les quels figurent la Belgique, les Pays et la France ; du moins pour ce qui est de l’opinion   publique. Car le gouvernement français et le chef de l’Etat sont muets sur le sujet.
La Commission a donc fait travailler son service juridique pour tenter de savoir s’il est possible de ratifier cet accord sans passer par les parlements nationaux dans le cadre d’un accord mixte. Pour comprendre de quoi il retourne, il faut ici remonter aux référendums de 2005 qui permirent au peuple français et à d’autres de dire non au projet de Constitution européenne. Mais La France de Sarkozy et l’Europe passèrent outre ce verdict en mettant en place le traité de Lisbonne en 2009. La Commission veut donc faire dire par son service juridique que le CETA peut être ratifié par une réunion du Conseil européen des 28 gouvernements avec l’approbation d’une majorité de députés européens sans avoir à consulter les parlements nationaux.

Des centaines de milliers de tonnes de viande exportées

Pays faiblement peuplé, le Canada est un gros exportateur de produits agricoles, qu’il s’agisse du blé, de viande de porc ou bovine. Dans ces deux deniers secteurs, ce sont 130.000 tonnes de viandes supplémentaires par an qui entreraient en Europe sans droit de douanes si cet accord était ratifié. Mais avant même qu’il ne le soit, l’Union européenne négocie  avec les Etats Unis un accord de même type, connu sous le nom de TTIP  pour « Transatlantic Trade and Investment Partnership ». Là encore les exportations de viande bovine, porcine et des volailles américaines vers l’Europe sans droits de douanes seraient trois à quatre fois plus importantes en volumes que celles du Canada, sans même parler du blé, du maïs, voire des imitations du champagne ou d’un vin nommé chablis au pays de l’oncle Sam. Et, comme si ça ne suffisait pas, la Commission relance aussi la négociation avec les pays du Mercosur, lesquels veulent aussi nous vendre des viandes  et des céréales.

Un « traité climaticide

Négocier autant d’accords commerciaux pour permettre aux metteurs en marché européens d’importer de la nourriture afin de faire  baisser les prix payés aux paysans sur le marché intérieur des 28 relève d’une incroyable désinvolture vis-à-vis des agriculteurs comme au regard des enjeux liés au réchauffement climatique. Car, pour freiner le réchauffement, il est urgent de relocaliser les production agricole au plus près de bassins de consommation afin de réduire les transports sur de longues distances, de mettre fin à déforestation  imputable à la mondialisation libérale. Aussi n’est-il pas étonnant de voir que la Fondation Nicolas Hulot faire campagne contre le CETA dénoncé comme « la pointe avancée » du TTIP, lui-même qualifié de « traité climaticide » par la Fondation. De même, au-delà des parlementaires du Front de gauche, les députés européens EELV YannicK Jadot et José Bové mettent en garde contre le « cheval de Troie » du TTIP que serait le CETA s’il était ratifié.
Or, de même qu’il veut se passer de l’avis des parlements nationaux pour ratifier l’accord conclu en 2014 avec le Canada, Jean-Claude Juncker veut obtenir carte blanche des gouvernements européen pour continuer de négocier avec les Etats Unis. Cela a été précisé le 30 mai par Daniel Rosario, un porte parole de l’exécutif européen en ces termes : « Au sommet européen de juin, le président de la Commission  européenne, Jean-Claude Juncker, va demander aux dirigeants de l’UE de reconfirmer le mandat de la commission pour conduire les négociations » avec les Etats-Unis. « Nous devons, ajoutait ce porte-parole, nous assurer que nous allons dans la même direction. Le président Juncker estime que le moment est venu de demander aux chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE de faire un état des lieux de la négociation, en s’interrogeant sur où nous sommes et où nous allons ».
Depuis la France se tait. Dans le courant du mois de mai, Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture et Matthias Fekl, ministre du Commerce extérieur, avaient laissé entendre que la France pourrait s’opposer au TTIP . Mais François Hollande les a fait rentrer dans le rang depuis le sommet du G7 au Japon en déclarant le 27 mai que  Washington devait « aller beaucoup plus loin » dans ses propositions, ajoutant pour la forme qu’il « ne peut y avoir un accord s’il n’y a pas de réciprocité ». C’est la posture qui consiste à dire que l’on regardera à la fin si les pertes comptabilisées d’un côté peuvent être contrebalancées par de possibles gains d’un autre côté. On est loin de la défense du monde paysan, de notre  souveraineté alimentaire comme de la préservation de la planète contre le réchauffement climatique six mois seulement après la conférence du Paris sur le sujet.

L’agriculture et notre souveraineté alimentaire, les grands perdants

Ces accords sont aussi dangereux pour d’autres secteurs économiques dans l’Union européenne en raison notamment de la tentative d’harmonisation des normes avec, ensuite, les recours aux tribunaux privés pour régler les litiges commerciaux. Mais c’est l’agriculture et notre souveraineté alimentaire qui auraient le plus à perdre dans les toutes prochaines années. Car l’augmentation de la production laitière depuis deux ans et la baisse des prix qui en résulte durablement met en difficulté la grande majorité des producteurs de lait dans toute l’Europe et pas seulement en France. Cette difficulté atteint par ricochet les éleveurs spécialisés de bovins à viande, via une baisse des cours, du fait de la croissance du nombre d’animaux de boucherie issus du cheptel laitier.
Enfin, comme l’Europe entend prolonger ses sanctions économiques contre la Russie après le 31 juillet 20016, Dmitri Medvedev, le Premier ministre russe, a déclaré dès le 27 mai dernier : «j’ai ordonné que soient préparées des propositions en vue d’une prolongation des mesures de rétorsion non pas pour un an mais jusqu’à la fin 2017 ». La fermeture du marché russe aux fromages, au beurre, à la viande de porc mais aussi aux fruits et légumes a déjà produit plusieurs conséquences défavorables aux exportateurs européens et devrait donc durer. Depuis que l’embargo a été mis en place, les Russes ont consommé moins de produits laitiers, de viande de porc, de fruit et légumesd frais tout en relançant leur production intérieure dans plusieurs de ces secteurs. Ils ont parallèlement importé du Brésil davantage de produits carnés. Le jour où la Russie ne sera plus punie par l’Europe et décidera de lever l’embargo sur les produits agricoles européens en échange de la fin des sanctions économiques, les marchés dont disposaient les exportateurs européens  jusqu’en 2014 seront beaucoup moins gros et moins faciles d’accès. 

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