mardi 19 avril 2016

CGT « Une entrée en congrès plus confiante grâce au mouvement anti-loi travail »

Sophie Béroud Maître de conférences en sciences politiques
Entretien réalisé par Clotilde Mathieu
Lundi, 18 Avril, 2016
L'Humanité

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MAGALI COHEN
Pour la chercheuse Sophie Béroud, la mobilisation sociale en cours repose « la question du rapport de forces avec beaucoup d’acuité », et donc celle, pour la CGT, « d’accroître sa capacité à syndiquer », qui s’affirme comme l’un des enjeux au cœur de son 51e congrès, à Marseille.
À l’heure où s’ouvre le congrès de la CGT, nous assistons à la plus grosse mobilisation depuis 2010. Le syndicat a-t-il su dépasser sa crise ?
Sophie Béroud Il est certain que la mobilisation crée un contexte propice à ce 51e congrès, ouvrant un espace pour réfléchir aux possibles de la lutte en cours. La CGT joue un rôle central dans la construction du mouvement interprofessionnel : avec d’autres – FO, FSU et Solidaires –, elle a réussi à établir un rapport de forces avec un mot d’ordre ferme de retrait. De plus, la mobilisation bénéficie d’un soutien fort dans l’opinion publique. Cette dynamique, à laquelle s’ajoute celle des Nuits debout, permet de poser autrement les enjeux auxquels la CGT est confrontée, de façon peut-être plus sereine et confiante. Parmi ces enjeux, il y a ceux d’accroître encore le rapport de forces pour faire reculer le gouvernement et de réussir à faire entendre les propositions dont la CGT est porteuse, comme le projet de Code du travail du XXIe siècle.
En est-elle capable ?
Sophie Béroud Sur le plan interne, les délégués auront à plancher sur des questions débattues depuis longtemps. Comme la place que la CGT occupe dans le salariat, les enjeux de structuration, de démocratie interne, ou encore la place accordée aux nouveaux adhérents. Les diagnostics, précis et lucides, ont été construits depuis le début des années 2000. L’urgence est maintenant de passer un cap. Des outils de réflexion collective existent, mais comment mettre en œuvre ce qui a été décidé lors des congrès précédents, en particulier sur la syndicalisation ? Beaucoup d’expériences ont été menées, comme les syndicats de site ou la syndicalisation dans des secteurs très précarisés. L’enjeu est de dépasser le stade des expérimentations et d’en faire l’orientation de toute la CGT.
Philippe Martinez souhaite une CGT davantage sur le terrain et moins dans les réunions institutionnelles. Est-ce une réponse à la difficulté de syndicalisation ?
Sophie Béroud La question de l’institutionnalisation est complexe. À différentes échelles – entreprises, instances paritaires, territoires –, les militants siègent dans des instances de concertation et de négociation, mais quel bilan en tirent-ils dans un contexte de recul des droits sociaux et d’accélération des politiques libérales ? La mobilisation contre la loi El Khomri montre bien que l’enjeu déterminant est de réussir une implantation plus forte dans le salariat. La question du rapport de forces est posée avec beaucoup d’acuité. La CGT est face au défi d’étendre sa présence, d’accroître sa capacité à syndiquer, à s’organiser sur le lieu de travail de façon durable.
La question du rapport au politique a été fortement soulevée durant la dernière période. Ce débat sera-t-il au cœur du congrès ?
Sophie Béroud Là encore, la réflexion a été ouverte depuis longtemps, au début des années 1990, avec des débats internes forts. La volonté de se distancier des partis s’est parfois traduite par l’idée de ne pas sortir du domaine des relations professionnelles. À un point tel que le terme « projet » posait parfois problème. Les discussions ont évolué sur cette question lors du débat autour du référendum sur le traité constitutionnel européen ou au moment de l’élection présidentielle de 2012. Beaucoup de réflexions portent sur la façon de concilier aujourd’hui la double besogne définie par la charte d’Amiens : la lutte au quotidien, mais aussi la construction d’un projet d’émancipation. Le fait que la CGT se donne les moyens de contribuer à construire un projet alternatif de société me semble partagé ; ensuite, toute la question est de réussir à impliquer les salariés dans ce processus.
Le rapport aux autres syndicats, et plus particulièrement avec la CFDT, est plus que jamais posé. Est-ce la fin du « syndicalisme rassemblé » ?
Sophie Béroud Cette division du syndicalisme en deux pôles, l’un combatif, radical, et l’autre accompagnant les politiques libérales, la CGT n’en a pas voulu et l’évite depuis 1995. Mais aujourd’hui, nous en sommes au stade où cette division est théorisée par la CFDT, mais aussi par le gouvernement et le Medef. Comment construire un rassemblement unitaire, alors que les divergences de fond sont si fortes ? C’est de façon à la fois tactique et stratégique qu’il faut penser la relation avec la CFDT, mais aussi la CFE-CGC, la CFTC et l’Unsa. Il y a un intérêt à ne pas acter cette partition du mouvement syndical en deux pôles, notamment pour continuer à construire des rassemblements unitaires dans les entreprises, mais aussi pour rallier les salariés sur ce que porte la CGT, en montrant la pertinence de ce qui est défendu. Dans le mouvement actuel (contre la loi El Khomri – NDLR), des troubles se manifestent dans la CFDT, à partir de ce que vivent ses militants sur le terrain. Il est encore possible de penser des unités d’action à géométrie variable, au niveau local ou national, sur des sujets comme la lutte contre le FN, par exemple.

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