lundi 4 avril 2016

Espagne. Une course contre les 100 jours perdus

Espagne. Une course contre les 100 jours perdus

 
PEDRO SANCHEZ ET PABLO IGLESIAS ARRIVENT POUR LEUR RÉUNION AU PARLEMENT À MADRID, MERCREDI.
PHOTO : REUTERS
Le Parti socialiste et Podemos cherchent un nouveau terrain d’entente alors que le pays est sans gouvernement depuis le 20 décembre.
Retour à la case départ. Après des semaines de négociations avortées, de parties de poker menteur, de portes qui claquent et de surenchères, place au dialogue. Il aura fallu pour cela rien de moins que cent jours depuis ce lointain 20 décembre 2015, date des élections générales, à l’issue desquelles le paysage politique de l’Espagne a tremblé. Ce soir-là, le bipartisme quasi institutionnalisé entre le Parti populaire (PP – droite) et le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) a été bousculé par les irruptions fracassantes de Podemos et, à droite, de Ciudadanos (C’s – Citoyens). Mais depuis, faute d’accords, l’Espagne n’a toujours pas de gouvernement. Les chefs de file du PSOE et de Podemos, Pedro Sanchez et Pablo Iglesias, se sont rencontrés hier, pour la seconde fois, au Congrès des députés, là où le socialiste a raté à deux reprises son investiture en raison des veto croisés des conservateurs et de Podemos.
« Il est bien de commencer par ce qui nous unit » : la dédicace du leader de la jeune formation violette sur le livre offert à Pedro Sanchez tourne-t-elle la page aux trois derniers mois de confrontations ?

Pablo Iglesias a défendu l’idée d’un gouvernement porté par les « 161 » voix de gauche au Parlement

Après deux heures de discussion, Pablo Iglesias a fait valoir « la volonté mutuelle de poursuivre le dialogue » qui existent entre les deux hommes. Il est temps de « se retrousser les manches », a-t-il imagé en annonçant dans la foulée qu’il sera le chef des négociations avec le PSOE autour de leurs programmes respectifs, dans lesquels, a-t-il pris soin de préciser, se trouvent « beaucoup d’éléments qui pourraient servir en vue de parvenir à un accord ». Chose impensable encore il y a quelques jours, il s’est dit disponible pour parler avec le président de Ciudadanos, Albert Rivera, afin que ce dernier appuie « de manière active ou passive » un gouvernement progressiste afin de tourner la page aux quatre années d’austérité défendue jusqu’à l’extrême par le Parti populaire de Mariano Rajoy, qui est certes arrivé en tête des élections mais dépourvu de majorité avec une sévère dégringolade de 63 sièges.
Le ton a changé donc. Mais, du passé, personne n’a vraiment fait table rase. Les « podemistes » refusent de cautionner la formule défendue par Pedro Sanchez visant à additionner les 69 députés de Podemos (troisième formation au Parlement) à ceux de Ciudadanos, en expliquant, à juste titre, que la gauche a totalisé 50 % des voix. Mais le chef de file des socialistes s’obstine à défendre sa stratégie d’alliance avec Ciudadanos, quatrième force politique. « L’accord pour un gouvernement réformiste et de progrès » convenu entre ces deux partis n’en a que le nom tant les politiques sociales envisagées sont rachitiques, ou font encore la part belle aux recettes néolibérales. Ciudadanos et PSOE sont au diapason pour s’opposer à la convocation d’un référendum dont l’objectif serait l’autodétermination d’une région. Un signal clair envoyé à Podemos, qui, dans le cadre de ses stratégies territoriales, notamment en Catalogne, milite pour le « droit de décider » dans le cadre de consultations populaires de cette nature. Ce sont désormais les socialistes catalans et la variante de Podemos de cette région qui s’entretiendront de la question dans le cadre des futures rencontres. Mais tout reste encore à faire…
Hier encore, Pablo Iglesias a défendu l’idée d’un gouvernement porté par les « 161 » voix de gauche au Parlement, c’est-à-dire le PSOE, Podemos (et ses composantes régionales), Izquierda Unida (IU, écolo-communiste) et Compromis (coalition de la région de Valence). De manière théâtrale, il s’est dit prêt à renoncer à la vice-présidence du gouvernement où cas où sa présence serait problématique. Pour rappel, au début des pourparlers, le jeune universitaire avait revendiqué ce poste clé ainsi que plusieurs importants ministères, dont l’Intérieur. Il avait même contacté Alberto Garzon, le député et dirigeant d’Izquierda Unida, pour lui proposer de rejoindre l’exécutif. C’est peu dire que les demandes avaient alors fait rugir les ténors du PSOE. « C’est lui qui s’est proposé tout seul ; c’est lui qui s’exclut tout seul » du poste de vice-président, a balayé Pedro Sanchez, voyant surtout dans les propos de Pablo Iglesias une annonce conditionnée au retrait simultané de Ciudadanos du futur gouvernement. Or, sur ce point, le socialiste a été on ne peut plus clair : son investiture se fera avec cette formation. Il a ainsi de nouveau légitimé le bien-fondé de son partenariat avec une force de droite, quitte à prendre le risque de connaître le même sort que son frère grec, le Pasok, tant le PSOE est déjà discrédité pour s’être fourvoyé dans des politiques droitières.
Les désaccords persistent, donc, mais à Podemos comme au PSOE, on préfère désormais jouer la carte de la diplomatie. Ni Pablo Iglesias ni Pedro Sanchez ne veulent se voir attribuer la responsabilité d’une impossible entente qui finirait fatalement par la convocation d’élections anticipées le 26 juin. Après huit années d’une crise économique dévastatrice pour des millions de foyers, dont quatre sous la coupe d’une droite hégémonique dont les politiques ont été d’autant plus ultra, un nouveau scrutin pourrait se payer cher dans les urnes.

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