jeudi 13 avril 2017

Présidentielle. La guerre des meetings a bien eu lieu


Présidentielle. La guerre des meetings a bien eu lieu

PIERRE DUQUESNE
MERCREDI, 12 AVRIL, 2017
L'HUMANITÉ
Les images du public désertant les tribunes pendant le discours d’Emmanuel Macron, à Marseille et à La Réunion, tournent en boucle sur les réseaux sociaux. Frédéric Seguran/Citizenside/AFP
Les images du public désertant les tribunes pendant le discours d’Emmanuel Macron, à Marseille et à La Réunion, tournent en boucle sur les réseaux sociaux. Frédéric Seguran/Citizenside/AFP
Un temps boudés par les candidats, les rassemblements, relookés pour s’adapter aux retransmissions en direct, ont repris une place centrale dans cette campagne électorale. Le tempo et le choix géographique auront pesé sur les dynamiques de chacun des candidats.
Ce devait être un meeting historique pour l’extrême droite. Marine Le Pen était annoncée au zénith de Toulouse, le samedi 15 avril. Huit jours avant le premier tour, la candidate du FN comptait remplir cette salle de 11 000 places dans cette région de tradition radicale-socialiste, et dans une ville dirigée par un maire issu des rangs de l’UDF. Une terre de conquête pour la candidate d’extrême droite qui ne cesse, depuis le début de la campagne, de labourer l’Ouest de la France. La date était cochée, les militants mobilisés, mais la frontiste s’est finalement dégonflée. Meeting annulé. A la place, elle tiendra une réunion publique à Perpignan, dans les Pyrénées orientales, où son conjoint Louis Aliot a récolté 43,97% des voix lors des dernières élections régionales. « Aucun meeting n’était prévu en Languedoc-Roussillon, pourtant région plus forte, a-t-il expliqué. Il a fallu rééquilibrer.» Au FN, on préfère, dans la dernière ligne droite, mobiliser les bastions que de partir à la conquête de territoires hostiles. 
 
Il y a des raisons moins avouables. En particulier l’annonce, par l’équipe de Jean-Luc Mélenchon d’un grand rassemblement le 16 avril sur les bords de la Garonne. La comparaison aurait été une nouvelle fois cruelle pour le FN, qui a déjà subi la concurrence directe du candidat de la France insoumise à Lyon, le 5 février dernier.  En plus d’avoir remporté le match de l’affluence, son hologramme avait étouffé médiatiquement l’événement frontiste dans la capitale des Gaules qui devait pourtant constituer une rampe de lancement pour Marine Le Pen

« Un temps de rétribution symbolique pour les militants »

Cette compétition directe était, selon le directeur de campagne de Jean-Luc Mélenchon, Manuel Bompart, « une stratégie clairement identifiée pour affronter le FN ». Ce n'est pas le but du rassemblement de Toulouse : « Notre objectif, c’est de faire une démonstration de force. » La ville rose, comme Marseille ou Lille, compte une forte population, une culture revendicative, et des équipes militantes sérieuses. Trois raisons pour en faire des étapes incontournables du Mélenchon Tour. Il s'y était déjà arrêté en 2012. « Cette fois, nous avons concentré les déplacements dans ces villes dans l’avant dernière semaine de campagne afin de frapper des grands coups, enchaînés de façon régulière, car beaucoup d’électeurs font leur choix lors des quinze derniers jours. » Une période pendant laquelle, souligne Manuel Bompart,  « la force va à la force». 
Le meeting n’a pas pour but que de mobiliser des sympathisants. « Cela permet de générer un événement visible pendant plusieurs jours dans les médias, d’imposer ses thèmes, de structurer sa campagne autour d’un agenda précis», explique Claire Sécail, chercheuse au CNRS et à l’université de Paris Dauphine. Ces rituels, dans un contexte de personnalisation du pouvoir lié à la Ve République, restent déterminants pour réussir une campagne présidentielle, juge cette scientifique qui mène une étude sur le traitement médiatique des rassemblements de 2017. 
Benoit Hamon peut en témoigner. Le candidat socialiste a sous estimé leur importance, et raté son début de campagne, déjà plombé par les défections dans son camp.  « Il n’y aura pas d’effets de communication, peu d’hologrammes"ironisait Mathieu Hanotin, son directeur de campagne, peu après l’investiture officielle du candidat PS, début févrierPendant trois semaines, il optera pour des des déplacements de proximité, des petites assemblées locales. Il choisira de partir à la rencontre des représentants de la gauche portugaise, à Lisbonne, quand il n'est pas occupé par les négociations en vue d'un rassemblement à gauche. Il faut attendre le 21 février pour qu’il organise une agora citoyenne, à Blois. Avec cette nouvelle forme de réunion publique, plus participative, Benoit Hamon entendait démontrer qu’il n’était pas un homme providentiel. « Seul on avance plus vite, mais à plusieurs, on va plus loin », répéte-t-il de tribune en tribune. « Cela montre une certaine cohérence entre son discours et la façon dont il se met en scène, certes, mais, ce faisant, il s’est percuté à l’ultrapersonnalisation de l’élection présidentielle, enracinée dans nos institutions et dans les représentations des citoyens», estime Claire Sécail. 

L’affluence ne présage pas pour autant l’issue dans les urnes

D’autant que la diffusion des meetings par les chaînes d’information en continu, et la force des réseaux sociaux, ont encore renforcé la place prise par les meetings dans la présidentielle. Benoit Hamon avait pourtant réussi son passage à Bercy, salué par de nombreux observateurs. Mais son effet a été limité par le débat à cinq sur TF1, organisé le lendemain, et par le rassemblement populaire de Jean-Luc Mélenchon, place de la République, la veille.
En plus de réaffirmer la stature présidentielle et de livrer des messages prêts à être partagés sur les réseaux, les meetings constituent bien souvent « un temps de rétribution symbolique pour les militants », précise Raphaël Haddad qui vient d’achever une thèse sur l’évolution des meetings à l’université de Créteil. Il avait aussi noté qu'en 2012 les petites formations, comme Europe Ecologie Les Verts, avaient clairement choisi leurs déplacements en fonction des enjeux locaux, et notamment des futures législatives.
Ce n'est pas non plus un hasard si Emmanuel Macron a réalisé deux meetings à Marseille, où il compte faire fructifier les réseaux de Christophe Castaner, ancien tête de liste PS au régionales, devenu porte-parole de campagne, mais aussi des anciens guérinistes qui ont rejoint en nombre son mouvement. L'organisation d’un meeting est l'occasion rêvée de structurer un mouvement politique, voire même d’enrôler de nouveaux partisans. « Une étude récente a estimé que le nombre d’indécis dans un meeting pouvait dépasser les 30 %. Dans la foule de convaincus, il y a aussi tous ceux qui viennent par  curiosité ou pour accompagner leurs amis. » Ces indécis pourraient être encore plus nombreux, selon ce doctorant, dans les discours en plein air. 
Ces rituels, à eux seuls, ne suffisent à expliquer la dynamique de tel ou tel candidat. Rater ces grands rendez-vous, en revanche, peut s’avérer dévastateur. Les images du public désertant les tribunes pendant le discours d’Emmanuel Macron, à Marseille et à la Réunion, tournent en boucle sur les réseaux sociaux. Le contraste a aussi été saisissant entre le meeting de Brest de Benoit Hamon, et celui de Jean-Luc Mélenchon, organisé 24 heures plus tôt. Même contraste au Havre,  annoncé dans la presse locale 48 heures seulement avant l’arrivée du candidat PS. 
Le « maillage territorial » en dit long, aussi, sur les stratégies des différentes écuries présidentielles. Marine Le Pen a su par exemple parfaitement alterner les zéniths dans les métropoles avec toute une série de meetings de poche, dans des petits villages. A La Bazoche-Gouet, village de 1200 habitants, dans le Perche, à La Trinité-Plorhoet (Morbihan), à Monswiller (Bas-Rhin), elle a profité des énergies locales pour organiser des rassemblements atteignant parfois les 2000 personnes. Soit l’équivalent de l'affluence enregistrée lors d'un meeting de Benoit Hamon à Marseille... « Une stratégie habile et redoutable », estime Claire Sécail. Car ces rencontres champêtres, ayant indéniablement un côté IIIe République, constituent des « événements retentissants dans ces zones rurales, bien relayés par la presse quotidienne régionale ». Peu coûteuses, ces réunions sont très bénéfiques. « La petitesse du meeting est compensée par la dimension symbolique extrêmement puissante, qui sert son discours sur la défense des communes, des territoires invisibles et périphériques ». Sur les quinze meetings organisés en Ile-de-France par les cinq plus "gros" candidats, près de la moitié (sept) sont à mettre au crédit de François Fillon. « Au mois de février, quand il était gêné pour mener campagne, il a multiplié les déplacements dans des territoires proches de Paris où il peu compter de nombreux soutiens. » 
L’affluence dans les meeting « ne présage pas de ce qui se jouera dans les urnes le 23 avril », rappelle encore Claire Sécail. La foule amassée au Trocadéro pour soutenir François Fillon n’est pas représentative  de l’ensemble de l’électorat de droite, et encore moins de l'ensemble du corps électoral. Les meetings ne sont que signaux faibles, des indices, permettant de prendre le pouls d'une  dynamique de campagne. Leur force symbolique est, en revanche, très puissante. Benoit Hamon a ainsi décidé d'achever sa campagne le 21 avril à Toulouse. Comme François Mitterand, en 1974, en 1981, et Lionel Jospin, en 1995. Mais eux, c’étaient pour un meeting d’entre-deux-tours…

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