mercredi 20 juillet 2016

Turquie. Des milliers de magistrats en état d’arrestation

Turquie. Des milliers de magistrats en état d’arrestation

Pierre Barbancey
Mardi, 19 Juillet, 2016
L'Humanité

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Manifestation de soutien au président turc, Recep Tayyip Erdogan, dimanche, À ankara.
Manifestation de soutien au président turc, Recep Tayyip Erdogan, dimanche, À ankara.
Photo : Reuters
Après le coup d’État manqué, la purge se poursuit au sein de l’armée et de l’administration judiciaire. 9 000 fonctionnaires ont été limogés. Un commissaire européen estime qu’« on a au moins l’impression que quelque chose avait été préparé ».
C’était un rêve pour le président turc, Recep Tayyip Erdogan. Grâce au coup d’État avorté, il peut le réaliser : près de 9 000 fonctionnaires du ministère de l’Intérieur turc, en majorité des policiers et gendarmes, ont été limogés. Un gouverneur de province et 29 gouverneurs de municipalités ont aussi été mis à pied, a ajouté l’agence. Quelque 6 000 militaires ont par ailleurs déjà été placés en garde à vue et près de 3 000 mandats d’arrêt délivrés à l’encontre de juges et de procureurs. Officiellement, ce grand ménage vise les personnes soupçonnées de liens avec le prédicateur exilé aux États-Unis, Fethullah Gülen, et accusé par le président Erdogan d’avoir fomenté cette tentative de putsch, ce que ce dernier a formellement démenti. Mais en réalité celui qui est souvent qualifié de « nouveau sultan » passe la vitesse supérieure dans ce qui est son objectif principal : renforcer ses pouvoirs présidentiels, redessiner une carte politico-administrative plus à sa botte et rétablir la peine de mort. Ce à quoi s’oppose le Parti démocratique des peuples (HDP), qui demande par ailleurs que l’État de droit soit protégé.

L’impréparation des putschistes et leur amateurisme

Ce ne sont pas que des supputations. Depuis les événements qui se sont déroulés dans la nuit de vendredi à samedi, beaucoup de questions se posent. Et l’attitude du pouvoir ne fait que les renforcer. On peut ainsi s’étonner de l’impréparation des putschistes ou, en tout cas, de leur amateurisme qui les a conduits à ne pas suivre les règles élémentaires du coup d’État, notamment celle de neutraliser le numéro 1 du pays. Au lieu de cela, Recep Erdogan a pu, via un matériel de vidéoconférence, s’adresser au pays, puis monter dans un avion depuis son lieu de villégiature pour rejoindre Istanbul, où ses partisans l’attendaient. Les putschistes n’ont pas non plus cherché à bloquer les garnisons qui ne se révoltaient pas, pas plus que les zones où se trouvaient les forces spéciales. Un coup d’État tenté à la hâte sans grande chance d’aboutir, donc. À ce stade, on peut légitimement se demander si les services de renseignements intérieurs, restés fidèles au pouvoir central, n’ont pas tout simplement laissé faire, afin d’enclencher l’opération d’épuration en cours dans l’administration et l’armée. D’autant que, liées ou non à Fethullah Gülen, lors d’une très récente réunion du conseil militaire, des dissensions étaient apparues au sein de l’état-major.
« On a au moins l’impression que quelque chose avait été préparé. Les listes (pour les arrestations – NDLR) sont disponibles, ce qui laisse penser que cela était préparé pour servir à un moment ou un à autre. Je suis très préoccupé. C’est exactement ce que nous redoutions », estime même le commissaire européen à l’Élargissement, Johannes Hahn. Un ton inhabituel que l’on retrouve chez nombre de responsables européens, à commencer par le ministre français des Affaires étrangères, habituellement plus discret s’agissant de la Turquie. «  Pour l’avenir (...), nous voulons que l’État de droit fonctionne pleinement en Turquie, ce n’est pas un chèque en blanc à M. Erdogan, a dit le chef de la diplomatie française sur France 3. Les Européens sauront le lui rappeler (…) Encore une fois, à Bruxelles, nous allons parler de la Turquie et rappeler que la Turquie doit se conformer aussi aux règles démocratiques européennes. Il ne faut pas faire des purges, il faut que l’État de droit fonctionne. » Plus surprenant encore, prié de dire si la Turquie restait un allié fiable dans la lutte contre l’organisation djihadiste, Jean-Marc Ayrault a répondu : « Il y a des questions qui se posent et nous les poserons. Il y a une part de fiabilité et une part de suspicion, il faut être sincère. »
Fort de ces nouveaux développements, Recep Erdogan veut maintenant aller jusqu’au bout, y compris en engageant un bras de fer avec les États-Unis à propos de l’extradition de Gülen, tout en appelant à la mobilisation de ses partisans. Depuis des mois, Erdogan s’attaque à toutes les formes de contestation dans le pays. Les journalistes et la presse sont des cibles privilégiées, sans parler des atteintes au droit parlementaire visant notamment les députés du HDP.

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