mardi 22 décembre 2015

Anabella Rosemberg « L’absence de justice sociale bloque la transition »

Anabella Rosemberg « L’absence de justice sociale bloque la transition »

 
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En Espagne, la diversification Économique des territoires n’a pas suivi la restructuration des mines de charbon.
Photo : C. Manso/AFP
Le respect des droits des travailleurs ne figure pas dans la partie dite «opérationnelle » de l’accord de Paris. 
Or, il n’est pas envisageable que les politiques climatiques laissent les salariés sur le carreau, rappelle Anabella Rosemberg.
Le principe de transition juste pour les travailleurs ne figure qu’en préambule de l’accord de Paris. Mieux que si c’était pire ?
320591 Image 0Anabella Rosemberg Le mouvement syndical tenait à ce que cette notion soit inscrite dans la partie opérationnelle de l’accord. Le préambule ne garantit pas le même niveau d’engagement de la part de tous les États. Le problème se pose de la même manière pour les droits humains ou l’égalité des genres, à ceci près que la transition juste n’a de sens que dans le cadre des politiques environnementales. N’en faire qu’un élément de contexte est problématique. Car finalement, l’enjeu était bien de se fixer un objectif de long terme et de définir la façon d’y aboutir. Or, nous n’envisageons pas que les politiques climat laissent les travailleurs sur le carreau.
 
Qu’est-ce que recouvre précisément cette notion ?
Anabella Rosemberg Elle enveloppe toutes les mesures à mettre en œuvre pour garantir la justice des politiques environnementales : l’investissement dans des filières d’avenir, le dialogue social, ou encore la protection sociale. Dans beaucoup de pays, le système des retraites repose sur de la capitalisation, des fonds de pension. Aux États-Unis, par exemple, un salarié du charbon dépend de la survie de son entreprise pour pouvoir conserver sa retraite. Ce genre de situation est une barrière pour l’avancée des politiques environnementales. D’ailleurs, celles-ci bloquent souvent face à l’idée qu’elles sont un risque pour l’emploi. Pour nous, il s’agit de contrer cette pensée. La seule façon de le faire est d’imposer la justice sociale au cœur des politiques climatiques. C’est aussi une façon d’en finir avec le rétropédalage systématique des pouvoirs publics sur les mesures environnementales. Prenez le cas, en France, de la taxe carbone pour les camions : un certain nombre d’entreprises, de PME, ont considéré qu’elle leur était économiquement nuisible. Le ministère de l’Environnement a fini par céder. On aurait pu prévenir cela en décidant, par exemple, d’une répartition des revenus générés par cette taxe au profit des couches populaires ou des territoires affectés. Mais le gouvernement a préféré renoncer et donner ainsi l’avantage à des entreprises qui, finalement, ne veulent qu’une chose : ne rien changer.
 
Des régions se sont déjà écroulées suite à la fermeture de mines. Comment travailler la transition de tout un territoire ?
Anabella Rosemberg L’histoire nous l’enseigne. On a déjà assisté à des restructurations profondes de territoires sans aucun soutien, qui ont conduit au creusement des inégalités, au chômage de masse, voire à la montée de l’extrême droite. Parfois, la gestion seule a fait défaut : en Espagne, des écoles, des centres de santé ont été construits dans les territoires affectés par la fermeture des mines. En revanche, la diversification économique n’a pas suivi. Aujourd’hui, les anciens mineurs et leurs enfants n’ont plus que deux options : le chômage ou le supermarché. Cette idée ne peut pas être porteuse d’espoir ou de mobilisation. Alors que beaucoup de bassins dépendent encore d’une seule industrie, entreprendre dès à présent la diversification économique des territoires est déterminant. Les nouvelles formes d’économie sociale et solidaire peuvent y aider – beaucoup de coopératives se créent, et c’est encourageant. Mais il faut aussi du volontarisme de la part des pouvoirs publics. En Norvège, lorsqu’ils ont commencé à planifier, il y a quarante ans, le déclin de l’industrie de la pêche, ils ont investi annuellement près de 7 % ou 8 % de leur PIB à la reconversion des territoires et la formation des salariés. Non pas pour que les pêcheurs deviennent des informaticiens. Mais pour que les enfants des pêcheurs deviennent des informaticiens.
 
Et les pêcheurs ?
Anabella Rosemberg Ils sont protégés, accompagnés, et gardent leur emploi dans une industrie en transformation. Nous ne sommes pas en train de penser une transition qui voudrait tout fermer tout de suite. Nous sommes en train de dire : nous avons trente ans pour engager une transition juste. Je crains que nos élus ne soient pas à la hauteur de cet enjeu. Et ne nous le cachons pas : c’est aussi un défi pour le mouvement syndical. Nous représentons les salariés d’aujourd’hui, nous n’avons pas leurs enfants… Néanmoins je constate une vraie volonté de s’engager dans cette voie, de faire partie de ce mouvement de transformation plus large qu’est le mouvement climat. Celui-ci a envie de gagner des luttes, refuse de reculer… On ne peut que s’y ressourcer.
 
Les appareils syndicaux ont-ils intégré ce mouvement ?
Anabella Rosemberg Les discussions existent, pas toujours faciles, et loin d’être consensuelles, mais le sujet n’est plus ignoré. En France, il n’y a pas une seule confédération qui n’ait pas pris des positions sur les politiques climatiques. Pendant la COP21, une coalition de syndicats a par exemple lancé un moratoire sur la fracturation hydraulique. C’était inimaginable il y a encore quelque temps.
Où en sont les syndicats du secteur du charbon en Pologne ou en Afrique du Sud, pays très dépendants de cette industrie ?
Anabella Rosemberg En Pologne, ils ont fait le choix de remettre en question la science et de nier le réchauffement. Je ne pense pas que ce soit faire une faveur aux mineurs… La transition doit se faire, et nous avons intérêt de profiter que nous sommes encore forts pour obtenir qu’elle se fasse dans de bonnes conditions. C’est le parti qu’ont pris les syndicats sud-africains, dont les secrétaires généraux le disent clairement : nous ne voulons pas que nos enfants meurent dans des mines, et si l’opportunité de faire émerger de nouvelles industries existe, nous voulons la saisir. Quant à la CSI, elle défend l’idée qu’il y aura toujours des travailleurs dans l’énergie. C’est l’énergie de demain qui ne sera plus la même. Le mouvement syndical a toujours évolué avec les secteurs et les filières. Je ne pense pas qu’il faille avoir peur.
Anabella Rosemberg est Conseillère politique 
pour la Confédération syndicale internationale

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