lundi 28 décembre 2015

La Corse, miroir d’une France gangrenée par le racisme

La Corse, miroir d’une France gangrenée par le racisme

FRÉDÉRIC DURAND, GÉRALD ROSSI, AURÉLIEN SOUCHEYRE ET DOMINIQUE WIDEMANN
Lundi, 28 Décembre, 2015
L'Humanité

Les discours guerriers et les mesures empruntées au FN par l’exécutif, loin d’apaiser le climat social et politique, l’exacerbent. En Corse, violences et amalgames xénophobes se succèdent depuis cinq jours.
Ni conférence de presse, ni visite sur place, c’est par un simple tweet que Manuel Valls a commenté les événements qui bousculent la Corse depuis le 24 au soir : « Après l’agression intolérable de pompiers, profanation inacceptable d’un lieu de prière musulman. Respect de la loi républicaine », sermonne le premier ministre sur les réseaux sociaux. Prompt à dénigrer le prétendu angélisme de tous ceux qui refusent l’escalade sécuritaire, l’exécutif, loin de contenir les dérives antirépublicaines, semble désormais les nourrir. Répétant à l’envi que la France est en état de guerre – « Une partie de la gauche s’égare au nom de grandes valeurs en oubliant le contexte, notre état de guerre… », assenait encore le locataire de Matignon, dimanche, pour justifier l’inscription dans la Constitution de la déchéance de la nationalité –, il a plus sûrement ouvert les vannes d’un désordre latent que la voie de l’apaisement.
C’est dans ce contexte extrêmement tendu que les agressions de deux pompiers et d’un policier perpétrées par des délinquants, jeudi, dans le quartier des Jardins de l’Empereur, cité pauvre d’Ajaccio (Corsedu- Sud), ont donné prétexte à un déferlement de haine raciste sans précédent dans l’île et dans le pays. Au slogan de « Arabi fora » (les Arabes dehors), des manifestants ont fi ni, vendredi, par saccager une salle de prière musulmane et brûler des exemplaires du Coran. « On sait (…) qu’il y a un certain nombre de groupuscules d’extrême droite qui s’agitent en Corse depuis quelques mois.
Ça nous inquiète parce que c’est une idéologie qui est importée, qui ne devrait pas avoir droit de cité en Corse », a justifi é, hier, le leader indépendantiste et nouveau président de l’Assemblée de Corse Jean-Guy Talamoni. « La plupart des gens qui ont sympathisé avec ceux qui ont dévasté le centre de culte sont des gens qui ne votent pas pour le nationalisme, qui ne soutiennent pas les nationalistes, ce sont des gens qui à notre avis votent plutôt Front national », ajoute le responsable politique. La Corse n’est plus à l’abri de la montée du Front national Symbole de cette évolution, le 28 février 1992, alors que Jean-Marie Le Pen se rend en Corse, son avion est empêché d’atterrir à Bastia, il se verra ensuite contraint d’annuler son meeting à Ajaccio. Exactement vingt ans plus tard, la fille du fondateur du FN trouvera pour sa campagne de l’élection présidentielle de 2012 un accueil chaleureux dans l’île et, surtout, obtiendra 24,4 % des suff rages.
Soit un score de 6 points supérieur à celui réalisé sur l’ensemble du territoire français. Même si les 10,5 % du premier tour des dernières élections régionales ont placé le FN insulaire loin derrière les chiff res continentaux, longtemps à l’abri de la montée de l’extrême droite, la Corse est aujourd’hui incontestablement touchée par ce phénomène d’ampleur nationale. Lors des régionales, en 2010 comme en 2004, le FN affi chait encore des scores très modestes, entre 3,7 % et 4,8 %. Dans l’Assemblée de Corse (conseil régional disposant de plus de pouvoirs que les régions métropolitaines), l’extrême droite dispose désormais de 4 sièges, contre zéro auparavant. Et, si lors des départementales d’avril 2015, en Haute-Corse, il n’était pas parvenu à se qualifi er pour le second tour, en Corse-du-Sud en revanche, le parti frontiste avait engrangé 8,3 % dès le premier tour, et totalisera 28,5 % des suff rages au second, dans un duel face à l’UMP.

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