lundi 5 septembre 2016

Apple condamnée à verser 13 milliards à l’Irlande… qui n’en veut pas

Apple condamnée à verser 13 milliards à l’Irlande… qui n’en veut pas

Pierric Marissal
Lundi, 5 Septembre, 2016
 
Manifestation pour réclamer au gouvernement d'accepter la somme et de sortir du modèle de paradis fiscal
Manifestation pour réclamer au gouvernement d'accepter la somme et de sortir du modèle de paradis fiscal
AFP
La situation est complètement ubuesque. La commission européenne souhaitant lutter contre l’exil fiscal demande au champion de la discipline de rembourser pas moins de 13 milliards d’euros à l’Irlande. Mais l’île, qui tient fermement à son statut de paradis fiscal n’en veut pas et fait appel.
"Toutes les entreprises doivent payer leur part. C'est d'abord et avant tout une question d'équité qui a aussi des implications pratiques urgentes. Nous ne pouvons pas laisser tomber nos écoles, nos hôpitaux et nos services publics qui ont besoin de cet argent" a assuré le président de la Commission Européenne, Jean-Claude Juncker. "Nous appliquons les règles, nous fondons nos décisions sur les faits et la législation", a-t-il affirmé dimanche, en marge du G20 de Hangzhou en Chine.

0,005 % d’impôt

Selon ces faits, Apple devrait rembourser 13 milliards d’euros au gouvernement irlandais. Cette somme représente pas moins de 3 mois de dépenses publiques en Irlande, ce qui est considérable à l’échelle de ce pays, qu’il entend pourtant refuser. Cette lourde amende est due en tant qu’arriérés d’impôts, puisque la Commission considère à juste titre qu’Apple a bénéficié d’avantages fiscaux, sauf que ceux-ci ont été négociés directement avec le gouvernement irlandais.
Dublin pratique depuis plusieurs années une politique fiscale extrêmement avantageuse à destination des multinationales, avec un taux de base d’impôt sur les sociétés de 12,5 %, encore amélioré par la pratique du tax ruling ou rescrits fiscaux qui sont des accords négociés directement entre l’entreprise et l’administration pouvant mener à la quasi-exemption. C’est ainsi qu’Apple contribuait déjà ridiculement peu en 2003, à seulement 1% de ses bénéfices, somme qui a diminué jusqu'à 0,005% en 2014. En échange de ces largesses, les entreprises installent leurs sièges en Irlande et y créent des emplois, même si de très nombreux expatriés figurent parmi les 170 000 salariés des multinationales implantées sur l’île.
Apple comme le gouvernement irlandais se pourvoient donc en appel.

Un enjeu politique

S’ériger en paradis fiscal est devenu, encore plus avec la crise de 2008, un très égoïste moyen de développement économique, au détriment de tous les voisins. Mais la concurrence entre les pays s’accélère, notamment depuis que la Grande Bretagne a annoncé envisager baisser grandement également son impôt sur les sociétés, et donc de marcher directement sur les platebandes de l’Irlande. Le gouvernement libéral de droite a fait le choix de s’engager toujours plus sur la voie des paradis fiscaux.
Du côté de la Commission, ce coup de communication contre Apple est tout autant politique. Son président, Jean-Claude Juncker a dirigé pendant 19 ans le Luxembourg, celui même qui a transformé le Grand Duché en Paradis fiscal. Les entreprises peuvent même y négocier leur propre taux de TVA, ce qui a fait la joie des vendeurs en ligne... dont un certain iTunes, la plateforme de vente d’Apple. Ce même Juncker a dû repousser des appels à la démission quelques semaines à peine après son arrivée à la présidence de la Commission alors que le scandale LuxLeaks révélait ce même genre d’arrangements fiscaux passés entre son pays et des grandes entreprises. Il est certainement la personne la plus mal placée pour se poser en chef de fil de la lutte contre l’évitement fiscal, pour essayer de réconcilier les peuples européens excédés par l’austérité et les élites de Bruxelles…
D'autres dossiers pourraient suivre, a prévenu Margrethe Vestager, la Commissaire à la concurrence, puisque que les 800 fonctionnaires de ses services travaillent sur un millier d'enquêtes concernant les pratiques fiscales d'entreprises et leurs relations avec des gouvernements soucieux d'attirer des investissements.
Amazon et McDonald's font ainsi l'objet d'enquêtes sur leur fiscalité au Luxembourg tandis que la Commission européenne a ordonné à Starbucks de reverser 30 millions d'euros à l'Etat néerlandais.
13 milliards d’euros, c’est énorme pour l’Irlande moins pour Apple dont le trésor de guerre, planqué dans les îles vierges britanniques, ne cesse de croître inutilement pour atteindre bientôt les 200 milliards. L’argent planqué dans les paradis fiscaux par les multinationales devrait dépasser cette année les 2500 milliards de dollars et ainsi approcher le PIB français.

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