jeudi 1 septembre 2016

Marc Riboud, le photographe de la Fille à la fleur

Marc Riboud, le photographe de la Fille à la fleur

Magali Jauffret
 
Manifestation contre la guerre du vietnam devant le pentagone, à washington, le 21 octobre 1967. photo Marc Riboud
Manifestation contre la guerre du vietnam devant le pentagone, à washington, le 21 octobre 1967. photo Marc Riboud
À 93 ans, l’un de nos plus grands maîtres du noir et blanc s’en est allé, nous laissant des images iconiques engagées qui resteront dans l’histoire.
Perpignan (Pyrénées-Orientales), envoyée spéciale.
Il n’y a pas un seul être humain occidental qui n’ait été interpellé, un jour, par une photographie de l’inégalable Marc Riboud. L’annonce de son décès à 93 ans, hier, au festival Visa pour l’Image de Perpignan, a provoqué un choc, même s’il nous manquait déjà depuis quelques années, retiré de ce monde qui l’avait passionné, comme absent de lui même.
Au Couvent des Minimes, l’œil exercé du maître agit par delà la mort. Une exposition nous entraîne à Cuba, en novembre 1963. Ce reportage d’anthologie est plein de la jeunesse de la révolution, de la gouaille des ouvriers, cultivateurs de tabac et de canne à sucre, des codes visuels de l’ile insurgée, des attitudes très libres de beautés aux postérieurs généreux.
Castro dans la chambre d’hôtel
Mais c’est la présence décontractée de Fidel Castro venu, en pleine nuit, retrouver jusque dans leur chambre d’hôtel, Marc Riboud et Jean Daniel, alors envoyés spéciaux de l’Express, qui l’emporte. Pensez donc, la crise des missiles ne date que d’un an. Jean Daniel a rencontré quelques jours plus tôt Kennedy qui l’a chargé de messages pour Fidel Castro. Il faut voir les images de Marc montrant les mimiques du Leader Maximo se faisant préciser, répéter paroles, expressions, intonations du président américain, avant, sur le coup de 4 heures du matin, de les embarquer dans sa vieille bagnole américaine, assis à côté de son chauffeur, une kalachnikov à ses pieds, pour une virée dans l’ile, en leur posant mille questions sur le général De Gaulle ! Quelques jours plus tard, Kennedy est assassiné à Dallas… Tous les ingrédients du scoop étaient là. Cinquante deux ans plus tard, elles sont d’ailleurs toujours aussi puissantes.
« C’était un grand humaniste, un grand bonhomme » a déclaré hier le directeur de Visa pour l’Image Jean François Leroy. « Marc est le photographe qui a fait le plus de photos historiques dans sa vie. C’était un très grand monsieur. Beaucoup de photographes se sont inspirés de lui sans jamais l’égaler ».
Une hippie, la fleur à la main
C’est bien vrai. Ses clichés témoignent en outre de sa forte implication : « La fille à la fleur », un des clichés les plus célèbres de l’histoire, c’est lui ! Pris en 1967 devant le Pentagone, à Washington, il montre une brunette, cheveux courts et vêtements hippie, une fleur à la main. L’intensité dramatique de l’image est à son comble car la sérénité de son visage contraste avec les baïonnettes de la garde nationale pointées sur elle, prêtes, en pleine guerre du Viêt-Nam, à charger cette manifestation pacifique.
"Les circonstances font que j'étais là au bon moment. J'avais marché toute la journée depuis très tôt le matin. J'avais appris qu'il y avait une manifestation énorme à Washington par une autre manif' à Berlin. J'ai suivi le mouvement toute la journée. Il y avait près d'un million de manifestants qui se sont séparés en petites troupes. Alors qu'il ne restait presque plus personne, la nuit tombait, j'ai eu la chance d'être le seul à avoir cette scène" racontait modestement Marc Riboud.
En réalité, le cadrage de cette image, qui isole cette jeune fille,  donnant un visage à l’ensemble des manifestants pacifistes, ce qui n’est pas le cas, en face, de la masse informe des soldats, relève de choix éthiques et politiques. La captation de ce temps suspendu a beaucoup compté pour l’opinion qui ne voulait plus de cette sale guerre. Et Marc Riboud savait de quoi il parlait, lui qui avait couvert les combats et du côté américain, et du côté Nord Viêt-Namien, ce qui n’était pas courant à l’époque.
Dans le maquis du Vercors
Né en 1923 dans une famille bourgeoise lyonnaise, Marc Riboud était le cinquième d'une fratrie de sept enfants parmi lesquels Jean Riboud, patron de Schlumberger et Antoine Riboud, fondateur et PDG de Danone. Le jeune Marc démarre la photo à l'âge de 14 ans avec un Vest Pocket Kodak que lui offre son père, banquier et homme de culture.
Après avoir pris en 43-44 le maquis dans le Vercors, le jeune homme est élève de l'école Centrale de Lyon de 1945 à 1948. Il travaille ensuite comme ingénieur dans une usine de Villeurbanne avant de se consacrer à la photographie.
En 1952, il monte à Paris où il rencontre Henri Cartier-Bresson et Robert Capa, les créateurs de l’agence Magnum qui seront ses mentors. Il intègre l'agence en 1953, alors que paraît dans Life sa célèbre photo de Zazou, le peintre en salopette et en espadrilles qui repeint les poutrelles de la Tour Eiffel.
Riboud part en Angleterre, aux Etats-Unis, puis s'embarque pour un voyage planétaire. Il ira en Inde, en Chine - qu'il est en 1957 l'un des premiers européens à parcourir - en Algérie où il couvre avec brio le moment de l’indépendance, en Afrique noire, au Vietnam, au Bangladesh, au Japon. Il est alors publié dans de nombreux magazines comme Life, Geo, National Geographic, Paris-Match ou Stern. Président de Magnum de 1974 à 1976, il quitte l'agence en 1979 parce qu'il "n'aime pas la compétition pour la gloire" qui s'y développe. C’est dit !
La Chine par tous les temps
On retient souvent de Marc Riboud qu’il fut le portraitiste d’une Chine en mouvement. Il est vrai que très attaché à ce monde, dont il savait capter les paysages célestes, les scènes de rue, les jeux d’enfants (que de beaux souvenirs , ensemble, à Pingyao, lorsque nous entrions dans les cours et découvrions un monde que même les gardes rouges n’avaient pas abimé !) mais aussi le déclin de civilisation, lorsqu’y sévissait la révolution culturelle.
Le grand éditeur Robert Delpire nous confiait hier : « Marc Riboud a parcouru la terre, de la Chine à l’Arabie, du Viêt-Nam aux Etats-Unis, mais il se voyait plutôt en promeneur qu’en voyageur. Il n’était pas un reporter classique. Rétif à la violence, mais happé par la curiosité de voir malgré tout, étranger à la curiosité de l’événement, il restait sous le charme du monde. De la révolution culturelle aux manifs anti-Nixon, inquiet du pouvoir des images, il attendait que la vérité intérieure monte à la surface des choses. Je garde notre amitié en mémoire ». Quant au photographe américain Louis Stettner, il nous envoyait le message suivant : « Marc Riboud n'était pas seulement un collègue. Il a travaillé,  comme moi, en embrassant la réalité avec ferveur pour y trouver tout ce qui est le plus humain et le plus juste. Avec le peintre de la Tour Eiffel, il se révèle aussi un profond Français, montrant son amour de tous, fin, gai, joyeux dans la vie, d’une grande élégance. Quant à la fille à la fleur face aux fusils, il a capturé là un grand moment de l'histoire qui prouve que le courage peut tout conquérir. Cher Marc Riboud, je t'embrasse."
Il avait reçu le Prix Nadar en 2012 pour le magnifique et intimiste Vers l’Orient (éditions Xavier Barral).

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