L’agriculture biologique pourra-t-elle nourrir la planète ?
les grands débats de le fête
compte rendu réalisé par Marion d’Allard et Marie-Noëlle Bertrand
Mercredi, 14 Septembre, 2016
L'Humanité
D’un côté, une population mondiale qui augmente et, avec elle, ses besoins en nourriture. De l’autre, une agriculture conventionnelle soutenue par un système intensif, responsable de la dégradation des ressources. Au centre, une question posée samedi à la Fête de l’Humanité : comment l’agriculture peut-elle répondre au double enjeu environnemental et alimentaire ?
L’agriculture biologique peut-elle nourrir la planète ? La question tend à se poser avec d’autant plus de sérieux que le système intensif qui domine est attaqué pour ses impacts environnementaux et sociaux délétères. Marc Dufumier, professeur émérite d’agriculture comparée à AgroParisTech, Christiane Lambert, vice-présidente de la FNSEA, syndicat agricole majoritaire, Fanny Gaillanne, conseillère PCF-Front de gauche de Paris, porteuse d’un projet de halles alimentaires solidaires dans la capitale, et Claude Gruffat, de Biocoop, premier réseau bio en France, en ont débattu samedi, dans l’espace consacré à l’économie sociale et solidaire de la Fête de l’Humanité.
N’en demandons-nous pas trop à l’agriculture biologique en faisant d’elle la réponse aux déséquilibres environnementaux et sociaux induits par les systèmes actuels ?


L’amélioration de l’agriculture conventionnelle peut-elle suffire à répondre aux enjeux ?
Marc Dufumier Toute notre agriculture va devoir changer. Les antibiotiques dont on retrouve des traces dans la viande favorisent l’antibio-résistance ; les traces de perturbateurs endocriniens dans les fruits et légumes font courir le risque d’une multiplication, d’ici une quarantaine d’années, des cancers hormonaux dépendants... C’est, dès à présent, qu’il faut stopper cela ! Or, une chose est claire : l’utilisation des produits phytosanitaires ne diminue pas. On échoue totalement dans ce domaine. C’est vrai que monsieur Pisani disait qu’il y a de la place pour toutes les agricultures. Mais il parlait des diversités de terroirs, au Nord, au Sud... En aucun cas de faire coexister une agriculture bio avec une agriculture industrielle.
Comment rendre accessible à tous le bio qui, aujourd’hui, coûte plus cher que le conventionnel ?


Cette cherté relative est-elle inéluctable ?
Fanny Gaillanne Cette idée est très ancrée dans l’imagerie collective : le bio, c’est cher. Il y a différentes expériences sur ce point – celle des urbains et celle des ruraux, singulièrement. Et il est clair que les personnes qui se rapprochent des associations type Amap ou qui se rendent dans les Biocoop sont issues des catégories sociales moyennes ou supérieures, ou sont déjà sensibilisées à l’environnement. Quoi qu’il en soit, elles font ce choix de mettre un prix plus élevé dans leur alimentation. Je pense que ce n’est pas inéluctable. Longtemps, on a individualisé notre rapport à l’environnement, via des injonctions culpabilisantes – Mangez bio ! Achetez de la lessive sans phosphate ! –, sans suffisamment mettre en cause le système global. Mais je suis convaincue que l’on peut changer les choses. Si l’on ne parle que de la « marque » bio, qui signifie juste que le prix est plus cher et sans se soucier d’où viennent les produits et de leur bilan carbone, le bio ne peut pas être une solution. Il ne faut pas oublier qu’il y a derrière un système global qui influe sur les prix et l’image que l’on a de cette agriculture et de notre aptitude à y accéder.
Claude Gruffat Oui le bio est plus cher, et je le revendique. On ne peut pas dire : je fais de l’environnement et du social ici, et le vendre à concurrence de produits fabriqués à l’autre bout de la planète, sur un social et un environnement dégradés. Cela n’empêche pas de travailler sur cette question. D’abord, je vous invite à vérifier, le bio n’est pas plus cher aujourd’hui que certains produits conventionnels dans le secteur des fruits et légumes. La consommation de produits de saison renforce ce fait. Concernant les autres produits, la façon même de consommer permet d’améliorer l’accessibilité prix. Nous avons opté pour la vente en vrac : d’abord, c’est démarqué, et le consommateur ne paye pas le packaging. Cela lui offre aussi le moyen de se servir en fonction de son juste besoin et limite de fait le gaspillage. Rappelons-le enfin : le bio, de par son mode de production et de transformation, ne génère pas d’externalités négatives. À savoir de factures archivées pour la postérité. La dépollution des sols ou de l’eau a un coût qui devra être payé un jour ou l’autre. Or, si l’on incluait ce coût en rayons, le conventionnel serait nettement plus cher que le bio.
Christiane Lambert Je suis d’accord : un agriculteur en bio, même s’il perçoit des aides, fait le choix de rendements inférieurs. Cette année, celui du blé est en moyenne de 54 quintaux à l’hectare. Dans ma région, un producteur bio n’en tirera que 17 quintaux. Ce qui m’inquiète, c’est de voir la grande distribution lancer des promos sur des produits bio. Sous prétexte de le démocratiser, les enseignes tirent le prix payé aux producteurs vers le bas.
Marc Dufumier L’idée que le bio étant cher il n’est bon que pour les bobos, et que partant, les couches modestes n’auraient le droit qu’aux perturbateurs endocriniens, m’insupporte. Avec les 9 milliards d’euros consacrés au verdissement de la PAC, on pourrait faire en sorte que l’intégralité de la restauration collective, dans les crèches, les écoles, les lycées, soit bio dans six ans. Cette politique d’achat serait payante pour les paysans et permettrait à tous d’accéder au bio. Vous auriez des agriculteurs qui ne vivraient non plus de mendicité et de subventions à l’hectare, mais de la rémunération de leur travail et de la qualité de leur production. C’est ce que beaucoup demandent !
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