jeudi 1 septembre 2016

France info, née dans la douleur

Franceinfo, née dans la douleur

 
La chaîne publique va-t-elle bousculer la hiérarchie des chaînes d’info ?
La chaîne publique va-t-elle bousculer la hiérarchie des chaînes d’info ?
Photo : Lionel Bonaventure/AFP
La nouvelle chaîne d’information en continu prend l’antenne ce soir à 20 heures après des mois de discussions houleuses.
Niché dans l’atrium de France Télévisions, le studio de la nouvelle chaîne publique d’information en continu est tout immaculé. Le décor, la campagne publicitaire et le logo minimaliste sont prêts pour le coup d’envoi ce soir, à 20 heures, sur le canal 27 de la TNT. Pour le reste, rien n’est moins sûr.
Pourtant, l’idée d’une telle chaîne est en réflexion depuis déjà douze ans, soit un an avant le lancement de la TNT en 2005. Le groupe public avance ce souhait mais le CSA lui ferme la porte. Fin 2014, Rémy Pflimlin, alors PDG de France Télévisions, retente sa chance. Plus tard, le projet figure dans le projet contesté Info 2015 porté par Thierry Thuillier, alors patron de l’information de France Télévisions. Dès son arrivée aux commandes de France Télévisions, Delphine Ernotte, qui en avait fait l’un des points forts de son dossier de candidature, annonce son lancement en septembre 2016, d’abord sur le numérique, puis sur la TNT. Restait à articuler le projet à la fois avec France 24, née de la volonté de Jacques Chirac de créer une « CNN à la française », et avec les autres composantes du service public. Aujourd’hui, c’est chose faite : Delphine Ernotte réussit le pari de s’associer avec Radio France, France Médias Monde (France 24) et l’INA. Pour créer France info, qui ne diffusera aucune publicité, 15 millions d’euros sont mis sur la table par France Télévisions, 3,5 millions par Radio France. La chaîne monopolise 176 salariés, dont la moitié est recrutée à l’extérieur. Pour la lancer, techniciens comme journalistes n’ont alors que quatre petites semaines. « C’est une usine à gaz construite dans des délais intenables et dont les fondations ne sont pas achevées », remarque Véronique Marchand du SNJ-CGT.

La radio France Info littéralement aspirée par cette petite sœur

Dès les premières annonces, le projet provoque incertitudes et tensions en interne. Les salariés s’en sentent exclus. Ils le trouvent coûteux et bien trop flou, dans un contexte où France Télévisions parle d’économies et de fusion des rédactions de France 2 et France 3. « La chaîne info ne doit pas se faire non plus au prix d’une contrainte budgétaire, contrainte que les salariés de France Télévisions subissent depuis de nombreuses années et qui empêche tout développement de notre entreprise », soulignait le syndicat FO de France Télévisions, en juillet. Trois mois avant, déjà, une motion de défiance est votée contre Michel Field, fraîchement nommé à la direction de l’info. « Le projet a mis en branle les équipes qui ne sont pas habituées à travailler ensemble. Il y aura de toute façon une montée en charge progressive », clamait Michel Field, cet été.
Dans les nombreux points noirs, le cas de la radio France Info, pionnière dans l’information en continu depuis trente ans, littéralement aspirée par cette petite sœur. En avril, les sociétés de journalistes de France Télévisions jugent « inacceptable » le choix de poser le nom de la station sur la chaîne. Plus tard, ils apprennent que, sur les 160 journalistes de l’antenne, une trentaine va devoir jongler sur les deux formats, radio et télévision : en plus de trois programmes diffusés en simultané, dont l’interview matinale de Jean-Michel Aphatie, la pastille « l’Info » alimentera la chaîne toutes les dix minutes, depuis la Maison ronde. « On n’est pas contre cette télé, mais on ne veut pas perdre notre âme dans sa création. Si cette chaîne ne réussit pas, ou qu’elle annonce une fausse info, elle nous engage », explique Célia Quilleret, déléguée du personnel SNJ. Autre annonce : la fusion des sites francetvinfo.fr et franceinfo.fr au 24 août, qui réunit la quarantaine de salariés du site France Télévisions (FranceTVInfo) et les onze journalistes Web de Radio France. La jeune équipe de FranceTVInfo, qui avait réussi à imposer son nom dans le paysage de l’information numérique, exprime son inquiétude. « Ce n’était pas si évident, il y a un an, de réunir tous ces partenaires. Nous avons rencontré des aspérités… » convient Marie-Christine Saragosse, patronne de France Médias Monde.
L’apport de France 24 et de ses 140 bureaux à travers le monde ? Des directs de minuit à 6 heures du matin, depuis son siège, en plus d’un journal du monde trois fois par jour et une place au direct en cas d’un événement fort à l’international. L’INA, de son côté, mise sur son savoir-faire pour, « dans un paysage de l’abondance de l’image », répondre à un « besoin d’éditorialiser », explique Laurent Vallet, son président. Car, France info débarque dans un paysage médiatique déjà bien fourni en flots d’images. BFMTV et I-Télé, rétifs à cette nouvelle venue, se partageaient l’audience, bien étroite, avant l’arrivée de LCI sur la TNT gratuite en avril. La chaîne publique va-t-elle bousculer la hiérarchie ? « C’est une offre indépendante du pouvoir politique et privé. Il y aura une place plus importante pour la compréhension de l’actualité. Elle évitera l’information “en boucle” grâce à une grille qui s’appuie sur la richesse des rédactions », argumente Delphine Ernotte. Pour Germain Dagognet, ex-LCI qui a piloté le projet France info, la colonne vertébrale de la chaîne est de « répondre au tournant de la consommation de l’information » sans être dans « le sensationnalisme ». La chaîne est déjà attendue au tournant en cas de grosse actualité. BFMTV et I-Télé n’étaient pas les seules à choquer les téléspectateurs avec leurs traitements médiatiques des attentats... France 2 aussi. Quelle rédaction prendra alors la main ? Celle qui sera le mieux à même de le faire, répond-on à France Télévisions.

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