vendredi 16 septembre 2016

Extraction minière. La concertation ensablée à Lannion

Extraction minière. La concertation ensablée à Lannion

Stéphane Guérard
Mardi, 13 Septembre, 2016
L'Humanité
  
manifestation, à Lannion le 11 Septembre, contre l’extraction de sable par la compagnie armoricaine de navigation. PHOTO FRED TANNEAU/AFP
manifestation, à Lannion le 11 Septembre, contre l’extraction de sable par la compagnie armoricaine de navigation. PHOTO FRED TANNEAU/AFP
AFP
Symbole d’un projet mené sans dialogue, l’extraction de sable marin a débuté au large des Côtes-d’Armor, malgré une large opposition locale.
La baie de Lannion a vu, la semaine dernière, un curieux bateau manœuvrer sur ses flots bleus en bout de Côte de granit rose. Alors que la nuit de mardi à mercredi tombait, le Côtes de Bretagne, l’un des deux navires extracteurs de la Compagnie armoricaine de navigation (CAN), a débuté le pompage de sable coquillier au large de ces Côtes-d’Armor. Voilà six ans que sa venue était redoutée et combattue. Au gré d’une décision judiciaire favorable reçue la veille, ce début d’opération en nocturne est à l’image de la gestion obscure de ce projet minier. Le manque de concertation publique a fini par susciter crainte et rejet de la part de la quasi-totalité de la population locale et des élus.
Ce ne sont pas seulement les quatre mille opposants au projet réunis à Lannion dimanche qui le disent. En ce coin sauvage et taiseux de nord Bretagne, il faut y aller fort pour mettre les gens du cru en pétard. Leur colère a pourtant explosé. « Non au pillage » ou « Stop, la CAN dégage », pouvait-on lire au cours de la manifestation. « Le fait de commencer en pleine nuit, c’est des méthodes de voyous ! », s’est étranglé Yves-Marie Le Lay, président de Sauvegarde du Trégor.
Même Emmanuel Macron avait convenu que ce dossier était mal ficelé. C’était en avril 2015. En marge d’une réunion de concertation avec les opposants, le ministre de l’Économie d’alors, en charge comme ses prédécesseurs de ce dossier fumant, s’était laissé aller à quelques confidences. « Pour lui, ce dossier était un dinosaure, un échec collectif, l’exemple d’une époque révolue où les industriels et l’administration réglaient les choses dans leur coin, alors qu’aujourd’hui, les citoyens sont de plus en plus sensibles à ce genre de projet et veulent donner leur avis », nous racontait, quelques jours après l’entrevue, un membre du collectif du Peuple des dunes. Ces confidences n’avaient pour autant pas empêché le ministre de donner son feu vert à l’extraction, moyennant certaines limitations qui n’avaient contenté personne.

Domaine du lançon, le « garde-manger » de la faune marine locale

Il faut dire que le dossier était déjà bien mal emmanché. C’est en 2007 que le feuilleton du sable de Lannion débute. Le Grenelle de l’environnement préconise alors l’abandon, dès 2013, de l’extraction du maërl. Cette accumulation de débris marins riches en calcaire est utilisée de longue date par l’agriculture comme fertilisant naturel. Les exploitants bretons en sont friands pour leurs terres granitiques. Spécialiste de la nutrition végétale, animale et humaine, le Groupe Roullier (3,1 milliards de chiffre d’affaires en 2013, un poids lourd en Bretagne) possède justement une filiale dévolue au maërl : la CAN. En quête de substitut, le groupe malouin se convertit aux sables calcaires marins coquilliers. Disposant de trois lieux d’exploitation en Bretagne, il en vise un quatrième. La baie de Lannion recèle justement une belle dune sous-marine de quatre kilomètres carrés. Une demande d’extraction de 400 000 m3 par an sur vingt ans (soit l’équivalent de la tour Montparnasse chaque année) est déposée en 2010. Et pour mettre toutes les chances de son côté, la société rappelle que la préservation de vingt-cinq emplois est en jeu.
Mais pas besoin de se fâcher car le hasard fait toujours bien les choses. Sous insistance de Bruxelles, les zones Natura 2000 en mer viennent justement d’être dessinées. La baie de Lannion se trouve bien protégée par deux de ces vastes zones. Une seule portion n’est pas comprise… et la fameuse accumulation de sables coquilliers s’y trouve fort à propos. En deux ans et demi exactement, dont un mois d’enquête publique, fin 2010, toutes les procédures nécessaires à l’obtention de l’autorisation d’ouverture de travaux miniers ont été scrupuleusement suivies. L’affaire allait bon train… jusqu’à ce que les habitants du coin tiquent.
La dune marine est connue des pêcheurs. C’est là que le lançon, poisson « garde-manger » de la faune marine locale, a élu domicile, que les bars et lieux frayent et que les phoques aiment à pointer leur museau. Mais aucun état initial digne de ce nom de cette richesse naturelle n’a été dressé. La demande de concession s’en trouve fragilisée. La dizaine de pêcheurs locaux s’émeuvent. Les clubs de pêche loisir, très nombreux, aussi. Ce qui est mauvais pour le nautisme et le tourisme est néfaste à la région. Les collectifs citoyens s’érigent, alors que les agriculteurs, eux, se taisent. Les élus donnent de la voix. Le défaut de concertation premier du Groupe Roullier ajouté aux décisions unilatérales des administrations augmentent la défiance locale. Celle-ci atteint son paroxysme lorsque, en avril 2015, soit un mois après les élections départementales, Emmanuel Macron donne son feu vert au projet. La limitation (250 000 m3) et la progressivité de l’extraction, sa suspension de mai à août, ainsi que l’établissement d’un comité de suivi du milieu naturel n’atténuent pas le sentiment d’être confronté au fait du prince. Le feuilleton s’invite aujourd’hui dans la présidentielle. Jusqu’alors prudente sur l’affaire, Ségolène Royal a fustigé, la semaine dernière, la décision de Macron, fraîchement démissionnaire du gouvernement. La ministre a reçu, hier, les opposants. En attendant une ultime décision du Conseil d’État, la CAN fait valoir la légalité des procédures. Les opposants, la légitimité de leur nombre. Et les sables de Lannion de s’enliser.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire