jeudi 8 septembre 2016

Le grand désespoir des paysans français

Le grand désespoir des paysans français

Gerard Le Puil
Jeudi, 8 Septembre, 2016
Humanite.fr

 

afp
Plus  les semaines et les mois passent, plus l’année 2016 se révèle catastrophique  pour les paysans français comme pour leurs homologues des autres pays membres de l’Union  européenne. 2016 aura été une année de chute des rendements et de pertes de récoltes en raison des aléas climatiques. Parallèlement, les prix mondiaux sont au plus bas, du fait d’une offre planétaire qui reste supérieure à la demande solvable. Pour le moment. 
Hier, une journée d’action des producteurs spécialisés en viande bovine contre le groupe Carrefour et deux conférences de presse tenues à Paris ont confirmé hier la situation dramatique que vivent beaucoup de paysans en cette année 2016. Le même jour sont tombés les chiffres des douanes nous montrant que le déficit commercial de la France s’est encore creusé en juillet pour atteindre 4,5 milliards d’euros, le déficit sur les douze dernier mois étant de 47,5 milliards d’euros contre 45,8 milliards d’euros pour les douze mois précédents.
 
L’agriculture étant traditionnellement un secteur excédentaire dans notre balance commerciale, les effets cumulés de la baisse de 30%  de la récolte céréalière en 2016 par rapport à 2015 et la baisse du prix des produits laitiers et de la viande vont durablement réduire la valeur de nos exportations agricole. Guy Vasseur, président de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA) qui coordonne l’activité des chambres départementales, estimait hier à plus de 3 milliards d’euros le manque à gagner pour notre commerce extérieur dans le seul secteur céréalier. La baisse des rendements céréaliers est le résultat des aléas climatiques des mois de mai et juin. Ils ont été marqués par de fortes pluies et un manque de luminosité diurne. Cela fut défavorable à la formation des grains dans les épis dans nos principales zones céréalières. Mais, comme la récolte mondiale est abondante les prix mondiaux restent bas, et le blé français se vend 154€ la tonne quand il arrive aux ports d’embarquement pour l’exportation.
 
Le président de l’APCA affirmait hier ne pas se souvenir  d’une année aussi noire dans des secteurs agricoles aussi divers que les céréales, la production laitière, la viande, bovine, les fruits et légumes et la vigne. Les rendements de ces productions en 2016 sont en chute à cause du mauvais temps, le gel et la grêle pour la vigne et les arbres fruitiers, les inondations pour les légumes. Du côté des éleveurs d’herbivores, la sécheresse de cette fin d’été vient réduire le rendement des prairies pâturées tandis que les champs de maïs destinés à l’ensilage pour la nourriture hivernale du bétail vont perdre du rendement faute de pluie au bon moment. Ajoutons que beaucoup d’éleveurs ont aussi récolté des foins de qualité médiocre en raison des pluies de mai et juin. Du côté des prix, le 1.000 litres de lait sont rarement payés plus de 300€ cet été contre 360 à 380€ deux ans plus tôt avant la sortie des quotas laitiers. Cette décision européenne a été acceptée par la France dès 2010 mais contestée par l’APCA a rappelé hier son président.
 
Ce contexte difficile engendre beaucoup de  détresse dans les campagne, comme le montrait hier le témoignage de Mickael Poillion dans les pages « débats et controverses » de l’Humanité. Guy Vasseur a indiqué hier que les chambres départementales d’agriculture sont appelées à se mettre à l’écoute des paysans en difficulté pour dispenser du conseil en vue de dégager des pistes de sortie de crise. « Quand ils vont dans les fermes, beaucoup de nos techniciens rencontrent des gens en larmes et il arrive que des femmes s’inquiètent de savoir quel sera le comportement du mari confronté à  une situation particulièrement difficile dans un nombre élevé d’exploitations », a déclaré Guy Vasseur. Il estime que 50% des paysans de son département du  Loir -et -Cher connaissent cette année des difficultés importantes, qu’ils soient éleveurs ou céréaliers.
 
C’est dans ce contexte que les éleveurs de bovins à viande ont mené hier des actions dans les magasins du groupe Carrefour en vue d’obtenir de sa direction de « nouvelles relations commerciales » qui prennent compte les coûts de  production pour les vaches allaitantes de réforme qui sont avec les laitières de réforme les principaux bovins de boucherie consommés par les Français, les jeunes bovins étant davantage exportés. Lors de ces manifestations à proximité des magasins Carrefour, les éleveurs ont suggéré aux clients d’acheter leur viande bovine chez  Système U, dont le PDG asigné une charte avec le syndicat des éleveurs. A l’issue de cette journée d’action, l’avertissement semble avoir été entendu. Selon la FNB,  « à l’issue d’une journée nationale d’action et d’un long échange de vues sur l’avenir de la filière bovine, la direction du groupe Carrefour, enseigne leader  de la grande distribution française, s’est engagée dans la mise en place du cœur de gamme  , qui consiste à mieux payer les bovins de boucherie issus des races à viandes. Toujours selon la FNB, « la direction du groupe confirme sa volonté de participer à la mise en place, sans délai, d’un outil de traçabilité (…) permettant de s’assurer du retour de la valeur à l’éleveur ». Notons que tout cela semble néanmoins fragile dans un contexte  européen d’augmentation de l’offre en viande bovine et de diminution de la demande.
 
Du côté des producteurs de lait, le fait d’avoir amené Lactalis à augmenter le prix de 5€ par mois les 1.000 litres d’août à décembre pour arriver à 300€ fin d’année ne permet toujours pas aux producteurs de gagner leur vie alors que les profits des laiteries se portent bien. Mais le problème est européen en raison d’une offre de lait supérieure à la demande tandis que la Commission  européenne et les dirigeants politiques des pays membres de l’Union ont aggravé la situation avec deux actions lourdes de conséquences. La première fut de sanctionner la Russie sur le plan économique voilà deux ans et de confirmer cette sanction voilà quelques semaines. Car cela se traduit depuis par l’embargo russe sur les exportations européennes de toute denrée alimentaire, dont les produits laitiers. La seconde a été de financer le stockage de la poudre et du beurre au lieu de mettre en place des mesures de réduction de la production laitière qui, a budget constant, auraient été plus efficaces pour faire remonter les cours. On sait que cette dernière mesure arrive tard et les dirigeants de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL) semblent dubitatifs sur l’accord européen de réduction volontaire de la production que des producteurs pourront signer individuellement à la fin de septembre pour les trois dernier mois de l’année. En France , ils percevront une ristourne de 24 centimes d’euros pour chaque litre de lait non produit s’il diminuent leur livraison mensuelle de 5%  par rapport aux trois derniers mois de 2015. 
 
La  FNPL estime qu’un tel accord ne peut être efficace que s’il est appliqué dans tous les pays européens producteurs de lait. Mais aucun producteur n’est obligé d’y souscrire dès lors qu’il s’agit d’un volontariat individuel. Finalement, les quotas par pays ont montré durant 31 ans que cette forme de régulation avec un volume à la fois national et individuel à ne pas dépasser était, sans déboucher sur une production figée d’une année à l’autre, la manière la plus intelligente pour réguler la production laitière et maintenir des éleveurs sur tous les  territoires. Mais cette régulation enfreignait les dogmes du libéralisme économique cher à la Commission européenne comme à des dirigeants politiques dont certains admettent aujourd’hui, en petit comité, qu’il aurait mieux valu garder les quotas.  

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