mardi 23 février 2016

Au Mans, mieux se connaître pour limiter les peurs

Au Mans, mieux se connaître pour limiter les peurs

Joseph Korda
Lundi, 22 Février, 2016
Humanite.fr

A travers diverses initiatives, comme la soirée des voeux baptisée "Le Mans goûte le monde", la municipalité de la Sarthe veut être la vitrine d’une diversité assumée. Un pied-de-nez à ceux qui la présentent trop souvent comme une ville de province tétanisée par les "étrangers"... Reportage
Le Mans, envoyé spécial
Côté cour, on croise le fantasme d’une guerre de civilisations et d’un « grand remplacement », délires nourris et colportés par les Zemmour et autres caciques d’extrême droite. Le dernier volet de leur série complotiste ? Des hordes barbares s’attaqueraient à nos chères villes de province, à l’image du Mans, paisible préfecture de la Sarthe. Des reportages orientés, comme celui paru en novembre dernier dans le magazine ultra-réac Causeur, achèvent de crédibiliser ce décor en carton-pâte.
Pourtant, dans la capitale mancelle, la situation est bien éloignée de ces fictions pour apprentis croisés. Ici, une centaine de communautés vivent leur vie sans imposer de modèle à leurs proches voisins.
Mais comme toutes les villes de même importance, Le Mans connaît des problèmes de sécurité et de trafic de stupéfiants. Et en lieu et place d’une politique municipale radicalisée, comme savent la cultiver certains élus sensibles de la gâchette, Jean-Claude Boulard, le sénateur-maire socialiste de la ville, mise sur la cohésion de sa population. Sans a priori, ni angélisme. Comme point d’orgue d’une vie associative parfumée et colorée, il y a désormais la cérémonie annuelle des vœux qui transforme l’exercice mondain en palais de la découverte. Son nom de baptême : Le Mans goûte le monde. « Le point de départ, il y a 5 ans, a été de présenter les plats de Nouvel an de chaque communauté », explique Jean-Claude Boulard, ethnologue de formation. « Face au succès et à la surprise des convives, il faut voir des Touaregs découvrir la cuisine polonaise, nous avons reconduit l’opération chaque année avec un engouement constant ». Preuve que ces échanges ne se résument pas à la seule soirée dépoussiérée des vœux, avec Fabio Rubino et sa société Friendly Time. Cet entrepreneur en événements pour entreprises et particuliers profite de ce terreau fertile pour organiser des soirées à thèmes. Ce jeudi 4 février, il proposait un after work (apéro de sortie de bureaux) autour du Maroc en coopération étroite avec l’association Le Mans Maroc. « Les acteurs locaux ont clairement un rôle à jouer dans la découverte de l’autre et le vivre-ensemble », assure Fabio. Également présent aux vœux, le chroniqueur médiatique Steevy Boulay, ne tarie pas d’éloges sur sa ville. « Ce mélange des cultures est essentiel à ma ville que j’ai toujours connu ouverte au monde ». Un sentiment que confirment les nombreux et longs échanges alentours ponctués de rires et d’accolades, du stand sénégalais à celui des Cht’is en passant par leurs voisins turcs.
Sur l’une des places principales de la ville qui ouvrent la route à plusieurs artères commerçantes, Christophe et Olivier vendent à la criée le journal de leur parti, Lutte Ouvrière. « Ici comme ailleurs, les gens accusent leurs voisins d’un peu tout, mais leur vrai problème, c’est le chômage », assurent-ils, balayant l’idée d’un Mans ghettoïsé. « Il y a certes des économies parallèles, mais en ne s’attaquant qu’à elles, s’attaque-t-on vraiment aux racines du mal ? ».
Face à ce pari du vivre-ensemble, Yves Calippe, adjoint aux Solidarités – il tient particulièrement au « s » de fin – se veut confiant. « Quel que soit leur pays d’origine, les gens apprennent à se parler, à travailler ensemble. Au centre social, on peut goûter une soupe à l’oignon françaises agrémentée de pois chiches. Tout un symbole ! », s’amuse celui qui prend le sujet très au sérieux. En octobre dernier, l’élu accueillait à Paris une vingtaine de réfugiés syriens fuyant les bombardements. Après un bras de fer entre le Quai d’Orsay et les autorités politiques, religieuses et associatives du Mans, ces derniers avaient obtenu un visa pour venir retrouver leur oncle, le docteur Aleid, un médecin syrien installé ici de longue date (). Fin janvier, c’est tout naturellement qu’ils se sont inscrits à la soirée de vœux pour partager gracieusement leurs recettes locales. « Toutes nos actions sont basées sur l’échange », prévient Yves Calippe. « Ici, les associations et les communautés vendent des valeurs, et un art de vivre. Il ne faut jamais perdre de vue que se connaître, c’est limiter les peurs. De chaque côté ».

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