lundi 22 février 2016

Etat d’urgence, trois mois de plus mais pas sans droit pour les citoyens

Etat d’urgence, trois mois de plus mais pas sans droit pour les citoyens

Daniel Roucous
Lundi, 22 Février, 2016

L’état d’urgence est donc prolongé jusqu’au 26 mai. Un état de droit qui n’est pas sans droit pour les citoyens.
La loi prolongeant l’état d’urgence vient d’être publiée au Journal officiel du 20 février 2016. Ce sera donc trois mois de plus à compter du 26 février, soit jusqu’au 26 mai. Sauf, s’il y est mis fin avant par décret en conseil des ministres après compte-rendu au Parlement.
Cette loi n° 2016-162 du 19 février 2016 prolonge surtout l’application de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 à l’origine de l’état d’urgence. De quoi s’agit-il ?
Cela confère aux autorités administratives (procureurs, juges administratifs) le pouvoir d’ordonner des perquisitions en tout lieu, y compris un domicile, de jour et de nuit, saut dans un lieu affecté à l’exercice d’un mandat parlementaire ou à l’activité professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes. Ceci quand il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre public.
La loi précise que la perquisition peut être exécutée sans délai, après information du procureur et en présence d’un officier de police judiciaire… sous réserve que l’occupant ou son représentant soit présent.
La loi permet aussi de copier des données stockées dans un système informatique auxquelles les perquisitions donnent lieux, autrement dit de fouiller dans les ordinateurs, portables et autres des personnes perquisitionnées.
Le Conseil constitutionnel dont on prendre connaissance de sa délibération ici
a jugé cette loi conforme à la Constitution dans la mesure où les règles suivantes sont respectées et que l’état d’urgence est limité dans le temps :
- les perquisitions relèvent de la police administrative et non de l’autorité judiciaire,
- elles ne peuvent avoir lieu que dans les zones couvertes par l’état d’urgence et qu’en cas de péril imminent ou de calamité publique,
- elles doivent être justifiées et proportionnées aux raisons ayant motivé la mesure ayant conduit à la déclaration de l’état d’urgence. Par exemple une perquisition se déroulant la nuit dans un domicile doit être justifiée par l’urgence ou l’impossibilité de l’effectuer le jour. C’est au juge administratif de s’assurer que la mesure est motivée, adaptée, nécessaire et proportionnée à la finalité qu’elle poursuit,
- les personnes perquisitionnées ont un droit de recours basé sur la responsabilité de l’Etat.

 

Et les autres mesures ?

Les autres mesures relatives à l’état d’urgence demeurent normalement valides :
- toute mesure pour contrôler et bloquer les sites Internet faisant l’apologie du terrorisme ou incitant à des actes terroristes. A cet effet attention à vos propos en public ou sur la toile comme vous pouvez le lire sur
- surveillance des communications électroniques internationales tant sur les connexions que sur les correspondances (loi n° 2015-1556 du 30 novembre 2015),
- assignation à résidence.
Egalement, les mesures que peuvent prendre les préfets au moyen d’un arrêté :
- interdire toute manifestation sur la voie publique. L’état d’urgence en lui-même n’interdit pas les manifestations dans la mesure où le préfet n’a pas pris un arrêté à cet effet.
- ordonner la remise des armes et munitions y compris les fusils de chasse jusqu’à la fin de l’état d’urgence (article 4-5° de la loi du 20 novembre 2015). En savoir + ici
- interdire, par arrêté, la circulation des personnes et des véhicules dans les lieux et aux heures fixés,
- instituer, par arrêté, des zones de protection ou de sécurité où le séjour de personnes désignées est réglementé,
- interdire le séjour dans tout ou partie du département à toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l’action des pouvoirs publics (là tout le monde est concerné),
- ordonner, par arrêté, la fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature (stades, foires, fêtes etc.),
- interdire, par arrêté, à titre général ou particulier, les réunions de nature à provoquer ou à entretenir le désordre,
- interdire, par arrêté, la vente au détail des combustibles domestiques et de produits pétroliers dans tout récipient transportable ainsi que leur transport par des particuliers. Interdiction également de la vente de feux d’artifices et tous articles pyrotechniques.
On lira également avec intérêt la décision suivante du Conseil constitutionnel quant à l’interdiction de réunion de toute nature et de réunions de nature à provoquer ou entretenir le désordre
En résumé, l’interdiction de réunion doit être justifiée par le fait que cette réunion est « de nature à provoquer et à entretenir le désordre et proportionnée aux raisons l’ayant motivée. »
Il précise aussi que « les mesures de fermeture provisoire et d’interdiction de réunions prises antérieurement (à la loi prolongeant l’état d’urgence) ne peuvent être prolongées sans être renouvelées. »

Et les droits des citoyens en état d’urgence ?

Rien n’est précisé sauf la possibilité de recours devant le tribunal administratif, jusqu’au Conseil d’Etat. Ce dernier a d’ailleurs eu l’occasion de se prononcé sur des cas qui lui ont été soumis (lire INFOS +).

Rappel des droits des personnes perquisitionnées :
- les forces de l’ordre doivent leur remettre l’ordre de la décision de perquisition signé par le juge administratif. Il convient d’examiner attentivement les motifs invoqués par l’autorité administrative,
- si la décision est infondée saisir, dans les 48 heures, le Tribunal administratif pour faire annuler la décision de perquisition.
Si des dégâts ont été faits lors de la perquisition (porte fracturée, mobilier endommagé) demander une indemnisation au service des affaires juridiques de la préfecture ou à celui du ministère de la justice.
Ne pas oublier d’avertir son employeur en cas d’assignation et de transmettre dès que possible un justificatif pour ne pas perdre son boulot. En effet, une absence non justifiée peut être considérée comme une faute grave justifiant la mise en route d’une procédure de licenciement.

Et s’il y a des dégâts ?
Que ce soit lors d’une perquisition, d’un échange de tirs entre les forces de l’ordre et les terroristes, d’une manifestation etc., l’Etat est civilement responsable des dégâts causés par la police ou la gendarmerie tant aux personnes qu’à leurs biens (porte fracassée, logement dévasté etc.).- article L211-10 du code de la sécurité intérieure téléchargeable ici
Pour se faire indemniser, sauf si le contrat d’assurance le prévoit (c’est rare) – relire le contrat ou appeler l’assureur, il faut s’adresser soit au service des affaires juridiques et du contentieux de la préfecture soit au même service du ministère de la Justice
 

INFOS +

- loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence consolidée au 20 février 2016
- avis du Conseil d’Etat sur la prolongation de l’état d’urgence
- ordonnance du Conseil d’Etat relative aux perquisitions
- notre article paru lors de la première prolongation de l'état d'urgence en novembre 2015 sur les droits des citoyens

- l'analyse du syndicat des avocats de France en pièce jointe

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire