dimanche 28 février 2016

Calais : premières impressions

Calais : premières impressions

Cl@ire
Samedi, 27 Février, 2016
Humanite.fr

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photos : cl@ire
Cl@ire est auteure. Elle s'est rendue à Calais pour aider, mais aussi pour voir des propres yeux cette Jungle qui hante les pages des journaux. De retour à Paris nous livre ce précieux témoignage.  
Calais, arrivée de nuit, repas de frites sous la lune et les mouettes, monte une espèce d'allégresse d'être là dans cet endroit historique. En arrivant nous avons croisé des cohortes de cars de flics, histoire de comprendre qu'on était pas n'importe ou.
A l'auberge de jeunesse, il y a une réduction de deux euros par nuit pour les gens qui viennent faire de l'humanitaire, je me dis qu'il faudrait aussi parler des gens de Calais, ceux qui habitent là, ceux qui ont peur, ceux qui aident et qui ont compris que les temps changent.
Coucher tôt, lever tôt, dans le noir, j'ai l'impression que la nuit ne s'arrêtera jamais. 
J'ai rencontré un homme qui me plaît, pétri d'intelligence, de sensibilité et de finesse. L'aventure c'est l'aventure, la Jungle « the place to be ». L'endroit ou les codes d'un monde soit disant organisé tombent en poussière, ou tu devient X d' Utopia 56 ou de Pérou ou alors Y d’Afghanistan, d’Érythrée, ou Bédouin du Koweit.
En ville, attendant le bus n°2 pour aller dans la jungle, je discute avec une jeune fille dont la dentition témoigne qu'elle a abondamment sucé son pouce, le regard circonspect elle me dit qu'elle a peur, que sa cousine s'est fait agressée par trois types de la jungle qui ont essayé de la déshabiller, et qu'elle a passé sept mois à l'hôpital ; Dans le bus , le conducteur me largue à un bon kilomètre de l'entrée, en m'indiquant du bout du menton que c'est « Par là ».
Je marche d'un bon pas, passe les usines de ciment à l'odeur nauséabonde, puis près le pont de l'autoroute, apparaissent les premiers tags, les premières baraques. Il est neuf heures.

On entends de la musique qui transperce la toile imperméable des tentes. 
Bien sûr ce qui frappe d'abord ce sont les ordures et la boue, mais ce qui saute bien plus aux yeux c'est l'ingéniosité de ces gens qui s 'abritent d'un rien : de la ficelle, du plastique, des vieilles couvertures, et l'émergence ici et là d'un art de rue, des dessins, des sculptures. Ici on a habillé une ronce de couleurs vives, là on a peint sur une bâche avec beaucoup de science, une cigogne en plein vol. certaines baraques sont empaquetées avec de la ficelle, pour d'autres on a maintenu le plastique avec des clous enfoncés dans des capsules de bière.

Je croise la distribution de pain, une centaine d'hommes se pressent, un camion à ordures avec des éboueurs en combinaisons blanches, passe, au loin, des volontaires principalement des anglais , ramassent des immondices avec des bâtons munis de pinces.
Des brosses à dents et des tubes de dentifrice glissés sous les liens des bâches témoignent du soin que leur propriétaires apportent à leur hygiène corporelle. Ce n'est pas parce qu'on vit dans la boue qu'on est sale.

Fin de matinée, peu à peu le froid m'envahit, je pousse la porte d'un salon de coiffure Afghan comme il en existe deux ou trois sur la rue, une chaleur de hammam m'enveloppe, je me pose enlève bonnet et anorak, gentiment on me propose du thé, une dosa sorte de crêpe fourrée de haricots, je regarde autour de moi, je suis chez le coiffeur, et aux bains douches pour les hommes, certains assis à côtés de moi remettent péniblement leurs chaussettes sur leurs pieds humides, un autre se coiffe compulsivement, de manière répétitive. Devant moi, le coiffeur joue avec les cheveux épais de son client, on sent qu'il en aime la texture. L'eau chauffe dans un grand fût de métal posé sur trois gros débris de roches, et on en extrait le liquide chaud qui est réparti dans de petits pots de peinture vides.

Je contemple et sirote mon thé les yeux mis clos, je suis là dans l'intimité de ces farouches afghans si accueillants et si corrects, que en partant j'en oublie mon bonnet. On me court après pour me rattraper,  « CHANCE » me dit il avec son beau regard persan et ses dents écartées.
Cette journée là j'aurais sillonné le camp de long en large à la recherche d'un hypothétique leader, on me dit, non tout le monde est indépendant, il n'y a aucune organisation comme dans les slum classiques ou les leaders réglementent tout et font régner un certain ordre.
(Je ne suis pas naïve, bien sûr il existe un ordre interne à tout regroupement humain, mais la seule personne que l'on me présentera plus tard comme leader est en fait un soignant qui masse et qui fait des pansements.)
Un peu plus tard deux jeunes me font rentrer dans leur caravane, il sont très jeunes, entre quinze et seize ans, là tous seuls, sans argent, sans parents, heureusement qu'ils peuvent dormir là.
Il y a un grand lit recouvert d'une fourrure orange, j'essaie d'ouvrir un compte internet sur mon 
I phone à l'un d'eux, pour qu'il puisse communiquer avec sa famille, il a un bandage au bras souvenir d'un coup de matraque de la police. L'autre, le mention à peine duveteux s'assied très près de moi, comme un chiot qui aurait besoin d'un contact physique maternel. Je lui explique quand même que je suis grand mère et je m'en vais le cœur serré, ils sont bien jeunes loin de chez eux, sans personne. C'est pas facile.
Plus loin encore deux graffeurs francos anglais dessinent sur un mur de bois, des mots choisis par les gens des slums. Il ya de la musique , un peu de bière, et de la vie, un concentré de vie.
 
Avec le recul on se rend compte qu'au travers de l'action humanitaire et l'action artistique qui se développe dans le camp chacun cherche sa place, ils sont nombreux surtout des anglais ceux qui sont venus aider il y a six mois et se sont installés là pour construire, nourrir, réchauffer, instruire, divertir, parce que c'est une chance qu'il faut savoir saisir pour être utile, pour avoir l'occasion de déployer sa créativité, de façon simple et immédiate dans cet ilot à part, enclave particulière au cœur de notre société, policée, trop sophistiquée qui ne fait que contrôler, brider, compliquer la moindre initiative.
Alors oui c'est sûr même au cœur de l'action humanitaire, les égos et les rivalités s'expriment, et ça n'en est que plus dérisoire.
Ce qui compte c'est cette ouverture et cette fraternité qui se développe au jour le jour entre les volontaires qui donnent, et la gentillesse de manière de ces orientaux, ce désir d'ouverture et de communication de part et d'autre.
Dans la jungle tu peux y voir la merde, la boue, la pourriture, la déchéance, mais regardes plutôt, l'ouverture, la solidarité, le désintéressement, l'empathie, la gentillesse, la bonté pure, la fraternité entre les peuples et les cultures. C'est ça la direction.

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