lundi 29 février 2016

Un Richard III en porcelaine, ou la kermesse du pouvoir

Un Richard III en porcelaine, ou la kermesse du pouvoir

Marie-José Sirach
Lundi, 29 Février, 2016
L'Humanité

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Dans un décor de pacotille où l’on tue par amusement, Richard III est seul maître à bord.
Photo :Tristan Jeanne-Valès
Jean Lambert-Wild, qui dirige le Théâtre de l’Union à Limoges, a créé une version aussi extravagante que loufoque de l’œuvre de Shakespeare. Il fait du roi maudit, héros noir par excellence, un clown blanc inquiétant dans une fête foraine.
Limoges (Haute-Vienne), envoyée spéciale.  Ce doit être l’époque qui veut ça. Des temps politiques incertains, jeux de pouvoir troubles parsemés d’éclats de trahisons comme autant d’obus balancés sur l’ennemi autrefois allié. Cet été, Thomas Ostermeier avait présenté au Festival d’Avignon un Richard III néopunk porté par un Lars Eidinger électrique. Il y a peu, à l’Odéon, ce fut au tour de Thomas Jolly de s’attaquer à la pièce de Shakespeare avec moins de réussite. Qu’allait donc faire Jean Lambert-Wild de ce personnage fascinant, bossu, boiteux, revanchard sanguinaire, veule, cruel, meurtrier, avide de pouvoir ?

La mise en scène de Lambert-Wild est fascinante

Un personnage de foire, un clown blanc, grimé, un col fraise, le sourcil en pointe. Un personnage familier et étrange, troublant, dont la voix vrille au fur et à mesure que sa folie l’emporte. Face à lui, ou avec lui, partenaire de jeu et de je virevoltant d’un personnage l’autre, Élodie Bordas, son double, son alter ego, son auguste sans fard, son miroir sans tain qui le renvoie à sa propre déchéance. Richard III est mauvais comme une teigne. Il ne craint pas la mort, se sachant lui-même condamné par le tribunal des hommes. Mais il détient l’intelligence, arme d’une redoutable efficacité face à l’adversité médiocre. Richard III tue, dégomme ses adversaires comme dans un jeu de chamboule-tout géant, un jeu de massacre où à tous les coups il gagne. Dans un décor conçu comme une Foire du trône avec ses attractions et ses couleurs à la fois chaudes et criardes, les fils de la reine Elizabeth sont des bouches animées par une roue avec stroboscope ; Clarence, son frère, un ballon de baudruche explosé par une fléchette ; le roi Edouard, un coucou suisse ; les enfants de Clarence, deux poupées ensanglantées ; les jeunes princes d’York, des barbes à papa…
La mise en scène de Lambert-Wild est fascinante, qui se joue de cette ambiguïté, à la fois attirante et répulsive, avec des cassures de rythme et des envolées poétiques féeriques. Les deux acteurs, leur complémentarité, leur complicité font des étincelles. Élodie Bordas se révèle une partenaire incroyable, un double, à la fois ombre et lumière d’un Jean Lambert-Wild/Richard III facétieux et inquiétant. On salue l’originalité du parti pris, une partition musicale pour piano mécanique qui fait corps avec le jeu des acteurs, des incises technologiques au service du jeu elles aussi (et pas des subterfuges pour tromper l’ennui). Lorsque Richard III revêt son armure de porcelaine conçue par deux maîtres artisans, Stéphane Blanquet et Christian Couty, on est bluffé. Pour un peu, on applaudirait, comme à la fête foraine… Dans ce décor de pacotille où l’on tue par amusement, où l’on rit jaune devant un tel amoncellement de cadavres, Richard III est seul maître à bord, un maître de cérémonie de la cruauté du monde où il pleut des confettis et des cadavres, pauvres pantins désarticulés qu’il manipule à satiété. Richard III se regarde dans le miroir et c’est notre lâcheté qui s’y reflète. Alors, quand la roue de l’histoire s’accélère et que Richard en connaît l’issue, ce retournement de l’histoire dont il a seul l’intuition, toute la mécanique s’enraye dans un tourbillon impressionnant.
Shakespeare est là, qui nous rappelle la triste comédie du pouvoir. La symbolique de ces meurtres se retrouve aujourd’hui dans cet immense bal de faux-culs où évoluent les dirigeants du monde. Là, tu joues dans la cour des grands. Le lendemain, te voilà banni. Ici on s’offusque de la guerre mais on refourgue en douce les armes. Richard est l’incarnation absolue du mal mais aussi toutes les fêlures contenues en nous. C’est pour ça qu’il nous fascine, nous aimante, nous révulse. Il est une part de notre humanité flétrie, piétinée quand plus rien ne fait civilisation.
Le spectacle a été créé à Limoges du 19 au 29 janvier. Tournée : du 1er au 11 mars au Volcan du Havre ; les 22 et 23 mars à l’Espace Legendre, à Compiègne ; les 9 et 10 avril, à la Ferme du Buisson, à Marne-la-Vallée ; du 10 au 14 mai, à Monthey, en Suisse ; du 24 au 26 mai, l’Apostrophe, à Cergy-Pontoise, et du 3 novembre au 4 décembre, au Théâtre de l’Aquarium, la Cartoucherie.

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