dimanche 28 février 2016

« Merci Patron ! » Un cinéma à résultat direct

« Merci Patron ! » Un cinéma à résultat direct

Michaël Melinard
Jeudi, 25 Février, 2016
Humanité Dimanche

Le documentaire de François Ruffin se moque de Bernard Arnault et lui fait ouvrir le tiroir-caisse. Roublardises aidant, le journaliste permet à une famille de retrouver ses droits. Un film mordant à voir dans une cinquantaine de salles.
«On est parfois plus fort qu’on ne le pense. Ils sont parfois plus fragiles qu’on ne le croit », affirme François Ruffin lorsqu’il évoque le combat en apparence inégal entre l’oligarchie et les classes populaires, ainsi que la morale de son documentaire « Merci Patron ! ». Le rédacteur en chef de « Fakir » – journal indépendant et alternatif engagé à gauche – s’est amusé à mettre en boîte Bernard Arnault, patron du groupe LVMH. Affublé d’un tee-shirt « I love Bernard » (J’aime Bernard – NDLR), François Ruffin tente, avec un ton proche de l’esprit de Michael Moore, de convaincre les ouvriers licenciés par les délocalisations du milliardaire et son désir inassouvi de profits de se réconcilier avec lui. Robin des b ois loufoque et déconneur, il dévoile aussi des parcours de vie, tel celui de Marie-Hélène Bourlard, ancienne déléguée syndicale CGT de l’usine de confection ECCE de Poix-du-Nord.
Des parcours de vie
Ce sous-traitant fabrique alors des costumes pour Kenzo, propriété de LVMH. Mais lorsque le groupe décide de délocaliser l’atelier en Pologne afin de réduire le coût de la main-d’œuvre, Marie-Hélène voit rouge. Munie d’une action LVMH, achetée pour l’occasion, elle interpelle Bernard Arnault en pleine assemblée générale des actionnaires. « On avait amené les filles à Paris sans leur dire ce qu’on allait faire. Il ne fallait surtout pas que cela sorte. Je suis intervenue devant Bernard Arnault. Il voulait fermer définitivement l’usine. Finalement, on a obtenu le maintien d’une soixantaine de postes, la renégociation d’un nouveau con­trat et la création d’un atelier à Prouvy. » Devenue ambulancière, elle gagne aujourd’hui davantage que lorsqu’elle travaillait chez Bernard Arnault. Mais le parcours a été jalonné d’obstacles. « À l’usine, c’était dur mais je m’y plaisais. Nous étions payées au SMIC. Après j’ai eu du mal à trouver un emploi. J’étais identifiée comme syndicaliste. Il m’a fallu retourner à l’école pour faire une formation. Ce n’était pas évident. » C’est elle qui a présenté les Klur, véritables héros du documentaire, au réalisateur : « Je connaissais bien les Klur et François venait souvent à l’usine. »
La galère d’une famille
Avec eux, la satire sociale se mue en cinéma d’intervention. Le but est de rendre la monnaie de sa pièce à l’oligarque, alors que Serge et Jocelyne Klur sont à deux doigts de perdre leur maison. Chômeurs de longue durée, ils ont été mis sur le carreau par Arnault. 25 000 euros de dettes, un Noël frugalement fêté avec une tartine de fromage blanc, sans aucune perspective de lendemains qui chantent, ils essaient, sur les conseils de Ruffin, de se renflouer avec les fonds du milliardaire. Le réalisateur, qui ne recule devant aucune roublardise, leur propose de réclamer 40 000 euros et un emploi à Bernard Arnault afin d’acheter leur silence. S’il n’obtempère pas, ils menacent de révéler leur situation de détresse et les licenciements dont ils ont été victimes.
Certes, dans « Merci Patron ! », la peur ne change pas de camp. Mais on y voit que les Goliath contemporains ne sont pas indéboulonnables. Eux aussi ont leurs failles – à défaut d’avoir un cœur. François Ruffin, dont le but initial était de perturber une assemblée générale des actionnaires, ne parvient pas à faire descendre les capitalistes de leur perchoir. Au final, il opte pour un impôt révolutionnaire. Les cinéastes s’interrogent souvent sur la portée concrète de leurs œuvres et leur capacité à faire changer les choses : ce documentaire, à la mise en scène souvent approximative, parvient à influer directement sur la vie d’une famille. Et redonne joie de vivre et dignité à un couple qui croyait avoir tout perdu. Pas sûr que cette méthode soit reproductible à l’infini. Elle a au moins le mérite de nous faire rire.
* « Merci Patron ! », de François Ruffin, 1 h 30, France.

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