jeudi 8 décembre 2016

À Tenon, on dit non à « l’usine à bébés »

À Tenon, on dit non à « l’usine à bébés »

hôpital
Sylvie Ducatteau
Jeudi, 8 Décembre, 2016
L'Humanité

Les personnels de la maternité parisienne, entament leur sixième jour de grève. Ils dénoncent leurs conditions de travail infernales et s’opposent à la réorganisation « comptable » de service prévue sans nouveaux recrutements.
Serrées les unes contre les autres, les quatre blouses blanches ont pris place dans le local du syndicat CGT de l’hôpital Tenon à Paris. Comme s’il fallait repartir aussitôt, elles ont à peine quitter leurs manteaux et leurs écharpes. Nadine et Corinne, deux infirmières, Samia, l’auxiliaire de puériculture, et Régine, l’aide-soignante, entament leur sixième jour de grève aux côtés de leurs collègues de la maternité. En grève, mais assignées. « Nous portons des badges pour indiquer que nous sommes grévistes », précisent-elles. « Samedi dernier, on nous a annoncé la réouverture de 10 lits supplémentaires sans renforcement des effectifs », explique Corinne. Inacceptable.
L’équipe de la maternité s’opposait déjà depuis plusieurs semaines à un projet de réorganisation que voudrait leur imposer la direction de l’hôpital. « Mon métier d’auxiliaire de puériculture fusionnerait avec celui d’aide-soignante. Contre cinq jours de formation, nous sommes censées devenir des « auxiliaires de maternité », s’alarme Samia. Nos diplômes, nos qualifications, les spécificités de nos deux métiers seraient gommés, disparaîtraient. » Ces soignantes « interchangeables » compléteraient un binôme constitué d’une sage-femme ou d’une infirmière chargée de prendre en charge 21 mamans et 21 bébés. « Nous ne vivons pas sur la même planète. C’est une usine à bébés qu’ils imaginent », lance Régine, l’aide-soignante.

« Ces femmes ne sont pas malades. Elles peuvent faire leur lit »

Usine à bébés ? L’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) entend limiter à deux jours l’hospitalisation des femmes dont l’accouchement a été sans problème, les confiant à des soignants libéraux qui interviendraient à leur domicile. Une option conforme aux critères de gestion que l’AP-HP s’est choisis : une rotation rapide des patients et le développement des soins ambulatoires. « Et puis ces femmes ne sont pas malades. Elles peuvent faire leur lit et s’occuper de leur bébé », ont même glissé deux responsables de l’hôpital et de la maternité aux oreilles des syndicalistes de la CGT et de SUD qui soutiennent la grève.
Mille neuf cents accouchements ont été réalisés cette année à la maternité. La direction affiche un objectif de 2 700 en 2017 et 3 500 ensuite pour absorber une partie des naissances de l’ancienne maternité Saint-Antoine fermée en 2011, une fois terminés les travaux de réhabilitation en cours à Tenon. Sans recrutement en vue. « En plus de conditions de travail déplorables, nous subissons le bruit, la poussière. Nous sommes fatiguées, confie Corinne. Deux infirmières de mon service sont en burn-out. Vendredi, je suis rentrée chez moi sans avoir eu le temps de voir six patientes. Je n’avais même pas pris le temps de manger. À midi, ma collègue sage-femme n’avait pas commencé ses visites. Elle était en pleurs. D’ailleurs, nous pleurons toutes. » L’infirmière sort un téléphone de sa poche. Elle montre le chiffre affiché sur l’écran : 71 131. C’est le nombre de pas qu’elle a effectués ce mardi matin à la maternité. Soit 5 399 mètres, près de 5,5 kilomètres. Pour Régine, l’aide-soignante, c’est 6 kilomètres. « Nous faisons comme notre direction. Nous quantifions tout. » Elles ont ainsi compté le temps que leur vole l’hôpital. Une heure à une heure et demie en moyenne, résultat de l’intensification du travail et des journées ou des nuits qui se prolongent. En nombre de pas, Corinne affiche sensiblement le même rythme que sa collègue infirmière. « Je suis ici avec vous mais j’angoisse. Je me demande si je ne me suis pas trompée. Si je n’ai pas fait d’erreur de traitement. Comment voulez-vous que nous soyons satisfaites de notre travail ? »

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