lundi 12 décembre 2016

Nicole Marie Meyer : « Sans LuxLeaks, pas de statut de lanceur d’alerte »


Nicole Marie Meyer : « Sans LuxLeaks, pas de statut de lanceur d’alerte »

Évasion fiscale
Entretien réalisé par Pierric Marissal
Lundi, 12 Décembre, 2016
L'Humanité

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Manifestation de soutien à Antoine Deltour et Raphaël Halet, auteurs des révélations sur le LuxLeaks, lors de leur premier procès, le 26 avril. Photo : Fred Marvaux/Réa
Manifestation de soutien à Antoine Deltour et Raphaël Halet, auteurs des révélations sur le LuxLeaks, lors de leur premier procès, le 26 avril. Photo : Fred Marvaux/Réa
Ce lundi s’ouvre le procès en appel d’Antoine Deltour et Raphaël Halet, qui ont révélé LuxLeaks, vaste évasion fiscale au Luxembourg. Leurs soutiens se mobilisent pour voir annulée leur première condamnation.
Pourquoi ce nouveau procès des lanceurs d’alertes de l’affaire LuxLeaks ?
Nicole Marie MeyerResponsable de l’alerte éthique pour l’ONG Transparency InternationalNicole Marie Meyer Antoine Deltour et Raphaël Halet ont fait appel parce qu’ils ont été condamnés. Le parquet luxembourgeois a fait appel parce qu’il trouve la condamnation trop faible au regard des chefs d’inculpation. En première instance, le tribunal leur a reconnu la qualité de lanceurs d’alerte mais les a condamnés à respectivement neuf mois et douze mois de prison avec sursis, plus 1 000 et 1 500 euros d’amende. Et ils risquent un maximum de dix ans de prison et une amende de 1,25 million d’euros.
Pour vous, devraient-ils être acquittés ?
Nicole Marie Meyer Transparency et plusieurs autres ONG et syndicats ont bien évidemment dénoncé ce premier jugement. Nous avons toujours soutenu les lanceurs d’alerte, en particulier Antoine Deltour. Voilà quelqu’un qui, bien payé et en CDI, démissionne parce qu’il n’accepte pas les pratiques d’optimisation fiscale de son entreprise. Il est résolument du côté de l’intérêt général. En partant, il emporte des fichiers copiés pour ses archives et explique deux ans plus tard au journaliste Édouard Perrin, qui prépare un magazine sur l’évasion fiscale, l’industrie des rescrits fiscaux. Et le scandale LuxLeaks éclate. Raphaël Halet fournit la seconde vague de documents. Les deux ont décidé en conscience de donner ces informations, sans être protégés et en l’absence d’un cadre européen. Raphaël Halet a été licencié, se retrouve au chômage, il est père de famille… Ils ont fait leur devoir de citoyens, malgré des pressions psychologiques et financières énormes et d’une violence inouïe. Or l’équité devant l’impôt est le fondement de l’État de droit. En cela ce procès est exemplaire. Et l’affaire LuxLeaks l’est aussi du fait des réformes que ce scandale a déclenchées.
Comme la loi Sapin 2 ?
Nicole Marie Meyer Cette loi est assez unique car elle est le fruit d’une co-construction, sous l’impulsion de la société civile. Étant moi-même lanceuse d’alerte, je milite depuis 2009 sur ce sujet et nous avions réuni une coordination de 18 ONG pour leur protection. Nous demandions une définition large du lanceur d’alerte – « menace ou préjudice graves pour l’intérêt général » –, la protection contre toutes représailles (avec réintégration du salarié dans son emploi), un soutien financier et des sanctions pénales contre les auteurs des représailles. De juillet à novembre 2016, l’Assemblée a intégré dans la loi sur la transparence de la vie économique la synthèse de nos préconisations. Les sénateurs de droite ont chaque fois fait barrage au texte. En dernière lecture, le 8 novembre, l’Assemblée a restitué et maintenu l’ensemble du dispositif. Enfin, jeudi dernier, le Conseil constitutionnel, saisi par les sénateurs de droite, a validé l’essentiel du statut de lanceur d’alerte. Mais chaque étape fut une lutte. Il a fallu l’engagement de toute la gauche. Mais la France a aujourd’hui la définition du lanceur d’alerte la plus ouverte au monde.
Remarquez-vous des avancées semblables en Europe ?
Nicole Marie Meyer Le Conseil de l’Europe avait adopté le 30 avril 2014 une recommandation exemplaire en faveur d’une définition conceptuelle du lanceur d’alerte, qui signale ou révèle une « menace ou (un) préjudice pour l’intérêt général », dont nous nous sommes servis pour la loi Sapin 2. Il a également préconisé le 23 juin 2015 d’ouvrir ce statut aux forces armées et aux services de renseignements, d’offrir le droit d’asile pour tout lanceur d’alerte persécuté dans son pays et demandé aux États-Unis de réintégrer Edward Snowden sans procès pénal. Le Parlement européen travaille à un projet de directive. La Belgique prépare une loi et nous sommes aussi consultés pour amender la loi luxembourgeoise. Il y a bien une protection des lanceurs d’alerte au grand-duché, mais uniquement dans les affaires de « prise illégale d’intérêts, corruption ou trafic d’influence ». Les choses bougent et ces avancées sont bien évidemment une conséquence de l’affaire LuxLeaks.
Les «Sages»  fragilisent  la transparence financière
Jeudi, le Conseil constitutionnel a censuré le « reporting » pays par pays, au cœur de la lutte contre l’évasion fiscale dans la loi Sapin 2, estimant qu’il « portait une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre ». Cet article visait à obliger les multinationales à rendre publics leurs chiffre d’affaires, bénéfices et impôts payés, pays par pays. pour oxfam, cette décision revient à « protéger prioritairement les intérêts des grandes entreprises qui pratiquent l’évasion fiscale à grande échelle. Ceci est d’autant plus incohérent que cette mesure est déjà en vigueur  pour le secteur bancaire depuis 2013 ».

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