lundi 19 décembre 2016

Anne Hidalgo : « L’avenir de Paris, c’est le Grand Paris »

Anne Hidalgo : « L’avenir de Paris, c’est le Grand Paris »

Entretien réalisé par Aurélien Soucheyre
Jeudi, 15 Décembre, 2016
Humanite.fr

Anne Hidalgo : « Le Grand Paris est en mesure de rendre notre territoire plus attractif dans la compétition mondiale et d’empêcher que les fractures locales ne s’accroissent. » Photo : AFP
Anne Hidalgo : « Le Grand Paris est en mesure de rendre notre territoire plus attractif dans la compétition mondiale et d’empêcher que les fractures locales ne s’accroissent. » Photo : AFP
La maire de Paris revient pour l’Humanité Dimanche sur les objectifs métropolitains qu’elle entend défendre dans le cadre du Grand Paris, en termes de qualité environnementale, d’accès au logement, aux transports, à l’emploi, etc. Elle évoque également l’articulation institutionnelle d’un projet pluriel.
Certains à droite estiment que « le Grand Paris, c’est la région ». En quoi estimez-vous, au contraire, que la Métropole reste la meilleure échelle pour le Grand Paris ?
Anne Hidalgo Partout dans le monde, la métropolisation est à l’œuvre. C’est un fait incontestable. L’avenir de Paris, c’est le Grand Paris. Dans de nombreux domaines, nous avons constaté la nécessité de changer d’échelle : pour combattre les inégalités, lutter contre la pollution qui ne connaît pas de frontière administrative, renforcer l’attractivité économique ou encore répondre efficacement à la crise du logement. La Métropole du Grand Paris se fonde sur l’expérience et la légitimé des Maires – qui ont une connaissance précise des besoins de leurs territoires, qui portent leurs inquiétudes et leurs espérances – tout en donnant corps à l’unité urbaine au sein de laquelle vivent, travaillent et s’épanouissent leurs habitants. Elle représente ainsi l’échelle la plus pertinente pour mettre en cohérence les politiques d’aménagement et de développement des villes. La Région, dont le territoire est plus vaste et compte d’importantes zones rurales, ne doit pas voir la Métropole comme une concurrente, mais comme une alliée. Et la Métropole doit veiller à construire des ponts avec elle, et même au-delà, jusqu’au Havre.

Le Grand Paris est souvent présenté comme un projet au sein duquel Paris et sa banlieue se tendent la main. En quoi les territoires et les habitants ont-ils quelque chose à construire et à gagner avec le Grand Paris ?
Anne Hidalgo Le Grand Paris est une aventure débutée il y a plus de 15 ans. Nous la devons à Bertrand Delanoë et à Pierre Mansat, ainsi qu’à l’investissement de nombreux élus de petite couronne, de toutes les sensibilités politiques : Jean-Yves Le Bouillonnec, Patrick Braouezec, Jacques J. P. Martin, Patrick Jarry, Philippe Laurent, Daniel Guiraud, Laurent Lafon, Bernard Gauducheau... Dès le départ, ils ont décidé de travailler dans la solidarité et le respect de chacun. Nous retrouvons cet esprit dans la gouvernance partagée mise en place par Patrick Ollier. Ses vice-présidents sont représentatifs de la diversité des courants d’opinion qui font vivre nos territoires. Si la Métropole surmonte les clivages, c’est parce que nous avons tous à y gagner. Elle est en mesure de rendre notre territoire plus attractif dans la compétition mondiale et d’empêcher que les fractures locales ne s’accroissent. Pour cela, l’institution née début 2016 doit pouvoir s’appuyer sur un projet collectif ambitieux, qui réponde aux attentes de nos habitants, en matière de logement, d’emploi, de transport et de qualité de l’air, mais aussi en étant solidaires, accueillants et tolérants.

En termes de compétences, comment cette Métropole doit-elle se développer ? Comment concilier un travail sur l’équilibre du Grand Paris tout en respectant les spécificités des 131 communes qui le composent ?
Anne Hidalgo La Métropole, c’est à la fois une imbrication extrême des territoires, des échanges, des décisions des uns et des autres, des flux... L’institution vient juste de naître et va avoir besoin de temps pour apprendre à gérer tout cela. Commençons par bien faire ce qui relève de ses compétences directes : le logement, la qualité de l’air, le développement économique diversifié et innovant. La tâche est considérable. Dans tous ces domaines, je pense que notre marqueur commun n’est pas tant la recherche de l’équilibre que celle de l’égalité : égalité d’accès à la mobilité, aux marchés du logement et de l’emploi, aux services que les villes doivent à leurs habitants, à la participation citoyenne… Réduire les inégalités territoriales et sociales est pour moi la justification première de la création d’une Métropole.

La question des transports, avec le Grand Paris Express, est au cœur du Grand Paris. Cette question amène à celle du logement. Comment éviter toute spéculation immobilière autour des futures gares de GPE ? Comment éviter l’exclusion possible, à terme, des habitants les plus modestes ?
Anne Hidalgo Nous devons penser les nouvelles gares comme des lieux de vie à part entière, avec une offre d’activités et de services publics, et non pas simplement comme des stations. Les nouveaux programmes de logements doivent prévoir une part de logements sociaux, a minima de 30%. La Métropole a un rôle à jouer dans la mise en cohérence de ces aménagements. De nombreux outils existent pour prévenir les excès du marché, et il convient de les mobiliser : établissements fonciers, plans locaux d’urbanisme, programmes locaux de l’habitat… Je pense aussi à l’encadrement des loyers, impulsé par la Ville de Paris et mis en place par l’Etat, qui est expérimenté sur notre territoire avec succès depuis plus d’un an.

En quoi l’obtention des Jeux Olympiques 2024 serait-elle profitable au Grand Paris, en termes d’infrastructures, de développement, d’équilibre du territoire et de qualité de vie pour les habitants ?
Anne Hidalgo Les Jeux Olympiques et Paralympiques sont le projet collectif le plus exceptionnel et le plus enthousiasmant qu’un territoire et ses habitants puissent porter. Ils se fondent sur des valeurs, apportent une part de rêve, permettent aux jeunes générations de se projeter vers l’avenir. La candidature de Paris 2024 est bâtie autour de Paris et de la Seine-Saint-Denis, département le plus jeune et le plus diversifié de France, vers lequel seront orientés l’essentiel des investissements nouveaux. Elle rejoint en cela un véritable projet de territoire. Nous l’avons pensée dans la sobriété – il n’y aura pas d’éléphants blancs – avec un héritage très concret, utile aux habitants et respectueux de nos objectifs de développement durable : des liaisons facilitées entre Paris et la petite couronne, des équipements sportifs de proximité, un nouvel écoquartier en Seine-Saint-Denis doté de 3.500 logements, la Seine comme fil conducteur et qui sera alors rendue à la baignade, etc. Les Jeux sont aussi un véritable levier de création d’activités et d’emplois non délocalisables, avec des retombées économiques et touristiques sur le long terme.

L’architecture institutionnelle et démocratique du Grand Paris est en perpétuelle évolution. Le Grand Paris est aujourd’hui doté d’élus qui siègent au sein d’un conseil métropolitain. Sa forme est-elle complète ou doit-elle évoluer ? Quelle gouvernance appelez-vous de vos vœux ?
Anne Hidalgo D’abord, j’appelle de mes vœux que l’on donne sa chance à la Métropole. Quel que soit le résultat de l’élection présidentielle, il est important que cet échelon perdure et ait le temps de faire ses preuves. Pour l’élection des conseillers métropolitains, je suis favorable à la méthode dite « du fléchage », au moment des élections municipales, comme cela se pratique pour toutes les intercommunalités de France. Concernant la gouvernance, nous devrons affronter la question de la place des citoyens dans ce processus métropolitain, pas seulement des habitants, mais de tous les usagers de la Métropole. Sans cela, l’institution sera toujours fragile. Pour y contribuer, pour mobiliser les énergies, je pointe la nécessité d’un récit métropolitain, qui doit être de toute évidence polyphonique à l’image de la formidable diversité qui caractérise notre Métropole-monde.

Et comment voyez-vous le rôle de Paris au sein de la Métropole ?
Anne Hidalgo Paris occupe une place singulière et essentielle dans la construction métropolitaine, pour plusieurs raisons. D’abord, c’est la ville capitale. Cela confère à Paris, une puissance certaine, mais aussi une grande responsabilité. Paris appartient aux Parisiens, aux Métropolitains, aux Français, à ses visiteurs. La Ville met toute sa capacité technique et financière, son rayonnement, son attractivité, au service de la Métropole. Sa situation géographique, ses équipements collectifs, son patrimoine, en font le principal trait d’union entre les territoires et les villes du Grand Paris. Bertrand Delanoë a eu à cœur, pendant ses deux mandats, de renforcer ces relations, dans une démarche de dialogue et de reconnaissance mutuelle, puis dans la mise en œuvre de partenariats de projets. C’est ainsi qu’énormément de coopérations se sont développées et continuent à se renforcer à une échelle dépassant le périphérique comme Vélib’ ou Autolib’. Cela est rendu possible grâce à la mise à disposition des moyens techniques et administratifs parisiens et par l’ouverture à la Métropole d’outils comme l’APUR. C’est dans cette voie, de « soft power », que je m’inscris également depuis 2014, pour que nous inventions un Grand Paris qui n’est ni Paris en plus grand, ni une Métropole construite sans son cœur.

En France, comment penser la ville et penser le pays entier, alors qu’ailleurs dans le monde des villes se pensent de plus en plus comme des villes-Etat ? (La Métropole parisienne, par exemple, concentre des richesses considérables à l’échelle du pays…).
Anne Hidalgo Je suis profondément décentralisatrice, mais je n’oppose pas les villes ou les Métropoles aux États. Leurs compétences ne sont pas les mêmes, leur action est complémentaire. Des villes fortes n’empêchent pas d’avoir des États forts. La Métropole parisienne concentre beaucoup de richesses, mais elle les redistribue également à l’échelle de tout le pays, comme le montrent les travaux de Laurent Davezie. En rayonnant dans le monde entier, elle attire des investisseurs, des entrepreneurs, des touristes, qui créent de l’emploi dans toute la France et participent à la vitalité économique du pays. N’oublions pas aussi que Paris assure à elle seule 54% de la péréquation régionale et 20% de la péréquation nationale. Cet effort de solidarité a été multiplié par 5 depuis 2010 et fait d’elle la commune la plus solidaire de France. En ajoutant les charges de centralité que Paris prend en charge, la Ville dépense au total 1,2 milliards d’euros par an pour les non Parisiens.

Paris, ville monde, doit répondre à des problématiques que rencontrent de nombreuses autres Métropoles internationales. Avec le C40, que vous présidez, est développé le concept de villes inclusives et de villes résilientes. De quoi s’agit-il concrètement ?
Anne Hidalgo Des populations très variées cohabitent dans les Métropoles : des jeunes créatifs, qui sont à l’aise dans la mondialisation, des populations fragiles qui viennent trouver un refuge, et des classes moyennes – les employés des services publics comme du secteur privé – qui font fonctionner la ville. La ville inclusive, c’est une ville où chacune de ces populations trouve sa place. Avec les autres Maires du monde, nous avons très vite compris que nous devions veiller à ces équilibres, nous appuyer sur cette diversité et agir pour que tous nos habitants vivent bien ensemble. Nos villes sont aussi soumises à des chocs – des catastrophes naturelles, effets du dérèglement climatique, ou des menaces terroristes – que nous devons apprendre à surmonter. C’est l’objet des travaux conduits dans le domaine de la résilience.  Lors du Sommet Cities For Life, qui s’est tenu fin novembre à l’Hôtel de Ville de Paris, nous avons abouti pour la première fois à une définition commune de la ville inclusive et résiliente que nous souhaitons. Nous nous sommes accordés à agir dans trois domaines prioritaires, pour y parvenir : renforcer les droits de chacun et la démocratie participative, créer des opportunités pour tous (égalité d’accès à l’éducation, à l’emploi…) et améliorer les conditions de vie urbaine et l’accès aux services essentiels.

L’opinion publique est très soucieuse de qualité environnementale et de préservation de la planète. En même temps, les habitudes sont parfois difficiles à modifier. Comment expliquez-vous par exemple la levée de boucliers au sujet de la piétonisation des berges de Seine ?
Anne Hidalgo La pollution tue 6500 personnes chaque année dans le Grand Paris. Il y a une urgence de santé publique. Je suis convaincue que les élus qui ne font rien aujourd’hui, auront à répondre dans quelques années de leur responsabilité pénale devant les tribunaux. Depuis 2001, l’Exécutif parisien a donc considérablement développé les alternatives à la voiture individuelle : voies de bus, tramway, Vélib, Autolib’, etc. Paris contribue aussi au financement du STIF, à hauteur de 378 millions d’euros par an par an, dont 100 millions de péréquation. Cela a produit ses effets : en dix ans, la pollution de l’air a baissé de 30%. Mais ce n’était pas suffisant. À la suite de mon élection, j’ai tenu à accélérer ce mouvement, en mettant en place avec mon équipe des aides financières incitatives en faveur des particuliers et des professionnels – y compris ceux de petite couronne qui travaillent à Paris – tout en restreignant la circulation des véhicules les plus polluants. L’ouverture aux piétons et aux circulations douces des berges de la Seine rive droite participe à cette dynamique de reconquête de l’espace public. Elle s’appuie sur une concertation importante, sur une étude d’impact rigoureuse et sur l’exemple réussi des berges rive gauche. Une nette majorité des Parisiens soutient cette mesure, en particulier les habitants des arrondissements centraux, car ils ont bien compris l’avancée que cela représente dans l’amélioration de leur cadre de vie. Je ne nie pas qu’il y a des opposants à ce projet, mais je leur demande de bien réfléchir : que valent dix minutes supplémentaires sur leur temps de trajet, en comparaison des maladies chroniques qui seront évitées grâce à la réduction de la pollution ? Dans quel cadre de vie veulent-ils voir leurs enfants grandir et s’épanouir ?

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