jeudi 8 décembre 2016

Didier Le Reste. "Quand le rail manque des investissements, ça se paye cash"

Didier Le Reste. "Quand le rail manque des investissements, ça se paye cash"

Entretien réalisé par Adrien Rouchaleou
Mercredi, 7 Décembre, 2016
Humanite.fr

Ce mercredi 7 décembre,l'arrachement d'un caténaire a provoqué l'arrêt total de la circulation des trains en Gare du Nord à Paris. Pour Didier Le Reste, ancien secrétaire général de la CGT Cheminots, ce type de situation s'explique par les mauvais choix de gestion de la SNCF et le désengagement de l'Etat et pourrait bien se reproduire de plus en plus fréquemment.
Un nouvel incident a coupé totalement la circulation des trains de la Gare du Nord à Paris. Ce n'est pas la première fois. Cette coupure vous a t-elle surpris ?
Didier Le Reste. Ce nouvel incident n'est pas étonnant. Depuis des années, les cheminots et leurs syndicats dénoncent le sous-investissement en matière d'infrastructure. Quand on tire sur la corde, elle finit fatalement par casser. C'est ce que l'on appelle la politique du risque calculé : on n'investit pas massivement en connaissant le risque et en se disant que si un jour un incident important arrive, on le gérera.
La SNCF a fait le choix d'allonger les temps de parcours des brigades de surveillance. Quand une brigade devait surveille 100 ou 200km de voies, elle doit maintenant en surveiller 600 ou 700. Du coup les installations sont inspectées moins fréquemment. Sans compter que les travaux se font désormais de nuit, avec une visibilité diminuée.
S'il y a moins d'entretien, moins de visite de surveillance, moins d'investissement de régénération du réseau et des installations, au bout d'un moment, cela se paye cash, avec de gros incidents et des conséquences importantes.
 
A qui revient la responsabilité de cette dégradation du service de la SNCF ?
Didier Le Reste. Je pense qu'il y a une corresponsabilité entre la gestion interne de l'entreprise qui procède par réduction des coûts et l’État qui se désengage du financement du ferroviaire. Il faut avoir en tête que l’État français ne finance qu'à hauteur de 32% le ferroviaire. C'est 55% en Allemagne et 90% en Suède.
Le système ferroviaire français est endetté à hauteur de 52 milliards d'euros. SNCF Réseau (anciennement Réseaux ferrés de France- RFF) qui a la propriété des installations (voies, caténaires,...) a à elle seule une dette de 40 milliards d'euros, et paye 1 milliard 700 millions d'euros de frais financiers de la dette chaque année. Un chiffre comparable à ce qui manque pour faire fonctionner correctement le réseau ferré national.
L’État s'était engagé en 2014, a désendetter progressivement le secteur ferroviaire. Mais il y a quelques semaines, il est revenu sur son engagement.
La SNCF aussi de son côté fait de mauvais choix de gestion. C'est elle qui a fait le choix de l'allongement des temps de parcours de surveillance des installations. C'est vrai aussi pour le matériel roulant. Avant, chaque train connaissait une révision générale tous les 5000 km. Maintenant, c'est tous les 10 000 km. Cette politique des économies, de la réduction du coût nous amène à la situation que l'on connaît aujourd’hui Gare du Nord. Comme l'avait dit l'ancien ministre des transports Frédéric Cuvillier « ça nous a rattrapé ».
Dans les années 2000, on a dépensé deux fois plus dans les lignes à grande vitesse que dans le réseau classique. Elles ne représentent pourtant qu'un peu plus de 2000km sur les 30 000 km que compte le réseau français. Résultat, pour rattraper ce retard, on en est réduit a fermer totalement des lignes plusieurs jours d'affilé pour effectuer les travaux.
 
Au delà du désagrément pour les usagers, cette dégradation du réseau présente t-elle aussi un risque de sécurité ?
Didier Le Reste. Le réseau est encore sûr mais vieillissant. C'est d'ailleurs pour ça que sur l'ensemble du réseau, il y a 5000 km de voies sur lesquels les trains ralentissent leurs vitesse, parce que les voies ne sont plus aux normes. En 2009 il y avait eu un rapport de la filiale ingénierie de la SNCF qui démontrait ce qu'ils avaient appelé la « criticité » du secteur de Brétigny-sur-Orge. Mais faute des bonnes réponses en termes de maintenance, il s'est passé ce qu'il s'est passé en 2013. La sécurité est avec la ponctualité l'un des fondamentaux de la SNCF. Dès l'instant qu'on réduit les investissements pour des économies de bout de chandelle, que ce soit pour les infrastructures ou le matériel roulant, un jour ou l'autre, on le paie cash. Un train ne peut pas éviter un rail cassé.

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