Cuisine : le goût amer des étoiles
Paule Masson
Mardi, 2 Février, 2016
L'Humanité
Le monde de la cuisine est sous le choc après le suicide présumé d’un grand chef, alors qu’hier le guide Michelin présentait son palmarès 2016 des restaurants distingués par ses inspecteurs.
La fête promettait d’être belle. Le palmarès du guide Michelin n’a, cette année, fait l’objet d’aucune fuite. Le petit guide rouge s’est même offert un sérieux relookage pour l’occasion. Mais la grand-messe annuelle de remise des récompenses à Paris a dû s’ouvrir par une minute de silence, en hommage au suicide présumé d’un des leurs, lundi soir. Le chef franco-suisse triplement étoilé Benoît Violier qui, à 44 ans, dirigeait le restaurant de l’Hôtel de ville, à Crissier, en Suisse, aurait mis fin à ses jours « à l’aide d’une arme à feu », a indiqué la police locale. Voilà qui est venu ranimer le souvenir encore vivace du suicide de Bernard Loiseau, en 2003, et la polémique sur la peur de perdre une étoile dans l’explication de son geste. Ironie du sort, le restaurant du chef disparu perd cette année une étoile.
Le guide Michelin , véritable bible de la gastronomie
C’est dire si le moment est aussi attendu qu’il est redouté. Chaque année, le palmarès des cuisiniers étoilés du guide Michelin, véritable bible de la gastronomie, façonne des chemins de respectabilité autant qu’il leste des réputations. Les récompensés s’offrent une notoriété qui tire par le haut toute la cuisine française. Mais les déchus ou les non-élus restent, de fait, sur le bas-côté d’un système construit autour de la distinction. Hier, la grand-messe annuelle du guide rouge a dévoilé les gagnants de l’année, avec un florilège de 52 nouveaux chefs étoilés. Que des hommes, sur un total de 600. Christian Le Squer, qui a repris la cuisine du restaurant Le Cinq, de l’hôtel George V à Paris, obtient une troisième étoile. Ainsi que l’incontournable Alain Ducasse, pour le Plaza Athénée, qui a commenté : « Il me plaît de dire qu’on peut vivre sans les étoiles mais c’est mieux avec. » Depuis une bonne dizaine d’années, pourtant, des grands chefs (Alain Senderens le premier, en 2005) ont choisi de vivre sans, jugeant que l’appel de la distinction finissait par les détourner de l’essentiel. Car, derrière les honneurs et le travail récompensé, la course aux étoiles multiplie aussi les contraintes. Qualité culinaire et des produits, horaires de travail hors normes, service impeccable, décoration personnalisée… le standing d’un restaurant trois étoiles, malgré des prix très élevés, rime rarement avec l’équilibre économique. La plupart des chefs doivent trouver d’autres sources de financement pour rentabiliser leur affaire. Ils ouvrent des « annexes », bistrots et petites tables à leur nom, investissent dans des hôtels, multiplient les services dans leur établissement, ou encore cèdent aux subsides offerts par la publicité.
Il n’en reste pas moins vrai que, chaque année, le palmarès Michelin est une mesure incontournable de la santé de la gastronomie. La sélection 2016 signale, par exemple, les établissements de nombreux chefs « locavores », soucieux de concilier la pratique de la cuisine avec le respect de l’environnement.
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