jeudi 4 février 2016

Il faut légiférer pour sauver les paysans et maintenir la production agricole

Il faut légiférer pour sauver les paysans et maintenir la production agricole

Gérard le Puill
Jeudi, 4 Février, 2016
Humanite.fr

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Photo Patrick Nussbaum
Alors que les prix trop bas des céréales, de la viande et du lait ne permettent plus aux agriculteurs de vivre de leur métier , André Chassaigne et les députés du groupe Front de gauche proposent au Parlement d’adopter un projet de loi visant à mettre fin au pillage du travail des paysans au profit de l’aval.
 
 
En décembre 2013 la tonne de blé français rendue au port de Rouen pour être exportée hors de l’Union européenne valait environ 270€. Le 2 février 2016, au même endroit, la cotation était tombée à 146€ la tonne, avec une perte de 6€ sur la semaine précédente. Il en est ainsi parce que l’offre mondiale de blé est un peu plus élevée que la demande. Dès lors, les spéculateurs font baisser les cours sur le marché à terme, ce qui se traduit aussi par une baisse des prix de vente au jour le jour.
 
En 2013, le prix moyen du lait payé aux producteurs avait été de 431€ les 1.0000 litres. Mais il avait baissé dès la fin de l’été pour ne plus valoir que 375€ en octobre. En ce début d’année 2016, les producteurs de lait perçoivent environ 300€ pour 1.000 litres de lait ; parfois un peu plus, parfois un peu moins selon la valorisation du lait par l’industrie de la transformation. Entre temps, l’Europe à mis fin aux quotas laitiers. Certains pays comme l’Allemagne, l’Irlande, les Pays Bas et la Pologne ont augmenté leur production. En Europe, elle dépasse désormais de quelques points la demande solvable en produits laitiers. Les laiteries, elles mêmes sous la pression des grandes surfaces en quête de rabais permanents avec menace de déréférencement, ont baissé autoritairement le prix du lait. Les producteurs ont alors le choix entre vendre moins cher ou jeter le lait car il faut bien traire les vaches deux fois par jour quand elles sont en production.
 
En 2013, le prix moyen du kilo de carcasse de porc charcutier vendu sur le marché au cadran de Plérin dans les Côtes d’Armor était de 1,37€. En juin 2015, les cours étaient 20 centimes plus bas en raison de l’augmentation de la production en Allemagne et en Espagne tandis que le marché russe était fermé à la viande porcine européenne dès le mois d’août 2014. L’été dernier, les éleveurs demandaient un prix minimum de 1,40€ pour ne pas travailler à perte. Cela supposait que les grandes surfaces et les salaisonniers s’approvisionnent prioritairement en porcs français. Ce que refusèrent les deux plus gros abatteurs que sont le groupe privé Bigard et le groupe « coopératif » COOPERL. Sur le marché au cadran du premier février 2016 à Plérin, la cotation du porc charcutier était de 1,10€ le kilo et à ce prix les éleveurs bretons perdent er moyenne 600€ par semaine.
Il faut avoir ces chiffres en tête pour comprendre le drame que vivent aujourd’hui les paysans qu’ils produisent des céréales , du lait , de la viande porcine ou de la viande bovine, elle aussi impactée par la chute des cours que permet une offre très légèrement supérieur e à la demande .
 
Voilà pourquoi André Chassaigne et les députés du groupe Front de Gauche ont présenté à la presse ce jeudi une proposition de loi qui demande que « les organisations interprofessionnelles reconnues organisent chaque année, pour chaque production agricole, une conférence sur les prix rassemblant producteurs, fournisseurs et distributeurs » en précisant que « l’ensemble des syndicats agricoles est convié à y participer». Le texte propose que « cette conférence donne lieu à une négociation interprofessionnelle sur les prix , destinée à fixer un niveau plancher de prix d’achat aux producteurs pour chaque production agricole, en tenant compte notamment de l’évolution des coûts de production et des revenus agricoles sur chaque bassin de production ».
 
En cas de crise comme celle qui dure depuis des mois en raison d’une offre supérieure à la demande et qui permet au secteur de l’aval de ruiner les paysans , la proposition de loi des députés du Front de gauche propose « l’application d’un coefficient multiplicateur sur l’ensemble des produits alimentaires entre le prix d’achat et le prix de vente en périodes de crises conjoncturelles et en prévision de celles-ci , permettant de limiter strictement le taux de marge des distributeurs ».
Ce coefficient multiplicateur est pertinent en cas de chute des cours à la production. Ces chutes sont souvent induites par une forte récolte notamment dans le secteur des fruits et légumes. Pour peu qu’un magasin de grande distribution soit tenu demain d’appliquer un coefficient multiplicateur sur un kilo de pommes de 150% par rapport au prix payés au producteur, ce prix aura aussi pris en compte le conditionnement et l’expédition aux frais de la coopérative. Le calcul suivant peut alors être fait : si le prix payé au producteur est de 40 centimes, le prix de la pomme en magasin ne sera que de 1€, soit une hausse de 150% . Si le producteur perçoit 60 centimes, le prix en magasin sera de 1,50€ et à ce prix là chacun doit pouvoir gagner sa vie alors que ce n’est plus le cas pour le producteur à 40 centimes. 
 
Enfin le texte de loi reprend aussi « une autre mesure très attendue par les agriculteurs et les consommateurs (qui) vise à rendre obligatoire l’indication du pays d’origine pour l’ensemble des produits agricoles à l’état brut ou transformé ». 
On peut penser que des voix vont s’élever au Parlement dans la cohorte des libéraux de tout poil pour affirmer que ces propositions ne sont pas compatibles avec le fonctionnement de l’Union européenne. Celle-ci promeut la concurrence de tous contre tous au sein de l’Union et ouvre parallèlement des négociations libre échange avec les Etats Unis et le Mercosur après le Canada et certains pays asiatiques. Mais c’est cette politique de libre échanges tous azimuts sur fond de dumping social et environnemental qui ruine l’agriculture française et européenne aujourd’hui. De surcroît, elle abouti à mettre en cause notre souveraineté alimentaire pour les années à venir.
 
Il est possible que Nicolas Sarkozy saisisse l’occasion de son passage pour la promotion de son livre ce soir sur France 2 pour prendre la défense du monde paysan. Y aura-t-il un journaliste pour lui rappeler sa lourde responsabilité dans ce domaine comme d’ailleurs celle des parlementaires de droite qui ont voté en 2008 la Loi de modernisation économique (LME) qui a donné les pleins pouvoirs aux grandes enseignes pour piller le travail des paysans ? Y aura-t-il quelqu’un sur le plateau de France 2 pour lui rappeler que le rapport ultra libéral qui a inspiré cette loi résulte d’une commande de Sarkozy lui-même à Jacques Attali et que le rédacteur final ce texte était un jeune banquier inconnu du grand public à l’époque, un certain Emmanuel Macron ?

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