jeudi 10 mars 2016

Coup de tabac sur Philip Morris

Coup de tabac sur Philip Morris

Jean-Jacques Régibier
Jeudi, 10 Mars, 2016
Humanite.fr

L’accord tordu qui permettait de déléguer aux grandes firmes du tabac le contrôle du trafic des cigarettes, tout en versant de l’argent à l’Europe, ne sera pas renouvelé. Dans une résolution, le Parlement européen a dit non au mélange des genres, dénonçant le conflit d’intérêt dans lequel s’était engagée la Commission européenne. Philip Morris sera le premier industriel concerné.
Correspondant à Strasbourg. Ce sont de très curieux accords que les États membres de l'Union européenne et la Commission avaient conclu à partir de 2004 avec les quatre principaux fabricants mondiaux de cigarettes : Philip Morris International (PMI), la Japan Tobacco ( en 2007 ), et la British American Tobacco (BAT) et Imperial Tobacco en 2010. Les firmes acceptaient de verser 2,15 milliards de dollars à l'UE et ses États membres pour que ceux-ci mettent fin à leurs procédures judiciaires visant à récupérer les droits de douane, c’est-à-dire le manque à gagner, perdu à cause du trafic. 90% des revenus de ces accords étaient versés aux États membres et 10% au budget de l'UE au titre des ressources propres.Les fabricants s’étaient par ailleurs engagés à  combattre activement le trafic et la contrefaçon de produits du tabac, en empêchant par exemple que leurs produits ne tombent aux mains de criminels, en ne produisant que les quantités absorbées par le marché légal, et en ne vendant leurs produits qu'à des clients légitimes. Les cigarettiers s’étaient également engagés à mettre en place un système de traçabilité pour aider les autorités à combattre le trafic.
 
Ces accords entre la Commission européenne et l’industrie du tabac ont été jugés incestueux par la majorité des députés, qui ont voulu mettre aujourd’hui un coup d’arrêt au lobbying effréné des industriels du tabac auprès des autorités européennes, spécialement de la Commission, clairement accusée d’avoir violé la directive tabac adoptée en 2014.
 
Phillip Morris sera le premier groupe à ne pas voir son accord « antitrafic » renouvelé puisque c’était le premier à l’avoir signer, et qu’il arrive à expiration en juillet 2016.
 
Depuis 2004 en effet, la Commission européenne, ainsi que les États membres, perçoivent de Philip Morris 1,25 milliard de dollars sur une période de 12 ans. En échange, ils ont renoncé à poursuivre Philip Morris pour sa "stratégie délibérée et constante pour alimenter le trafic de cigarettes, pour empêcher tout contrôle gouvernemental, pour corrompre des fonctionnaires et mener des activités illégales avec des groupes et Etats sponsors du terrorisme", a explique le groupe des Socialistes et Démocrates après le vote de la résolution. Un accord qui contrevenait à une convention de l'OMS dans la lutte anti-tabac, entrée en vigueur en 2005, dont l'Union européenne est signataire, et qui appelle à limiter au strict minimum les interactions avec les industriels du tabac et à en assurer une totale transparence.
 
Les députés ont par ailleurs fait valoir que les anciens accords, outre leur aspect « incestueux » avec les industriels du secteur, ne correspondaient plus aux techniques employées actuellement dans le commerce illicite de cigarettes à l’échelle mondiale.
 
Ce à quoi on assiste depuis ces dernières années, c’est en effet à une augmentation très importante des cigarettes dites "cheap whites", c'est-à-dire des cigarettes authentiques dont la marque n'est pas identifiée. Ces cigarettes sont fabriquées légalement dans des pays hors UE (Biélorussie, Ukraine mais également en Chine et dans les Émirats arabes unis) et ensuite vendues sur le marché illicite sans que les États membres de l'UE n'en perçoivent les taxes. L'accord de coopération, qui reposait notamment sur l’échange d’informations, ne couvrait donc plus ces flux mais seulement les cigarettes estampillées Philip Morris.
 
Dans la motion votée aujourd’hui,  les députés européens préconisent de mettre en place de nouveaux outils, tels qu’un système de traçage et de suivi des flux au niveau européen ( que les États membres devront appliquer en 2019 ). Ils invitent également les États membres à ratifier la convention cadre de l’OMS pour la lutte antitabac, rappelant  que la convention de l'OMS oblige les parties à protéger leurs politiques de santé publique des intérêts commerciaux de l'industrie du tabac, sans lui déléguer aucune de leurs obligations.
 
Le commerce illicite de produits du tabac, en particulier la contrebande et la contrefaçon de cigarettes, se traduit par des pertes de recettes considérables pour l'Union et ses États membres (en termes de droits de douane, de TVA et d'accises), supérieures à 10 milliards d'euros par an.
 
« Alors même que Philip Morris, par la force colossale de son lobbying, a tout fait pour saper l’adoption de la directive européenne sur le tabac en 2014 et continue d’agir pour retarder sa transposition, ont expliqué les députés socialistes, nous devons être déterminés à offrir la cigarette du condamné aux multinationales du cancer et de la mort, demandant que soit menée une  « lutte implacable contre ces entreprises qui bafouent la santé publique et qui - fortes des millions d’euros qu’elles détournent du budget des États membres – financent une armée de lobbyistes pour préserver leur rente et la rémunération de leurs actionnaires. »
 
On estime à 700 000 le nombre de décès prématurés dus au tabac chaque année dans l’Union européenne.

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