jeudi 10 mars 2016

Doutes en rafale sur le nucléaire français

Doutes en rafale sur le nucléaire français

Marie-Noëlle Bertrand avec Marion d’Allard
Lundi, 7 Mars, 2016
L'Humanité

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Mercredi dernier, le canton de Genève, en Suisse, a déposé plainte contre X pour mise en danger d’autrui et pollution des eaux, pointant du doigt la centrale du Bugey, dans l’Ain.
Photo : Robert Pratta/Reuters
Alors que les centrales françaises affrontent un tir croisé de critiques, la question des moyens consacrés à la sécurité revient sur le tapis.
Le nucléaire français se donne-t-il les moyens de sa sécurité ? La question revient sur le tapis, alors que la filière affronte un tir croisé émanant de trois pays frontaliers. Hasard de calendrier ? La rafale tombe à quelques jours du 5e anniversaire de la catastrophe nucléaire de Fukushima, survenue le 11 mars 2011, et juste après que Ségolène Royal, ministre de l’Environnement, s’est dite favorable à la prolongation de dix ans de la durée de vie des réacteurs français : en début de semaine dernière, le Luxembourg et le land de Rhénanie-Palatinat demandaient à la Commission européenne de fermer la centrale de Cattenom, en Moselle, à la suite de la parution d’un rapport parlementaire allemand accusant l’installation de ne pas être aux normes post-Fukushima. Mercredi, le canton de Genève, en Suisse, déposait plainte contre X pour mise en danger d’autrui et pollution des eaux, pointant du doigt la centrale du Bugey, dans l’Ain. Vendredi, enfin, la ministre allemande de l’Environnement, Barbara Hendricks, demandait que la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin) soit « fermée le plus vite possible », contestant le fait qu’EDF y ait maîtrisé dans les règles un incident survenu en 2014.
Concernant la centrale du Bugey, Ségolène Royal a fixé rendez-vous à la Suisse le 4 avril pour en parler. Concernant Fessenheim, l’Agence de sûreté nucléaire (ASN) affirme que l’incident mentionné par l’Allemagne est resté sous contrôle permanent d’EDF. Reste que les inquiétudes concernant l’avenir proche du parc nucléaire français s’entendent jusque dans les rangs des acteurs de la filière. En janvier, Pierre-Franck Chevet, directeur de l’ASN, le notait lui-même lors de ses vœux. « Le contexte en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection est préoccupant ! » lançait-il, empruntant une tonalité inédite. Ciblé : l’écart entre les enjeux auxquels la filière est appelée à faire face et les moyens qui lui sont accordés. « La poursuite du fonctionnement des centrales nucléaires au-delà de quarante ans n’est pas acquise », poursuivait ainsi le directeur. Ces conditions supposent de garantir le maintien de la conformité des équipements aux exigences de sécurité et de maîtriser leur vieillissement.

« Contraints de nous concentrer sur les installations qui fonctionnent »

« Le déploiement des mesures post-Fukushima doit se poursuivre », insistait-il encore, rappelant que l’ASN a fixé, entre 2014 et 2016, des exigences complémentaires pour la mise en place de sécurisations renforcées. Il faut, enfin, garantir la sûreté des réalisations futures. Or « nous n’avons pas obtenu à ce stade les moyens supplémentaires nécessaires pour assurer pleinement notre tâche », complète-t-il dans un entretien accordé vendredi à Libération. « Nous sommes donc contraints, en 2016, de nous concentrer sur les installations qui fonctionnent, le risque le plus urgent est là. »
Si le ton est inquiétant, l’alerte n’est pas neuve. En 2015, déjà, l’ASN déplorait que sur les 200 emplois supplémentaires demandés pour faire face au chantier qui l’attend, 30, seulement, lui ont été accordés, à partager avec l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Un déficit de 170 emplois qui paraît à la fois dérisoire et vertigineux : dans son rapport annuel, publié en février dernier, la Cour des comptes jauge les besoins en recrutement pour l’ensemble de la filière nucléaire à 110 000 emplois directs ou indirects d’ici à 2020.

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