jeudi 10 mars 2016

Exactions contre les Kurdes en Turquie : des députés européens témoignent


Exactions contre les Kurdes en Turquie : des députés européens témoignent

Jean-Jacques Régibier
Jeudi, 10 Mars, 2016
Humanite.fr

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Le député kurde Osman Baydemir, présente des photos témoignant des crimes commis contre des civils kurdes à Cizré.
Photo Jean-Jacques Régibier
Au moment où les chefs d’état européens s’apprêtent à donner 6 milliards d’euros au régime d’Erdogan pour qu’il  empêche les réfugiés syriens d’entrer en Europe, de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer la répression qui s’abat contre les minorités kurdes et yézidis et le mouvement démocratique en Turquie. Une délégation de députés européens est allée enquêter sur place.
Correspondant à Strasbourg. Trois députés européens du groupe GUE-GVN - la française Marie-Christine Vergiat, le chypriote Takis Hadjigeorgiou et l’espagnol Miguel Urban, de Podemos - reviennent d’une mission parlementaire dans le Sud-Est de la Turquie, une région habitée essentiellement par une population kurde. Ils sont allés notamment dans une capitale de province, la ville de Diarbakir, et à Istanbul, et viennent de donner des détails sur la situation qu’ils ont rencontrée sur place, au cours d’une conférence au Parlement européen de Strasbourg. Deux députés au Parlement turc représentant deux minorités les accompagnaient : Osman Baydemir, le très populaire maire de la ville kurde de Diarbakyr, et Ali Atalan, jeune représentant de la minorité Yézidi, président de l’association européenne des Yézidis.
 
Marie-Christine Vergiat, qui est déjà allée à une dizaine de reprises en mission en Turquie, témoigne que ce qu’elle a vu cette fois-ci ( le voyage a eu lieu du 4 au 6 mars ) dépasse de loin tout ce qu’elle avait pu constater auparavant.
«  Ce que j’ai entendu au cours de cette mission m’a sidérée », explique-t-elle, « l’évolution des choses est encore plus dramatique que ce que nous pouvions imaginer. La répression s’abat avec de plus en plus de force sur toutes celles et tous ceux qui osent encore critiquer le  régime.»
A Diyarbakir, elle explique avoir entendu de nombreux témoignages sur ce qui se passait dans la ville de Sur ainsi qu’à Cizré, une ville kurde comptant 120 000 habitants, considérée depuis les attaques de l’armée turque cet été, comme une ville martyr. Elle confirme que « de véritables atrocités, des actes barbares, de nombreux assassinats ont eu lieu depuis le mois de juillet dernier : la population y a subi dans le Sud-Est de la Turquie (la région Kurde), plus de 700 morts parmi lesquelles de nombreuses femmes et de nombreux enfants, y compris en très bas âge. Et on veut nous faire croire que ces enfants sont membres du PKK ,» s’insurge-t-elle.
Les députés européens affirment que les témoignages qu’ils ont reçus des personnes qui commencent à pouvoir rentrer dans Cizré sont « effarants, accablants. »  La ville a été complètement rasée. Des personnes sont mortes dans les caves ( ces massacres de populations civiles dans  les caves de deux immeubles ont été confirmés par de nombreuses sources journalistiques NDLR ). « On soupçonne les autorités d’avoir utilisé des gaz chimiques, on cherche à faire disparaitre toutes les preuves de ce qui s’est passé, y compris en faisant disparaître les cadavres. Certains sont retrouvés brulés et difficilement identifiables, d’autres démembrés, ou bien sont  jetés dans le fleuve, ou dans des fosses communes. Tout cela est horrible, et rappelle un triste passé, y compris en Europe, » ajoute Marie-Christine Vergiat.
Le député yézidi Ali Atalan parle, lui, de « crimes contre l’humanité » perpétrés par le régime d’Erdogan. « Des crimes de guerre ont été commis, nous avons les preuves », explique-t-il, dénonçant les négociations entreprises par l’Europe, qui laissent à la Turquie le champ libre pour agir comme elle veut, aussi bien vis-à-vis des réfugiés affluant des pays voisins en guerre, que contre sa population ou les opposants au régime et les forces démocratiques. « L’argent de l’Europe va servir au financement de cette guerre sale menée par Erdogan contre les Kurdes et les Yézidis en Turquie, et l’Europe est complice. »
A Istanbul, la délégation a rencontré la communauté alevi et visité son principal centre culturel  (CEMEVI) de Gazi dont les activités y compris caritatives sont quasiment bloquées.
« Nous nous sommes également rendus dans le quartier Armatla qui est un peu le symbole de la répression des mouvements populaires », explique Marie-Christine Vergiat. Dans ce quartier, un mouvement s’est développé contre la spéculation immobilière. Ce quartier ayant le privilège d’être sur les hauteurs au bord du Bosphore, est un secteur choyé par les spéculateurs. La population s’organise pour essayer d’empêcher la démolition du quartier, notamment du nouveau centre alevi.
« La jeune Dilek Dogan dont nous avons rencontré la famille, poursuit la députée française, est un symbole de la répression du régime. Elle a été froidement assassinée en ouvrant la porte  de son appartement à des policiers ou à des pseudos policiers. Nous avons pu nous rendre compte de l’inquiétude qui montait dans la communauté alevi.
Nous avons également rencontré les universitaires, ceux qui sont victimes de répression à la suite d’un appel qu’ils ont lancé pour dénoncer la situation dans le Sud Est de la Turquie. Beaucoup ont d’ores et déjà perdu leur emploi et  300 d’entre eux viennent d’être inculpés pour « terrorisme » ; le prétexte utilisé par le gouvernement turc pour bâillonner son opposition et le gouvernement turc a une conception pour le moins élargie de la lutte contre le terrorisme. »
 
Les députés ont également témoigné de la répression qui s’abat contre les journalistes, l’affaire du journal Zanam en étant la caricature. Principal journal d’opposition, rappelons que ce journal a été placé sous tutelle et a republié le 6 mars avec une ligne totalement pro-gouvernementale. Les journalistes de Cumhuriyet ont également été la cible de répression, son rédacteur en chef a été emprisonné. La Turquie a le triste privilège d’être le pays du monde où proportionnellement à sa population, il y a le plus de journalistes emprisonnés.
Le député kurde Osman Baydemir a expliqué que le parlement turc prépare une résolution pour protéger l’armée afin qu’aucun militaire ne puisse être traduit en justice sans autorisation spéciale du ministre de la Justice, ce qui est une manière pour le gouvernement Erdogan de donner à l’armée une carte blanche pour tous les actes qu’elle pourra commettre.
« Et c’est ce moment-là que l’Union européenne a choisi pour faire un accord avec la Turquie avec un seul objectif : celui de faire bloquer les réfugiés qui cherchent à venir en Europe, au mépris du droit international et du droit européen, notamment de la convention de Genève comme vient de le rappeler le Haut-Commissariat aux réfugiés, » a conclu Marie-Christine Vergiat, ajoutant : « on veut nous faire croire que la Turquie serait devenue un pays sûr dans lequel on peut renvoyer toutes celles et tous ceux qui ne bénéficient pas de la « relocalisation ».  Or, Mr Erdogan et son  gouvernement sont à l’origine même de cette crise de réfugiés en Europe. Il n’y a pas pu avoir d’un seul coup 850 000 personnes (dont 60% syriens) qui ont quitté les côtes turques sans que les autorités turques n’aient rien pu faire, rien pu voir. »
Les députés européens et leurs collègues kurdes et yézidis ont lancé un appel pour que l’Union européenne envoie de toute urgence une mission d’enquête officielle en Turquie pour juger des crimes commis par le régime d’Erdogan.

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