jeudi 17 novembre 2016

Droit du travail. Une alternative au procès pour les employeurs

Droit du travail. Une alternative au procès pour les employeurs

Fanny Doumayrou
Jeudi, 17 Novembre, 2016
L'Humanité
  
Il n’y aura plus d’audience publique, les choses se régleront dans le bureau du le directeur régional des entreprises de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte). Photo : Jeff Pachoud/AFP
Il n’y aura plus d’audience publique, les choses se régleront dans le bureau du le directeur régional des entreprises de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte). Photo : Jeff Pachoud/AFP
Depuis juillet, les services de l’inspection du travail peuvent infliger des amendes administratives aux employeurs en infraction, mais aussi leur proposer une transaction qui les fait échapper aux poursuites pénales.
À l’heure où la justice confirme la condamnation au pénal d’une inspectrice du travail, voir un employeur sur le banc des prévenus pourrait devenir de plus en plus rare. Sans tambour ni fanfare, une mutation profonde du système de répression des manquements à la réglementation du travail vient d’être mise sur les rails à travers une nouvelle réforme de l’inspection du travail. Depuis le 1er juillet dernier, ces services de l’administration du travail disposent de « nouveaux pouvoirs », qui devraient faire reculer le canal classique du procès-verbal pouvant donner lieu à un procès de l’employeur devant le tribunal correctionnel.
La réforme vient de loin et a connu un parcours chaotique. Glissée à l’origine dans la loi sur la formation début 2014, elle en a été évacuée par le Parlement, puis a failli intégrer le projet de loi Macron, avant d’être finalement adoptée par une ordonnance du 7 avril dernier, ratifiée par la loi travail. Actuellement, l’action des agents de contrôle de l’application du Code du travail – inspecteurs et contrôleurs – consiste à faire pression sur les employeurs en infraction à coups de lettres d’observations, et, en cas de résistance, à dresser un procès-verbal relevant les manquements à la loi. Ce PV est transmis au parquet, qui décide des suites à donner : poursuites, peine alternative, classement sans suite.

Vers une« dépénalisation » du droit du travail

Avec l’objectif affiché d’apporter une sanction « plus rapide et plus efficace », l’ordonnance élargit le circuit alternatif à cette procédure pénale, très critiquée pour sa lenteur et pour le fort taux de classements sans suite. D’une part, elle permet à l’agent de contrôle de rédiger non pas un PV, mais un rapport destiné à sa propre hiérarchie, qui peut décider d’infliger à l’employeur une amende pouvant aller jusqu’à 2 000 ou 10 000 euros par salarié concerné. Si ce type d’amende administrative existe déjà depuis 2014 dans le domaine du travail « détaché », il est étendu aux questions de durée maximale de travail, de durée minimale de repos, de salaire minimum ou d’installations sanitaires dans le BTP, mais aussi de travail des salariés mineurs et en cas de refus de l’employeur d’obéir à des injonctions. D’autre part – et c’est là la plus grosse innovation – le texte instaure la transaction pénale, sorte de sanction à l’amiable : lorsque l’agent a rédigé un PV, le directeur régional des entreprises de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) peut proposer à l’employeur un accord fixant le montant de l’amende et, éventuellement, les mesures que l’employeur s’engage à prendre pour régulariser sa situation. Si ce dernier accepte, les poursuites pénales s’éteignent, sous contrôle du parquet qui homologue l’accord. La plupart des infractions peuvent entrer dans ce cadre, sauf celles faisant encourir un an ou plus de prison.
Punir autrement pour punir mieux, ou pour punir moins ? Les appréciations divergent sur les effets potentiels du nouveau système. Du côté du syndicat Syntef-CFDT, l’accueil est très positif : « Depuis longtemps nous revendiquions des amendes administratives, à partir du diagnostic d’un droit pénal du travail en panne, explique un inspecteur du travail, membre du bureau du syndicat. Les procès-verbaux sont souvent classés sans suite ou donnent lieu à des procédures longues, qui débouchent sur des amendes insuffisantes. Nous attendons des amendes administratives la rapidité et la certitude de la sanction, avec des durées de procédures en semaines ou en mois, et non plus en années. » Si l’état des lieux sévère du système actuel est partagé par les syndicats CGT et SUD travail, ceux-ci craignent une « dépénalisation » du droit du travail. « Pourquoi y aurait-il un traitement différent selon le type de contrevenant ? Pourquoi les employeurs en col blanc ne seraient-ils pas traités comme n’importe quel quidam qui doit répondre de ses actes devant un tribunal ? » interroge Astrid Toussaint, du bureau national de SUD travail. La CGT de l’inspection du travail a relevé les chiffres catastrophiques des poursuites pénales en Seine-Saint-Denis : « Sur 400 PV transmis, un tiers n’a pas de suites connues, et 18 % seulement ont donné lieu à des poursuites, détaille Julien Boeldieu, du bureau national du syndicat. Aucune réponse n’a jamais été apportée à ces problèmes, mais avec les nouveaux pouvoirs, il n’y aura plus d’audience publique, les choses se régleront dans le bureau du Direccte.
En principe, la voie pénale n’est pas exclue par les nouveaux textes. Mais, dans la pratique, elle risque de s’étioler. Concernant les amendes administratives, les agents ont toujours le « choix » et la possibilité de dresser un PV. Mais les parquets engorgés seront d’autant plus enclins à classer sans suite qu’il existe la sanction administrative. Concernant la transaction, l’agent « de base » perd complètement la main. C’est une fois qu’il a rédigé un PV que sa hiérarchie prend l’initiative de proposer une transaction à l’employeur. Les instructions du ministère du Travail et de la chancellerie préconisent de réserver la voie pénale classique aux infractions « les plus graves », comme les accidents du travail, les obstacles à l’inspection du travail, les atteintes « les plus graves » aux institutions du personnel ou les dossiers où des victimes veulent se porter partie civile. Mais rien n’empêche le Direccte de proposer une transaction à l’employeur quelle que soit la nature du dossier. Ce qui peut annoncer une généralisation de la sanction négociée. « L’idée de la transaction n’est pas de diminuer la peine, mais que l’employeur s’engage à mettre en œuvre des mesures, ce sont des concessions réciproques », défend le porte-parole du Syntef-CFDT, qui invite à faire « confiance » aux Direccte. Confiance difficile pour certains. « La liste des interventions de la hiérarchie dans nos dossiers est longue, et toujours en faveur des grosses entreprises, car les petites n’ont pas les moyens de se défendre », note Astrid Toussaint de SUD travail.
En Aquitaine, un inspecteur du travail constate un « relatif enthousiasme » pour les amendes administratives : « Les collègues retournent sur des sujets comme le temps de travail qu’ils avaient délaissés car les PV étaient très souvent classés. Mais il risque d’y avoir des déceptions car, dans les nouvelles procédures, c’est le Direccte qui décide de l’amende et de son montant. » Autre dérive possible, la politique du chiffre. Le système des amendes permet d’enchaîner les sanctions sur des points formels, sans aller sur le fond du dossier. C’est déjà le cas pour le travail détaché : une entreprise étrangère peut écoper d’une amende pour absence de déclaration du détachement de salariés ou de mention de son représentant en France. Si ces sanctions faciles peuvent être le point de départ d’enquêtes plus approfondies sur les conditions de travail ou les montages frauduleux, elles peuvent aussi s’arrêter là et servir à faire remonter du chiffre. « On assiste à un retour de la pression du chiffre », déplore un autre agent. Les objectifs chiffrés avaient été suspendus par le ministère après le suicide de l’inspecteur du travail Romain Lecoustre début 2012.
Un code de déontologie aux allures disciplinaires
Issu de l’article 117 de la loi travail, un projet de décret du ministère du Travail prévoit la mise en place d’un « code de déontologie du service public de l’inspection du travail ». En fait de déontologie, le texte instaure pour les agents des obligations relevant plus de règles disciplinaires que professionnelles : obéir à son supérieur, participer aux réunions, se conformer aux priorités définies par la Direction générale du travail. Leur liberté d’expression est restreinte par l’interdiction de « se prévaloir de la qualité d’agents du système d’inspection du travail dans l’expression de leurs opinions politiques ». Gérard Filoche et ses émules sont visés.

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