jeudi 24 novembre 2016

L’agro-écologie étouffée par la mondialisation des échanges


L’agro-écologie étouffée par la mondialisation des échanges

Gérard Le Pui
Jeudi, 24 Novembre, 2016
Humanite.fr

 

Trop de paysans vivent aujourd’hui une situation économique et sociale à la fois injuste et insupportable, ce qui ne prédispose pas à innover via l’agro-écologie. Photo : AFP
Trop de paysans vivent aujourd’hui une situation économique et sociale à la fois injuste et insupportable, ce qui ne prédispose pas à innover via l’agro-écologie. Photo : AFP
Un projet d’avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE) a été présenté à la presse hier midi alors que le sujet faisait l’objet d ‘un débat en vue de son adoption le jour même. La rapporteure de cet avis se nomme Cécile Claveirole. Consultante et journaliste en environnement, elle siège au CESE à la section de l’agriculture de la pêche et de l’alimentation. En fin de journée, l’avis a été voté avec 154 votes pour, 2 contre et 26 abstentions.
Lors de la présentation du document aux journalistes, hier midi, Etienne Gangneron, président en titre de la section de l’agriculture, de la pêche et de l’alimentation, présidait, comme il est de coutume, ce point de presse au siège du CESE. Il éleveur en agriculture biologique et membre de la direction nationale de la FNSEA. Alors que la personnalité qui préside une section du CESE fait habituellement connaître le sujet en quelques mots avant de céder la parole au rapporteur, Etienne Gangneron n’a pas dit un mot sur le sujet avant d’inviter Cécile Claveirole à s’exprimer. Pour comprendre cette discrétion, il fallait regagner son bureau une heure plus tard et découvrir  un communiqué de presse mis en ligne à 12H 34 sous le titre : « Avis sur l’agro-écologie au CESE : une occasion manquée». Le texte était signé de sept organisations agricoles et para-agricoles dont la FNSEA, le Crédit Agricole et l’assureur Groupama.
Le communiqué fait savoir que « le groupe de l’agriculture n’approuvera pas ce texte ». En voici les raisons essentielles telles que formulées par les sept organisations signataires : « Nous avons dit que pour relever tous les défis  économiques sociaux et environnementaux et nous engager plus largement encore dans l’agro-écologie, il nous faut plus d’innovation, plus de recherche, plus d’expérimentation au service des agriculteurs qui construisent aussi une expertise. Il nous faut renforcer les filières tout au long  de la chaîne alimentaire. Il nous faut d’abord un vrai projet agricole européen qui ne soit pas mené uniquement par le droit de la concurrence ».
Cette dernière phrase est pertinente. N’ayant pas connaissance de ce communiqué au moment où Cécile Claveirole répondait aux questions de journalistes, je lui avais demandé pourquoi la présentation du rapport occultait la question de la baisse du revenu paysan provoqué essentiellement par la multiplication des accords de libre échange que la Commission européenne négocie en étant mandatée par les Etats membres de l’Union européenne. Elle m’a répondu que le rapport l’abordait un peu. Très peu en réalité.

Quand les fermiers américains ne veulent plus des OGM

Cela étant, quand le communiqué commun de la FNSEA, des coopératives et des financiers en lien avec l’agriculture parle de «plus d’innovation, plus de recherche, plus d’expérimentation», c’est pour suggérer en creux qu’il faut passer par les Organismes génétiquement modifiés (OGM), sans recourir au sigle dans le discours. Justement, à propos des OGM, la correspondante du quotidien Les Echos à New York écrivait dans l’édition du 22 novembre que « certains agriculteurs américains se demandent s’ils ont toujours intérêt à cultiver  des organismes génétiquement modifiés qui leur coûtent jusqu’à deux fois plus cher à planter que des semences classiques ».
Et pourquoi se posent-ils ces questions ? Voici l’explication de la journaliste Lucie Robequain : « le prix du maïs a fondu de moitié depuis son pic de 2012 (…) C’est aussi le cas du soja (…) Il y a peu de raisons de penser que les prix remontent en flèche au cours des cinq prochaines années, prévient le ministère de l’Agriculture» des Etats Unis. Mais l’article produit d’autres données qui confirment que les OGM  ne sont qu’une solution de court terme et très à courte vue. Le recours à ces semences a permis d’augmenter les rendements de 20% sur vingt ans alors que le prix des semences a augmenté de 400% sur la même période.

Les effets pervers des OGM

Alors que les promoteurs des graines OGM de maïs et de soja promettaient aux paysans un moindre recours aux  produits de traitement, « les mauvaises herbes ont évolué pour résister au Roundup- le fameux herbicide de Monsanto - et les fermiers sont contraints de ressortir des herbicides plus anciens et plus puissants (…) les agriculteurs américains ont augmenté leur consommation d’herbicides de 21% sur 20 ans alors que les Français ont réduit les leurs de 35% sur la même période », écrit la correspondante des Echos. Voilà qui confirme ce que moi-même et d’autres journalistes ont souvent écrit ces dernières années à propos des multiples effets pervers des OGM.
Mais revenons à l’avis soumis au CESE. Il dit que « l’agro-écologie peut contribuer à relever : le défi de l’alimentation, le défi de la santé, le défi économique, le défi social, le défi sociétal, le défi environnemental, le défi territorial, le défi technique ». Sauf que ces défis ne peuvent pas être relevés dans le cadre d’une mise en concurrence directe de toutes les agricultures du monde selon la théorie des avantages comparatifs conceptualisée par David Ricardo au début du XIXème siècle. Or, l’OMC et les Etats continuent de promouvoir ce concept aujourd’hui dans le cadre d’accords globaux ou bilatéraux dont le CETA signé entre l’Europe et le Canada est le dernier mauvais exemple en attendant le TAFTA dont Donald Trump disait ne pas vouloir avant d’être élu .
L’avis du CESE adopté hier nous dit que « les problèmes de fertilité et d’érosion des sols peuvent être résolus par des changements de modes de production et de culture. Tout ce qui conduit à dynamiser la vie du sol et permettre une activité normale des micro-organismes vivant dans le sol, participe à une plus grande productivité globale ». Il évoque tout ce qu’il est possible de faire pour produire mieux avec moins d’intrants chimique mais peine  à expliquer pourquoi cela n’avance pas à l’allure qu’il faudrait. Or une partie de la réponse tient au fait que trop de paysans vivent aujourd’hui une situation économique et sociale à la fois injuste et insupportable, ce qui ne prédispose pas à innover via l’agro-écologie.

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