mardi 15 novembre 2016

Théâtre. « On peut vivre sans philosophie, mais pas si bien »

Théâtre. « On peut vivre sans philosophie, mais pas si bien »

Gérald Rossi
Samedi, 12 Novembre, 2016
Humanite.fr

 

Photo : Pascal Gély
Avec « Vladimir Jankélévitch la vie est une géniale improvisation », Bruno Abraham-Kremer restitue sur  scène toute la vigueur de la parole du philosophe qui durant soixante ans a correspondu avec son ami le plus sincère.
« J’ai commencé la philosophie très jeune, j’avais quatre ans » confie Bruno Abraham-Kremer, qui finalement a fait comédien. Metteur en  scène et auteur. Sa maman, sous le bureau de laquelle il se cachait alors, était prof de philo, et élève de Vladimir Jankélévitch. Son papa fut le premier traducteur de Freud en français. De fait, au-delà des anecdotes domestiques, la route était toute trouvée  quand il a décidé de monter, avec la complicité de Corine Juresco, « La vie est une géniale improvisation », d’après la correspondance entre « Janké » comme disaient ses élèves, et Louis Beauduc. Tous deux échangé des lettres  pendant  soixante ans, depuis  leur rencontre à  Normale Sup en 1923.
Beauduc est resté sa vie durant prof de lycée, bon époux et bon père de famille à Limoges, alors que Vladimir Jankélévitch enseigna dans diverses universités (Prague, Lyon, Toulouse, Lille), puis à la Sorbonne à Paris où il occupera la chaire de philosophie morale, se maria deux fois et publia de nombreux ouvrages. Il écrivit  aussi sur la musique, vécue comme une (autre) passion qu’il s’agisse de Fauré ou de Ravel… Ecouter cette correspondance, « c’est plonger dans l’intimité d’un grand penseur » affirme Bruno Abraham-Kremer qui ajoute «  plus que jamais il nous aide à vivre. Il est urgent de continuer à l’écouter ».
 

Témoins du XXe siècle

 
Dans ces échanges épistolaires, « Janké » commente avec brio, légèreté et mordant les grands rendez-vous de ce XXe siècle qu’ils ont traversé tous les deux.  Avec un temps lourd autour des années 1940 qui l’ont meurtri. Mobilisé au front, le voila blessé, rapatrié, puis révoqué de l’université  car déclaré par le régime de Vichy  « non français à titre originaire ». A Toulouse il entre dans la clandestinité. Les correspondances avec Beauduc ne s’interrompent pas mais deviennent anonymes.
 
Puis reprennent leur rythme, passé l’effroyable cauchemar, pour balayer l’époque, mai 1968, la modernité des ordinateurs, avec un écho profond sur  « la shoah et ses crimes imprescriptibles ».
« Seul compte l’exemple que le philosophe donne par sa vie et dans ses actes » disait encore Jankélévitch, qui se plaisait aussi d’ajouter : «  on peut vivre sans philosophie, sans musique, sans joie et sans amour. Mais pas si bien ». Et sur la scène, encombrée juste d’un bureau et d’un petit pupitre, d’une chaise et d’un fauteuil, Bruno Abraham-Kremer fait raisonner cette réflexion utile. « Il nous a semblé, en ces temps d’incertitudes et de déchirements qu’elle se fasse entendre à nouveau » explique Benoît Lavigne, le patron du Lucernaire. Et c’est du beau travail.
 
 
Jusqu’au 11 décembre au Lucernaire, 53, rue Notre Dame des Champs, Paris 6e, téléphone : 01 45 44 57 34.

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