dimanche 4 décembre 2016

Jean-Luc Mélenchon : « Nous sommes les descendants des partageux »

Jean-Luc Mélenchon : « Nous sommes les descendants des partageux »

présidentielle
Aurélien Soucheyre
Jeudi, 1 Décembre, 2016
L'Humanité
  
Jean-Luc Mélenchon, avant-hier, à Bordeaux. Photo : Georges Gober/AFP
Jean-Luc Mélenchon, avant-hier, à Bordeaux. Photo : Georges Gober/AFP
Le candidat de la France insoumise, soutenu par le PCF et Ensemble, lors d’une réunion publique à Bordeaux, s’est présenté en alternative à François Fillon, lui opposant une « vision du monde » couplant exigences sociales, écologiques et démocratiques.
Bordeaux, envoyé spécial.
«C’est quoi ça ? Une manif ? » Depuis le cours de l’Intendance, à Bordeaux, deux quadras impeccablement vêtus regardent avec incrédulité une rue de Grassi noire de monde. « Pas loin, ici, on veut abolir la loi El Khomri », répond un groupe de jeunes, avant de rejoindre la foule qui se presse pour assister au meeting de Jean-Luc Mélenchon. « C’est plein, les 1 100 places sont prises à l’intérieur », prévient un habitué resté en dehors du Théâtre Fémina. Ni une ni deux, les militants de la France Insoumise installent écrans et enceintes. « On va sonoriser la rue », rassure Mélenchon, chaleureusement applaudi avant d’entrer. Si un groupe se détache vite, pour suivre le discours en direct sur Internet, la majorité des citoyens rassemblés sont restés près de deux heures debout, tenant la rue jusqu’à la fin de la réunion publique.
« Honneur au vaincu », lance très vite Mélenchon sur l’estrade. Derrière lui, un écran dévoile des unes de journaux consacrées à la juppémania. Sans doute que le candidat de la France insoumise, soutenu par le PCF et Ensemble, n’avait pas choisi la ville de l’ancien grand favori de la primaire de la droite par hasard. François Fillon a finalement gagné. Qu’importe. C’est face à lui qu’il faut se dresser. C’est peut-être même une chance : « C’est une bonne chose que la droite ait choisi ce qu’est vraiment la droite », mesure Mélenchon, qui voit en Fillon « le libéralisme économique le plus absolu et le conservatisme intellectuel et moral le plus total ». « Nous allons pouvoir confronter nos idées sans masque, poursuit le candidat, opposer deux visions du monde. » Se livrant à un « projet contre projet », Mélenchon se place d’emblée comme seul opposant à celui qu’il attaque vigoureusement, se souciant peu des autres candidats. « Très bien ! C’est nous l’alternative. C’est nous la gauche. Le PS est cramé, inaudible. Il ne propose rien de crédible contre la droite », apprécie un citoyen depuis la rue.

Réécrire la Constitution avec l’implication du plus grand nombre

Très vite est diffusée la vidéo du discours de Fillon devant le patronat, dans laquelle il promet, entre autres réjouissances, de supprimer la durée légale du travail en utilisant tous les moyens mis à disposition par la cinquième République. Le candidat de la droite parle même de « blitzkrieg », de « guerre éclair » en allemand pour soumettre le Parlement. « Contre qui compte-t-il faire une guerre éclair ? C’est une guerre sociale qu’il prépare et il l’a dit ! » s’alarme Mélenchon. L’orateur fait alors voler en éclats la vision du monde de la droite, qui voudrait que certains se tuent au travail, bien au-delà de 48 heures par semaine, pendant que d’autres accumulent les richesses créées sans rien faire, alors « que la baisse du temps de travail nécessaire pour produire des richesses est permanente depuis un siècle ». « Je n’étais pas au courant. C’est fou. On se laisse duper. On a tellement besoin d’avoir conscience de ce qui se passe », souffle Lucie, qui assiste à son premier meeting, comme beaucoup de jeunes ce soir-là.
Dans le programme « l’Avenir en commun », disponible depuis aujourd’hui en librairies, Jean-Luc Mélenchon propose de rétablir les 35 heures et de se diriger à terme vers les 32 heures, de remettre la retraite à 60 ans et de développer la Sécurité sociale que Fillon veut détruire. « Il faut voir le film la Sociale. Ce sont les communistes qui ont fait ça, avec Ambroise Croizat et la CGT. C’est une invention extraordinaire. Chacun donne selon ses moyens, et reçoit selon ses besoins. Et nous, on voudrait que ce soit comme ça partout. » Le candidat moque alors le remboursement uniquement prévu pour les longues maladies proposé par Fillon : « Quand on est un peu malade, on peut se soigner, sinon on devient très malade, et en plus on rend les autres très malades. »
Appelant à payer les femmes autant que les hommes (« Si vous le faites, vous financez la retraite à 60 ans »), Mélenchon s’avère soucieux de montrer que « tout se tient » dans les propositions de la France insoumise face au projet de Fillon, y compris en matière institutionnelle. « S’il parle de blitzkrieg, c’est parce que le coup d’État permanent de la cinquième République va lui permettre de faire un coup d’État social. » Et le candidat d’enchaîner sur l’importance d’une Constituante, au lendemain d’une victoire en 2017. « Il va falloir que tout le peuple s’y mette. Ne croyez pas que je vais tout faire. Depuis là-haut, c’est impossible. » Réécrire la Constitution avec l’implication du plus grand nombre est ici présenté comme « stratégie révolutionnaire ». Sont évoqués dans la foulée le vote obligatoire couplé à la reconnaissance du vote blanc et le droit de vote dès 16 ans.
La vision du monde de Fillon en prend enfin un coup sur le plan écologique. Le candidat de la droite veut supprimer le principe de précaution environnementale. Il souhaite prolonger les centrales nucléaires de quarante à soixante ans. S’opposant au principe « de la main invisible du marché » qui, loin de tout résoudre, est source de destruction, Mélenchon entend affronter au plus vite la crise de la biodiversité et le réchauffement climatique, plutôt que de les sacrifier au profit de quelques-uns. « Nous ne supportons pas la souffrance des autres, ni le massacre de la nature (…). Quand on vous parle de la 6e extinction des espèces, dites-vous que la réponse est sociale (…). C’est parce que nous sommes écolos que nous sommes socialistes ! » « Et vice versa ! » s’enthousiasme-t-on sous les colonnes ioniques du théâtre.

« On ne prendra pas à la terre plus qu’elle ne peut produire »

Mathilde, 17 ans, pourra voter pour la première fois en 2017. « Je suis venue me renseigner. Je cherche une issue à gauche. Ce que j’entends me plaît. Mélenchon est le seul candidat important qui s’intéresse à l’écologie », développe-t-elle, avant de vanter la « planification écologiste » et l’objectif à terme d’une production d’énergies 100% renouvelables, en développant recherches et formations à haut niveau. Mélenchon parle alors d’instaurer la règle verte : « On ne prendra pas à la terre plus qu’elle ne peut produire », et invite à un virage total, au sein duquel 400 000 paysans de plus seront nécessaires pour une agriculture biologique. « C’est dans la paysannerie que sont souvent les formules socialistes les plus avancées », rappelle-t-il, retraçant en une phrase le combat des métayers, des coopératives, le respect de la nature. Les phrases prononcées valent alors aussi bien pour la planète que pour l’homme – « Ou c’est la logique publique du bien commun ou c’est celle du capital privé et de la rentabilité », « Ce qu’il faut libérer, c’est l’intelligence, et c’est le capital qu’il faut enfermer » – jusqu’à refaire sens avec toute leur histoire commune : « Nous sommes les descendants des généreux, des bons, des partageux ! »

Un peu de philosophie pour la route
Profitant de son étape à Bordeaux,  Jean-Luc Mélenchon n’a pas hésité à citer de grandes figures locales, dont Montesquieu : « ‘‘Lorsque la souveraine puissance est entre
les mains d’une partie du peuple, cela s’appelle une aristocratie.’’ Eh bien nous sommes aujourd’hui dans une oligarchie », a-t-il insisté, appelant les peuples à reconquérir les pouvoirs. Montaigne a bien sûr été cité, tout comme La Boétie, puis Machiavel : « La meilleure forteresse des tyrans, c’est l’inertie des peuples. » Une façon de dire que la lutte
qui se joue durant cette élection présidentielle et ailleurs ne date pas d’hier.
Journaliste

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