Benjamin Millepied annonce son départ de l'Opéra de Paris
entretien réalisé par Muriel Steinmetz
Jeudi, 4 Février, 2016
Humanite.fr
Le chorégraphe français a annoncé ce jeudi sa démission de la direction de la danse à l'Opéra de Paris, invoquant des raisons personnelles et son besoin de se consacrer "à 100%" à la création et à l'expression artistique. L'Humanité avait rencontré le danseur en février 2015, quelques mois après sa prise de fonction.
Benjamin Millepied (trente-sept ans) est directeur de la danse à l’Opéra de Paris depuis trois mois. Lors d’une conférence de presse, il annonçait son programme (venue de Boris Charmatz, Anne Teresa De Keersmaeker, Maguy
Marin, Jérôme Bel, William Forsythe en tant que chorégraphe associé au ballet…). Il a accepté de nous en dire plus.
Ne craignez-vous pas que le grand coup de jeune que vous annoncez ne vous aliène une partie du public traditionnel de l’Opéra qui, comme vous le savez, est très balletomane ?
Benjamin Millepied Ce serait une erreur d’imaginer qu’un coup de jeune m’empêcherait d’aller vers des œuvres classiques. Au contraire. La direction du répertoire et des créations s’appuiera sur la technique classique et ira vers le développement de nouvelles œuvres sur pointes. On peut tout à fait imaginer de présenter le Roméo et Juliette, de MacMillan, ou le Songe d’une nuit d’été, de Frederick Ashton. Mon intérêt, c’est le ballet. Cela devrait rassurer les balletomanes.
Cette responsabilité qui vous incombe depuis trois mois constitue un travail considérable. Cela ne va-t-il pas vous ralentir dans votre création ?
Benjamin Millepied Peut-être. C’est à voir. Ma motivation change avec mes nouvelles fonctions. Je vais devoir nourrir de choses essentielles la compagnie et les danseurs. Cela fait partie du travail de professeur, de maître de ballet. Je vais sans doute songer à programmer des ballets avec de nombreux pas de deux car je sais que cela fera du bien aux garçons, ou mettre en avant les pointes.
Les danseurs du Ballet de l’Opéra de Paris sont des virtuoses, rompus à la grande technique académique, laquelle peut finalement s’adapter à toutes les audaces contemporaines. Pouvez-vous nous parler de la teneur de l’enseignement ? Sera-t-il modifié ou perpétué avec l’adjonction d’autres disciplines ?
Benjamin Millepied L’école et l’enseignement sont du ressort d’Élisabeth Platel. Je lui ai déjà soumis mes envies. Il me semble important de valoriser, entre autres, la musicalité, la précision, la rapidité, l’élégance, le pas de deux. Le répertoire permettra également aux danseurs d’aiguiser leur technique.
Vous semblez vouloir privilégier une plus grande osmose entre musique et danse…
Benjamin Millepied Il faut savoir manier toutes les clefs chorégraphiques. Un compositeur étudie l’harmonie, le contrepoint. Ces principes méritent d’être appliqués à l’art chorégraphique. Certaines œuvres sont à la hauteur des partitions mais nous aurions sans doute plus de ballets de qualité si tous les chorégraphes étaient attentifs à ciseler leur discipline comme des compositeurs.
Il est clair que vous souhaitez agrandir la composition du public et vous adresser à des gens plus jeunes. Pensez-vous que la baisse des tarifs, par exemple, pour la proposition hors scène 20 Danseurs pour le XXe siècle, de Boris Charmatz, soit un appel d’air suffisant ?
Benjamin Millepied Il y aura des pré-générales à dix euros. Nous avons un projet avec le Palais de Tokyo. Est en cours la création d’une plate-forme numérique afin de parler aux jeunes d’aujourd’hui qui communiquent presque exclusivement par téléphone portable.
Des choses sont-elles aussi prévues en direction de l’éducation nationale et des écoles ?
Benjamin Millepied Le dispositif Dix Mois à l’Opéra existe déjà. C’est l’un des grands projets de la maison.
Vous dites vouloir accorder plus d’importance à l’ensemble de la troupe, que chacun ait l’opportunité de s’exprimer et d’arriver au bout de son potentiel. Pouvez-vous nous dire pourquoi ?
Benjamin Millepied Il y a des œuvres qui font danser tout le monde au sein du corps de ballet. Chacun peut y danser sur pointes, exécuter des pas de deux, toutes choses qui font progresser les individus et leur apportent des qualités fondamentales. J’adore cette idée de troupe, de famille. C’est bien de mettre de l’énergie dans ce pilier de la compagnie qu’est le corps de ballet.
Vous avez annoncé, avec Stéphane Lissner, la création d’une académie de l’Opéra national de Paris destinée, entre autres, à former de jeunes chorégraphes. Est-ce unique ou cela existe-t-il déjà par ailleurs dans le monde ?
Benjamin Millepied L’apprentissage de l’art du ballet comme technique n’existe quasiment pas.
Lorsque vous avez commencé à danser, pensiez-vous un jour être à la tête de la danse à l’Opéra de Paris ?
Benjamin Millepied Quand Stéphane Lissner a été nommé à la tête de l’Opéra national de Paris, j’étais à Los Angeles où je réalisais mon projet. Proposition m’a alors été faite de le rencontrer. Je faisais partie des candidats qu’il avait choisis pour diriger la danse. On s’est très bien entendu. C’est un visionnaire et un très grand patron. Il a senti que j’avais un point de vue sur ce qu’il y avait à faire.
Votre contrat est-il à durée limitée et si oui, pensez-vous que cela soit suffisant pour mener à terme une grande entreprise sinon de réforme du moins de mise à jour contemporaine ?
Benjamin Millepied C’est un contrat à durée illimitée. J’ai été invité avant tout pour travailler avec Stéphane Lissner. C’est un projet sur six ans.
Qu’avez-vous le plus à cœur de transformer ?
Benjamin Millepied J’aimerais vraiment pouvoir moderniser la vie des danseurs : emploi du temps, santé, nourriture. Il y a un grand besoin en la matière. Ils sont un peu laissés à eux-mêmes. Ils n’ont pas forcément la culture moderne du soin apporté au corps. Ils ne savent pas forcément qu’une journée de répétitions doit avoir un déroulement précis avec un début et une fin. Pour certains, c’est évident mais, pour vous dire la vérité, cela ne fait pas partie des mœurs, ni de la culture de la maison. Nous sommes en train d’améliorer les questions de nutrition et de repenser aux plannings des jours de repos. Nous faisons en sorte qu’ils n’aient pas une demi-heure de pose mais une heure, surtout après six heures de travail d’affilée. Nous procédons à une réorganisation afin que les choses soient plus saines pour eux, physiquement et psychologiquement.
Votre passage de vingt ans aux États-Unis a-t-il modifié votre regard sur la danse classique ?
Benjamin Millepied Bien sûr. C’est là-bas que j’ai appris tout ce que je sais, même si j’ai eu une belle éducation en France, au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Lyon. J’y ai acquis des bases très solides, notamment avec Michel Ranh. Ensuite, il y a eu la School of American Ballet de New York et le New York City Ballet. C’est une approche du ballet classique essentielle. J’ai vraiment conscience d’avoir appartenu à une maison prestigieuse dont la place est immense dans l’histoire de la danse au XXe siècle. Balanchine fut un très grand chorégraphe. Je n’ai pas travaillé avec lui mais j’ai dansé ses ballets. J’ai aussi dansé avec Jerome Robbins. C’est une chance.
Quelles sont vos exigences pour recruter des danseurs ? Les canons traditionnels pour les filles sont-ils toujours de rigueur ? Quelle qualité de présence masculine et féminine recherchez-vous ?
Benjamin Millepied Il y a bien sûr une exigence physique et une aptitude technique. C’est aussi une question de personnalité. Je n’engage pas les gens comme ça. Ils doivent passer un concours. Nous sommes douze à les choisir. Nous essayons bien sûr de sélectionner des corps harmonieux. J’aime voir des personnalités imposantes ou bien timides, gracieuses ou mystérieuses. Ce que je souhaite voir avant tout, ce sont des danseurs qui ne soient pas ennuyeux sur scène. Qu’ils aient de l’imagination, même s’ils ne le savent pas eux-mêmes.
Ne craignez-vous pas que le grand coup de jeune que vous annoncez ne vous aliène une partie du public traditionnel de l’Opéra qui, comme vous le savez, est très balletomane ?
Benjamin Millepied Ce serait une erreur d’imaginer qu’un coup de jeune m’empêcherait d’aller vers des œuvres classiques. Au contraire. La direction du répertoire et des créations s’appuiera sur la technique classique et ira vers le développement de nouvelles œuvres sur pointes. On peut tout à fait imaginer de présenter le Roméo et Juliette, de MacMillan, ou le Songe d’une nuit d’été, de Frederick Ashton. Mon intérêt, c’est le ballet. Cela devrait rassurer les balletomanes.
Cette responsabilité qui vous incombe depuis trois mois constitue un travail considérable. Cela ne va-t-il pas vous ralentir dans votre création ?
Benjamin Millepied Peut-être. C’est à voir. Ma motivation change avec mes nouvelles fonctions. Je vais devoir nourrir de choses essentielles la compagnie et les danseurs. Cela fait partie du travail de professeur, de maître de ballet. Je vais sans doute songer à programmer des ballets avec de nombreux pas de deux car je sais que cela fera du bien aux garçons, ou mettre en avant les pointes.
Les danseurs du Ballet de l’Opéra de Paris sont des virtuoses, rompus à la grande technique académique, laquelle peut finalement s’adapter à toutes les audaces contemporaines. Pouvez-vous nous parler de la teneur de l’enseignement ? Sera-t-il modifié ou perpétué avec l’adjonction d’autres disciplines ?
Benjamin Millepied L’école et l’enseignement sont du ressort d’Élisabeth Platel. Je lui ai déjà soumis mes envies. Il me semble important de valoriser, entre autres, la musicalité, la précision, la rapidité, l’élégance, le pas de deux. Le répertoire permettra également aux danseurs d’aiguiser leur technique.
Vous semblez vouloir privilégier une plus grande osmose entre musique et danse…
Benjamin Millepied Il faut savoir manier toutes les clefs chorégraphiques. Un compositeur étudie l’harmonie, le contrepoint. Ces principes méritent d’être appliqués à l’art chorégraphique. Certaines œuvres sont à la hauteur des partitions mais nous aurions sans doute plus de ballets de qualité si tous les chorégraphes étaient attentifs à ciseler leur discipline comme des compositeurs.
Il est clair que vous souhaitez agrandir la composition du public et vous adresser à des gens plus jeunes. Pensez-vous que la baisse des tarifs, par exemple, pour la proposition hors scène 20 Danseurs pour le XXe siècle, de Boris Charmatz, soit un appel d’air suffisant ?
Benjamin Millepied Il y aura des pré-générales à dix euros. Nous avons un projet avec le Palais de Tokyo. Est en cours la création d’une plate-forme numérique afin de parler aux jeunes d’aujourd’hui qui communiquent presque exclusivement par téléphone portable.
Des choses sont-elles aussi prévues en direction de l’éducation nationale et des écoles ?
Benjamin Millepied Le dispositif Dix Mois à l’Opéra existe déjà. C’est l’un des grands projets de la maison.
Vous dites vouloir accorder plus d’importance à l’ensemble de la troupe, que chacun ait l’opportunité de s’exprimer et d’arriver au bout de son potentiel. Pouvez-vous nous dire pourquoi ?
Benjamin Millepied Il y a des œuvres qui font danser tout le monde au sein du corps de ballet. Chacun peut y danser sur pointes, exécuter des pas de deux, toutes choses qui font progresser les individus et leur apportent des qualités fondamentales. J’adore cette idée de troupe, de famille. C’est bien de mettre de l’énergie dans ce pilier de la compagnie qu’est le corps de ballet.
Vous avez annoncé, avec Stéphane Lissner, la création d’une académie de l’Opéra national de Paris destinée, entre autres, à former de jeunes chorégraphes. Est-ce unique ou cela existe-t-il déjà par ailleurs dans le monde ?
Benjamin Millepied L’apprentissage de l’art du ballet comme technique n’existe quasiment pas.
Lorsque vous avez commencé à danser, pensiez-vous un jour être à la tête de la danse à l’Opéra de Paris ?
Benjamin Millepied Quand Stéphane Lissner a été nommé à la tête de l’Opéra national de Paris, j’étais à Los Angeles où je réalisais mon projet. Proposition m’a alors été faite de le rencontrer. Je faisais partie des candidats qu’il avait choisis pour diriger la danse. On s’est très bien entendu. C’est un visionnaire et un très grand patron. Il a senti que j’avais un point de vue sur ce qu’il y avait à faire.
Votre contrat est-il à durée limitée et si oui, pensez-vous que cela soit suffisant pour mener à terme une grande entreprise sinon de réforme du moins de mise à jour contemporaine ?
Benjamin Millepied C’est un contrat à durée illimitée. J’ai été invité avant tout pour travailler avec Stéphane Lissner. C’est un projet sur six ans.
Qu’avez-vous le plus à cœur de transformer ?
Benjamin Millepied J’aimerais vraiment pouvoir moderniser la vie des danseurs : emploi du temps, santé, nourriture. Il y a un grand besoin en la matière. Ils sont un peu laissés à eux-mêmes. Ils n’ont pas forcément la culture moderne du soin apporté au corps. Ils ne savent pas forcément qu’une journée de répétitions doit avoir un déroulement précis avec un début et une fin. Pour certains, c’est évident mais, pour vous dire la vérité, cela ne fait pas partie des mœurs, ni de la culture de la maison. Nous sommes en train d’améliorer les questions de nutrition et de repenser aux plannings des jours de repos. Nous faisons en sorte qu’ils n’aient pas une demi-heure de pose mais une heure, surtout après six heures de travail d’affilée. Nous procédons à une réorganisation afin que les choses soient plus saines pour eux, physiquement et psychologiquement.
Votre passage de vingt ans aux États-Unis a-t-il modifié votre regard sur la danse classique ?
Benjamin Millepied Bien sûr. C’est là-bas que j’ai appris tout ce que je sais, même si j’ai eu une belle éducation en France, au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Lyon. J’y ai acquis des bases très solides, notamment avec Michel Ranh. Ensuite, il y a eu la School of American Ballet de New York et le New York City Ballet. C’est une approche du ballet classique essentielle. J’ai vraiment conscience d’avoir appartenu à une maison prestigieuse dont la place est immense dans l’histoire de la danse au XXe siècle. Balanchine fut un très grand chorégraphe. Je n’ai pas travaillé avec lui mais j’ai dansé ses ballets. J’ai aussi dansé avec Jerome Robbins. C’est une chance.
Quelles sont vos exigences pour recruter des danseurs ? Les canons traditionnels pour les filles sont-ils toujours de rigueur ? Quelle qualité de présence masculine et féminine recherchez-vous ?
Benjamin Millepied Il y a bien sûr une exigence physique et une aptitude technique. C’est aussi une question de personnalité. Je n’engage pas les gens comme ça. Ils doivent passer un concours. Nous sommes douze à les choisir. Nous essayons bien sûr de sélectionner des corps harmonieux. J’aime voir des personnalités imposantes ou bien timides, gracieuses ou mystérieuses. Ce que je souhaite voir avant tout, ce sont des danseurs qui ne soient pas ennuyeux sur scène. Qu’ils aient de l’imagination, même s’ils ne le savent pas eux-mêmes.
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