Briser l'étouffoir de la démocratie !
Jeudi, 18 Février, 2016
L'éditorial de Patrcik Le Hayric dans l'Humanité Dimanche. La prolifération des traités de libre-échange qui contournent les souverainetés populaires comme les institutions internationales accélère ce mouvement d'un ultralibéralisme autoritaire et destructeur. Tout commande donc d'insuffler de la démocratie, du dialogue, du débat dans tous les pores de la société.
Sept ans après la déflagration économique de 2008, de nombreux indices indiquent que la folie financière menace une fois encore le monde. Les banques centrales fabriquent de la monnaie qui ne sert pas à l'économie réelle, au travail, aux investissements pour l'avenir, mais à la rente et la spéculation. Une bataille tenace devrait être menée pour que l'argent émis, particulièrement par la Banque centrale européenne, soit utilisé pour alléger la dette des États afin de relancer les services publics, pour un grand plan européen d'investissement aidant la transition environnementale et numérique, ce qui permettrait de créer des millions d'emplois, de faire reculer la pauvreté et les inégalités, de plus en plus insupportables. Seule une insurrection démocratique des peuples contre la violente loi de la finance pourra en ouvrir la perspective.
Cette impitoyable dictature de l'argent, dans le cadre de la multiforme crise mondiale, pousse de plus en plus les gouvernements, les institutions internationales et européennes à préparer un grand bond en arrière vers moins de liberté, moins d'égalité et moins de fraternité. Dans ce processus, le gouvernement français joue un rôle d'autant plus négatif qu'il le fait au nom de « la gauche ».
Le politicien remaniement gouvernemental ne vise qu'à tenter de faire réélire F. Hollande en fermant la porte à une candidature alternative à la sienne. Ceux qui, hier, combattaient la révision constitutionnelle et l'orientation droitière des choix sociaux se retrouvent aujourd'hui à devoir appliquer une feuille de route gouvernementale dont il a été annoncé qu'elle ne bougera pas d'un iota. Le signal envoyé, celui d'un opportunisme total, est délétère pour l'ensemble de la vie démocratique et affermit encore un peu plus le sentiment de défiance voire de rejet de l'activité politique.
Seule l'extrême droite peut y trouver son compte, d'autant plus que la réalité restera la même pour nos concitoyens, marquée par un chômage et une précarité de masse, des fins de mois de plus en plus difficiles et des services publics bien en peine pour assumer leurs responsabilités. Quant à la réforme pénale qui entame le principe de séparation des pouvoirs, comme pour la constitutionnalisation de l'état d'urgence et de la déchéance de nationalité, le gouvernement compte bien aller au bout de ce qu'il a entrepris. Il le fait en brandissant la menace d'autres attentats présentés comme inévitables, alors que la réforme constitutionnelle, de l'aveu même du premier ministre, ne sera d'aucune efficacité contre eux.
Nombreuses sont les personnalités les plus diverses qui alertent sur la gravité de ce qui se passe. Contribuer à ce que leur protestation gagne les couches populaires devrait être l'ambition de toutes les organisations et militants progressistes.
Le glissement rétrograde à l'oeuvre en France vers une conception nouvelle et autoritaire de l'État, doublée d'un assèchement des principes démocratiques et d'un libéralisme économique agressif, participe d'un mouvement plus général qui touche tous les pays européens. Il serait préjudiciable à une analyse correcte de ne pas prendre en compte la réalité politique de nombreux pays européens théâtres d'une montée en puissance des mouvements xénophobes, nationalistes et identitaires, promoteurs également de nouvelles législations qui visent à mettre au pas le mouvement social et d'une dérégulation accélérée des modèles économiques et sociaux.
Partout sur le continent, la conception de « l'État de droit » héritée des Lumières est écornée. Au coeur même des institutions européennes, la parole démocratique est bafouée sur l'autel de traités illégitimes, dont certains peuvent être considérés comme illégaux puisque contraires à la volonté populaire exprimée dans les urnes.
Au moment où s'accentue la crise économique et sociale, l'ensemble des États européens décident de législations liberticides. Les cas les plus inquiétants viennent des anciens pays de l'Est. Les nationalismes y prolifèrent en s'appuyant à la fois sur l'échec des anciens régimes et sur les situations économiques et sociales désastreuses encore aggravées par l'ultralibéralisme. Des pans entiers des populations portent la haine de l'étranger, la stigmatisation de l'islam, le refus de prendre leur part dans la solidarité avec les réfugiés, la fermeture des frontières.
Et phénomène nouveau, la même pente mortifère atteint désormais des pays d'Europe du Nord, présentés il y a peu comme des réussites des gestions sociales-démocrates. En Pologne, la chasse est ouverte contre tous ceux qui osent contester la dérive fascisante du pouvoir, aux premiers rangs desquels les militants progressistes dans leur diversité, des syndicalistes, des intellectuels, des libéraux jusqu'aux communistes. Des contre-réformes menées par le pouvoir visent à menacer l'indépendance des médias publics, à neutraliser le tribunal constitutionnel la plus haute juridiction du pays , à interdire l'avortement, à rogner le droit des femmes et des homosexuels au nom « d'une culture chrétienne authentique ». En Hongrie, les médias sont accaparés par des oligarques aux ordres d'un pouvoir qui n'en finit plus de jouer avec des passions identitaires. L'islam est montré du doigt, les réfugiés jetés à la vindicte des franges les plus radicales de la population.
Les institutions européennes s'en émeuvent. Mais leur sincérité est mise à l'épreuve, d'une part par leur comportement à l'égard des réfugiés, et, d'autre part, quand elles refusent de constater qu'en Ukraine des néonazis tiennent le haut du pavé. Inutile de verser des larmes sur les dérives hongroises, polonaises ou slovaques si c'est pour cautionner, au nom d'obscurs objectifs géopolitiques, les mêmes dérives à Kiev.
Dans l'Europe du Sud, cette dérive, certes moins intense, est également palpable. En Espagne, l'année dernière, alors que les plans d'austérité asséchaient le pays, le gouvernement de M. Rajoy faisait voter une loi qui inquiète jusqu'à l'ONU : la loi Mordaza, baptisée par ses détracteurs « loi bâillon », qui restreint considérablement le droit de manifester, envisage des poursuites pénales contre les manifestants, interdit le campement sur les places publiques et couvre les abus policiers. En Angleterre, alors que David Cameron annonce une purge sans précédent dans les budgets publics et demande des dérogations antisociales au Conseil européen, c'est contre les syndicats que les attaques sont dirigées.
Une loi, votée il y a quelques mois, exige désormais un taux de participation minimum de 50 % dans des scrutins préalables à la grève. Dans le secteur public, la grève doit obtenir le soutien d'au moins 40 % des salariés pour être considérée comme légale. Le préavis de grève est porté de sept à quatorze jours. Il est désormais possible d'en appeler à des intérimaires pour remplacer les travailleurs grévistes et de lourdes amendes sont prévues si les grèves ne sont pas adoubées par le pouvoir politique et déclarées aux forces de police. Et la liste est loin d'être exhaustive...
Comment ne pas voir que ces gouvernements suivent cette pente liberticide, antisyndicale et antisociale au moment où la nuée financière menace de se transformer en un terrible orage, comme vient de le reconnaître M. Trichet, l'ancien président de la Banque centrale européenne ? Dans le cadre de sa crise financière permanente, le capitalisme se cherche une cohérence en sollicitant les missions régaliennes des États pour se déployer sans frein ni contestation et en sollicitant les gouvernements et les parlements pour détruire les lois qui encadrent le travail et protègent les travailleurs. Le dispositif politique qui se met en place vise avant tout à sécuriser le pouvoir des puissances d'argent.
En France, il s'agit soit de conserver le pouvoir actuel, n'ayant plus de gauche qu'une étiquette défraîchie, soit de choisir entre différentes variantes des droites plus proches que jamais du « thatchérisme » avec la valorisation et l'utilisation de l'extrême droite chargée de capter les mécontentements et d'attiser les divisions parmi les victimes mêmes des politiques ultralibérales. Bref, tout est fait, avec le concours du média business et des institutions de la Ve République, pour empêcher dès aujourd'hui toute contestation qui puisse déboucher sur une alternative sociale et politique.
La prolifération des traités de libre-échange qui contournent les souverainetés populaires comme les institutions internationales accélère ce mouvement d'un ultralibéralisme autoritaire et destructeur. Voilà qui devrait faire plus réfléchir et autrement dans la perspective des prochaines élections législatives et présidentielle. L'objectif ne devrait-il pas être de rechercher un rassemblement de type nouveau, sur un projet populaire démocratiquement construit, de plain-pied dans les réalités contradictoires denotre époque ? Un projet qui n'ignore pas la nécessaire subversion du système en France comme en Europe, pour donner ses chances à l'aspiration à vivre autrement et mieux. Le mouvement social a besoin que s'exprime une créativité populaire qui, pour l'instant, fait défaut.
Tout commande donc d'insuffler de la démocratie, du dialogue, du débat dans tous les pores de la société. Il nous semble qu'il n'y a pas le choix, ne serait-ce que pour contrer les projets liberticides et les entraves au déploiement des idées progressistes, au premier rang desquels cette activation permanente d'un sentiment de peur bien mauvaise conseillère.
Un mouvement commun pour la défense des libertés, des principes démocratiques et pour extraire l'économie de son cancer financier peut naître des contradictions à l'oeuvre. On voit que même outre-Atlantique, face à la déferlante du pire, des idées de progrès peuvent se frayer un chemin.
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