jeudi 11 février 2016

La Cour des comptes est-elle l’organe officiel de l’ordre libéral ?


La Cour des comptes est-elle l’organe officiel de l’ordre libéral ?

MERCREDI, 10 FÉVRIER, 2016
L'HUMANITÉ
Avec Didier Migaud Premier président de la Cour des comptes, Denis Durand Animateur de la commission économique du PCF, Pierre Khalfa Coprésident de la Fondation Copernic.
Une institution publique aux missions perverties  par  Pierre Khalfa Coprésident de la Fondation Copernic
Les rapports de la Cour des comptes se suivent et se ressemblent. La plupart des commentateurs y voient la preuve du sérieux de l’institution. On peut plutôt y voir la marque de son aveuglement.
La Cour des comptes est une juridiction financière d’ordre administratif et sa mission est donnée par l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. » C’est là sa charte fondamentale, inscrite au fronton de sa grand-chambre. Certes, depuis lors, ses missions ont été élargies ; en 2008, une réforme constitutionnelle est venue lui donner une mission nouvelle. Désormais, selon l’article 47-2 de la Constitution, « la Cour assiste le Parlement et le gouvernement dans le contrôle de l’exécution des lois de finances et de l’application des lois de financement de la Sécurité sociale ainsi que l’évaluation des politiques publiques ». Son rôle doit se borner à juger et à certifier les comptes, à contrôler la bonne exécution des lois votées par le Parlement, à évaluer a posteriori les politiques publiques. Elle doit s’en tenir à examiner les politiques menées, à juger si elles ont été conduites selon les règles du droit et si elles ont été efficaces par rapport à leurs objectifs. En aucun cas, la Cour ne peut prescrire des politiques publiques, qui relèvent du seul débat démocratique et de la décision politique.
Or, depuis quelques années, la Cour tend à outrepasser son rôle, évolution qui s’est encore aggravée depuis la nomination de Didier Migaud à sa tête, et les rapports se multiplient qui promeuvent une orientation politique ultralibérale. On y retrouve, rapport après rapport, tous les poncifs concernant les dépenses publiques. Ainsi le niveau des prélèvements obligatoires serait trop élevé, affirmation dépourvue de sens si on n’indique pas les services fournis en contrepartie, très différents suivant les pays, ni que ce niveau reflète simplement le degré de socialisation d’un certain nombre de dépenses qui seraient, sinon, effectuées de façon privée mais n’en resteraient pas moins « obligatoires ». Les recommandations, qui ressemblent comme deux gouttes d’eau aux plans d’ajustement structurel du FMI ou aux mémorandums de la troïka en Grèce, sont à l’avenant : réduction des dépenses d’intervention de l’État, baisse du nombre de fonctionnaires et de leurs salaires avec le gel du point d’indice et le ralentissement des déroulements de carrière, désindexation des retraites, des allocations chômage et de la plupart des prestations sociales par rapport à l’inflation, augmentation de la durée du travail, etc.
Année après année, c’est une véritable saignée que préconise régulièrement la Cour des comptes, et cela pose une nouvelle fois la question de sa fonction. Si la Cour est dans son rôle lorsqu’elle examine par exemple la sincérité des chiffres avancés par le gouvernement pour construire sa trajectoire budgétaire, elle ne l’est pas quand elle préconise des orientations. Elle l’est encore moins lorsque ces orientations ne font l’objet d’aucune évaluation quant à leurs conséquences, qu’elles soient économiques, avec la logique récessive dont elles sont porteuses, ou sociales. En s’en tenant à une description purement comptable et en s’exonérant généralement d’une véritable analyse macroéconomique, la Cour des comptes est, de fait, devenue un organe faisant, sous le couvert de l’objectivité, l’apologie des politiques néolibérales. Avec des orientations présentées comme une évidence indiscutable, la Cour participe ainsi à la crise démocratique actuelle, dont l’une des racines est l’exclusion du débat public et de la décision citoyenne de tout ce qui relève des politiques économiques et sociales.

La Cour est dans son rôle, rien que son rôle !  par  Didier Migaud Premier président de la Cour des comptes 
Reprocher à la Cour des comptes d’être inutile et de s’arroger de nouvelles missions, d’une part, et de le faire au service d’une idéologie libérale hostile aux services publics, d’autre part, est une accusation lourde. J’aimerais convaincre qu’elle est profondément injuste et erronée.
D’abord la Cour remplit son rôle, tout son rôle, rien que son rôle, celui qui lui est donné par la Constitution et le législateur. Au-delà du jugement des comptes des comptables publics, la Cour veille au bon emploi de l’argent public. Institution supérieure de contrôle, elle n’est pas un pouvoir public, ne décide pas des orientations politiques fixées, n’a aucun pouvoir d’injonction – et ne le demande pas ! Ce n’est pas elle qui fixe les objectifs, mais la représentation nationale. La Cour ne peut que s’inscrire dans ce cadre et ne serait pas légitime à le contester.
Son indépendance à l’égard des pouvoirs publics se traduit par l’inamovibilité de ses membres et par une double liberté, de programmation de ses contrôles et de publication. Ses procédures, notamment l’élaboration collégiale de ses rapports et la contradiction avec les organismes contrôlés, garantissent l’objectivité et l’impartialité de ses travaux.
Quel que soit le niveau de dépense publique d’un pays, les usagers ont le droit d’exiger que ses services publics soient efficaces : qu’ils produisent les meilleurs résultats au regard des objectifs qui leur sont assignés, au meilleur coût possible. En portant ses constats et ses recommandations à la connaissance du gouvernement et du Parlement, mais aussi de l’opinion publique, la Cour fournit aux pouvoirs publics, aux partenaires sociaux et aux citoyens les leviers d’une décision éclairée.
La vraie question est de savoir si les politiques publiques ont des résultats à la hauteur des moyens engagés. Or ce n’est souvent pas le cas : en matière d’éducation, de santé, de logement, d’insertion ou de formation professionnelle, la France est loin d’être sur le podium de l’efficacité, alors que les dépenses publiques y sont parmi les plus élevées.
Dire cela, ce n’est pas mettre en cause le dévouement, l’abnégation ou les qualités des agents publics. Dire cela, c’est être exigeant à l’égard de l’action publique, qui peut et doit toujours s’améliorer. Quand les usages évoluent, le service doit évoluer.
Quand elle s’intéresse à une politique publique, la Cour examine ses objectifs et les compare aux résultats et aux moyens qui lui sont consacrés. Elle a ainsi constaté, en matière d’éducation, que les résultats des élèves ont tendance à se dégrader et que notre système ne parvient pas à réduire les inégalités et, pire, pouvait les aggraver. Qui peut s’en satisfaire ? Or ce n’est pas seulement une question de moyens (ils sont d’ailleurs croissants), mais aussi d’organisation, de gestion et de répartition de ces moyens. Que l’on souhaite dépenser plus ou moins, la question de l’efficacité de l’organisation et de la gestion des moyens doit être posée. C’est vrai pour l’éducation, mais également pour la santé ou la sécurité de nos concitoyens.
En s’efforçant d’être utile, à la place que lui confie la Constitution, la Cour des comptes ne prône aucune orientation politique présupposée.
Lorsqu’elle recommande que l’État exerce mieux sa mission de contrôle sanitaire et vétérinaire, est-ce libéral ? Lorsqu’elle fait observer l’insuffisante régulation des auxiliaires médicaux, au risque de créer des déserts sanitaires ailleurs, est-ce libéral ? Lorsqu’elle préconise de réévaluer la rémunération des enseignants, moins bien payés en France que leurs homologues de l’OCDE, est-ce hostile au service public ? Lorsqu’elle recommande que l’État pilote mieux les politiques publiques, ou qu’elle critique les faiblesses de l’État actionnaire des entreprises de défense, est-ce libéral ?
Plus on est attaché aux services publics et plus on croit à la valeur de l’action publique, plus on devrait être soucieux de leur efficacité et de leurs résultats ! C’est le rôle de la Cour, à sa place, en toute impartialité, que d’y contribuer. Étant entendu que le dernier mot revient toujours aux représentants du suffrage universel.

Développer les services publics, malgré la Cour des comptes  par Denis Durand Animateur de la commission économique du PCF 
C’est devenu presque un rituel : chaque fois qu’un ministre ou un président d’entreprise publique médite des suppressions d’emplois, il brandit un rapport de la Cour des comptes qui lui recommande de pousser encore plus loin l’austérité. Cela dure depuis plus de trente ans, mais peut-on dire pour autant que l’argent public est mieux utilisé ? Que l’économie a repris vigueur ? Que la dette publique a reculé ? Que la « courbe du chômage » s’est inversée ? Que les services publics répondent mieux aux attentes de leurs usagers ? Évidemment, non.
À l’inverse, rien ne serait plus nécessaire, au XXIe siècle, que le développement de services publics porteurs d’une nouvelle efficacité sociale et économique. Pour répondre aux immenses besoins en matière de santé, d’éducation, de protection de l’environnement, de sécurité, de justice. Et, du même coup, pour ranimer l’activité économique en utilisant les gains de productivité apportés par la révolution informationnelle pour développer les capacités humaines au lieu de s’en servir pour détruire des emplois et déprimer les salaires, comme le font les multinationales et comme l’exigent les marchés financiers.
Pour cela, il faut une autre utilisation de l’argent. De l’argent public mais aussi de l’argent des entreprises – pour changer la façon de créer des richesses en sécurisant l’emploi et la formation – et de l’argent des banques, qui doit financer les immenses investissements nécessaires au développement des services publics.
Le sort réservé par la troïka à la Grèce a révélé que pour y parvenir il ne suffit pas d’élire démocratiquement un gouvernement décidé à en finir avec l’austérité. Ce n’est pas seulement au sommet de l’État, mais aussi dans la vie des entreprises publiques et privées, dans la vie des services de l’administration, que la rhétorique culpabilisatrice et infantilisante de la Cour des comptes ou du Dr Schäuble peut être efficacement réfutée.
Par exemple, la Cour des comptes elle-même a plus d’une fois signalé l’inefficacité, du point de vue de l’emploi, des subventions et autres exonérations fiscales et sociales qui viennent nourrir par dizaines de milliards les profits des entreprises ; mais rien n’y fait, et le gouvernement actuel, comme ses prédécesseurs, ne cesse de rajouter des aides de cette nature à celles qui se sont accumulées depuis trente ans. Il existe quelques rares cas où des aides indûment distribuées ont pu être récupérées : mais c’est à des mobilisations des salariés et de leurs syndicats, des citoyens et de leurs élus locaux ou régionaux qu’on le doit. Un contrôle efficace des dépenses publiques est inséparable d’une démocratie économique et sociale radicalement nouvelle.
C’est dans la vie et dans les luttes sociales et politiques que les citoyens pourront conquérir, pied à pied, assez de pouvoirs pour retourner la puissance des banques et de la Banque centrale européenne contre les marchés financiers, en arrachant le financement de projets concrets de développement des services publics : redonner aux hôpitaux tous les moyens de répondre efficacement aux besoins, construire et rénover des universités et des centres de recherche, doter les écoles, les tribunaux, les collectivités territoriales… des personnels nécessaires à leur fonctionnement. Il y a là une cohérence politique qui peut se concrétiser dans des critères d’efficacité économique et sociale opposés à la rentabilité capitaliste, et qui peut permettre de rassembler les forces à la recherche d’une alternative en France et dans toute l’Europe.
C’est aussi pourquoi la bataille pour créer les moyens de développer l’emploi public et de reconnaître les qualifications des agents fait pleinement partie de la campagne pour l’emploi et le travail que le Parti communiste français vient de lancer.

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