L’ahurissante réunion de Matignon sur la crise agricole
GÉRARD LE PUILL
MARDI, 9 FÉVRIER, 2016
HUMANITE.FR
Manuel Valls avait convoqué hier à Matignon les représentants de Carrefour, Casino , Système U, Lidl , Auchan et Intermarché pour leur demander de ne pas être trop radins quand ils achètent des produits agricoles transformés aux industriels de l’agro-alimentaire. Mais ils n’ont pris aucun engagement.
Très peu de choses avaient filtré hier midi sur ce qui s’était dit chez le Premier ministre. Ce dernier avait convié les représentants de la grande distribution à venir parler des difficultés de monde paysan en présence du ministre de l’Agriculture et de celui de l’Economie. Alors la négociation annuelle se déroule actuellement entre les entreprises de l’agro-alimentaire et les quatre centrales d’achat de la grande distribution pour discuter des prix des produits qui seront mis en rayon durant douze mois, Manuel Valls a appelé les grandes enseignes à la « responsabilité » pour , a-t-il été rapporté par des indiscrétions « ne pas faire davantage baisser des prix très bas dans les négociations commerciales qui se terminent le 29 février ».
Pour comprendre de quoi il retourne, il faut savoir que les prix obtenus par les enseignes en 2015 pour mettre en rayon des les yaourts, de beurre, le fromage, le saucisson, le jambon et autres produits alimentaires que leurs bradent souvent les fabricants étaient déjà très bas. D’où la demande formulée par Manuel Valls de ne pas trop en rajouter cette année. Il faut savoir, par exemple, que ces dernières années, le principal « argument » de négociation des centrales d’achat face aux salaisonniers et aux laiteries était le suivant : vous percevez un chèque du gouvernement au titre du Crédit Impôt Compétitivité Emploi (CICE) sur les salaires inférieurs à 2,5 SMIC. Vous devez partager cette aide gouvernementale avec nous sous forme d’un rabais équivalent à la moitié de cette somme sur les produits que nous allons mettre en rayon cette année. Faute de quoi, nous ne les mettrons pas en rayon. Voilà comment fonctionne la « négociation » sur le référencement des produits alimentaires et autres dans les linéaires des grandes surfaces.
Les représentants des distributeurs ne semblaient pas traumatisés hier en sortant de Matignon. Jacques Creyssel , le délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution a déclaré qu’on avait eu « une vraie discussion » et « une bonne analyse des responsabilités de chacun ». Disant cela, il semblait indiquer que les représentants de la grande distribution avaient convaincu le premier ministre de demander des comptes à la Commission européenne. Ce que Valls a fait en ces termes: «nous avons débloqué des mesures d’urgence depuis le début de la crise, mais la crise est aussi européenne », a-t-il dit, demandant à la Commission « d’activer les pouvoirs dont elle dispose», lesquels, faute de régulation de la production, se limitent à financer du stockage de produits laitiers de viande porcine et bovine pour tenter d’enrayer la chute des cours.
Mais la Commission prépare déjà de nouvelles crises. Elle dispose même du feu vert des pays membres de l’Union européenne -dont la France- pour cela, via les multiples mandats de négociation pour aboutir à des accords de libre échange avec les Etats Unis, les pays du Mercosur et plusieurs pays asiatiques. Avec ,chaque fois , des baisses de tarifs douaniers sur des importations de viande bovine, porcine et de volaille sans oublier l’huile de palme, le riz et bien d’autres produits.
Chaque fois qu’ils disposent de nouveau volumes de produits alimentaires importés de pays tiers, les transformateurs et les distributeurs en profitent pour faire baisser les prix payés aux paysans européens, notamment les producteurs de viande. Sachant cela, la proposition faite par Système U et la FNSEA d’une cagnotte alimentée par une taxe volontaire des grandes surfaces sur la viande pour compenser partiellement les pertes des éleveurs, apparaît bien dérisoire. Plus il y aura des importations faiblement taxées en provenances des pays tiers, plus les transformateurs et les distributeurs auront des armes pour piller les éleveurs en France. Ils le font aussi avec les importations intra-européennes sur des produits comme le lait, la viande bovine et porcine notamment.
Toutes les enseignes étaient présentes à cette réunion de Matignon à l’exception de Leclerc. Il est vrai que Michel Edouard Leclerc avait été l’inspirateur de Nicolas Sarkozy pour l’élaboration de la Loi de modernisation économique (LME) que les parlementaires de droite un voté en 2008 pour donner aux distributeurs le pouvoir de piller les paysans de manière permanente par le vote d’un texte s’inspirant du rapport Attali. Il faut toujours se souvenir de ce rapport remis à Sarkozy par Attali. Surtout lorsque le Figaro de ce 9 février nous dit que, « il y a quelques semaines, Emmanuel Macron avait été beaucoup plus critique que Manuel Valls sur les pratique des acheteurs de la grande distribution lors des négociations » annuelles sur les prix. Des pratiques qui perdurent selon les propos du représentant de l’Association nationale de l’industrie alimentaire qui cite cette année la persistance de « demandes de déflations exorbitantes et irresponsables de la part des quatre grandes centrales d’achat restantes ».
Macron aurait-il donc raison pour une fois ? Oui, à condition d’oublier ceci : le rédacteur final du rapport Attali après discussion en commission de l’automne 2007 au début de l’année 2008 était un jeune banquier encore peu connu dont le nom était Macron Emmanuel.
Voilà aussi pourquoi la réunion du 8 février à Matignon n’aura été qu’un bal masqué de faux-culs dont les paysans, une fois de plus, auront été les cocus !
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