mardi 9 février 2016

Les barbelés turcs au bout de l’exode des habitants d’Alep


Les barbelés turcs au bout de l’exode des habitants d’Alep

DAMIEN ROUSTEL
LUNDI, 8 FÉVRIER, 2016
L'HUMANITÉ
Fuyant les bombardements russes et l’imminence d’un siège aux conséquences dramatiques, des dizaines de milliers de civils de la région d’Alep étaient toujours bloqués, hier, devant des postes-frontières turcs fermés, malgré les appels de la communauté internationale à les ouvrir.
«Si nécessaire. » Telle est, dans sa grande bonté, la réponse qu’a formulée samedi le président turc Recep Tayyip Erdogan à tous ceux (UE, ONG…) qui le pressent depuis une semaine d’ouvrir les postes-frontières turcs avec la Syrie pour laisser passer les dizaines de milliers de civils de la région d’Alep qui fuient les bombes russes et la perspective d’un siège de la deuxième ville de Syrie par les forces loyalistes contre les opposants à Bachar Al Assad. « Le régime (de Damas) a désormais bloqué une partie d’Alep (…), s’ils (les civils poussés à l’exode – NDLR) sont à nos portes et n’ont pas d’autre choix, si nécessaire, nous devons laisser entrer nos frères et nous le ferons », a ainsi affirmé le chef d’État turc aux journalistes dans l’avion du retour de sa tournée en Amérique latine et au Sénégal.
Auparavant, l’Union européenne, qui vient de donner son feu vert à une aide de 3 milliards d’euros à la Turquie pour endiguer le flux de réfugiés syriens et prendre en charge les 2,5 millions qui sont sur son sol, avait rappelé Ankara à son devoir humanitaire. « La convention de Genève, qui stipule qu’il faut accueillir les réfugiés, est toujours valide », a fait savoir le commissaire à l’Élargissement, Johannes Hahn, en arrivant samedi matin à Amsterdam à une réunion informelle des ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne. « Tout le monde a vu les images d’Alep, les dizaines de milliers de personnes qui fuient, qui fuient pour sauver leur vie. Nous n’avons pas de compétences pour dire à la Turquie ce qu’elle doit faire », y a déclaré le ministre luxembourgeois Jean Asselborn. « Il faut se rappeler qu’il y a un devoir moral, sinon légal, de non-refoulement, de protéger ceux qui ont besoin de la protection internationale », a insisté de son côté la chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini.
Adepte du double langage, la diplomatie turque a tenu à rappeler sans rire qu’elle restait fidèle à sa « politique de la frontière ouverte ». « Nous maintenons toujours cette politique de la frontière ouverte pour les gens qui fuient l’agression du régime (syrien) ainsi que les frappes russes », a assuré samedi le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu. Une façon de jouer avec les mots, car il est vrai que les postes-frontières, à l’instar de celui d’Oncupinar, ne sont pas techniquement fermés. Mais les passages se font au compte-gouttes, pour les cas les plus graves. « Sept personnes blessées ont pu entrer vendredi en Turquie et une autre samedi pour y être hospitalisées », a confié à l’AFP sous couvert de l’anonymat un responsable turc. Ajoutant : « La frontière reste ouverte pour tous les cas d’urgence. »

« La situation est désespérée dans la région d’Azaz »

Mais au moment où ces lignes étaient écrites, les barrières n’étaient toujours pas levées pour tous les autres. Selon le décompte du Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (Ocha), 40 000 habitants de la province d’Alep ont fui l’offensive du régime de Damas et pris la route de l’exode. Parmi ces civils, 10 000 personnes se sont dirigées vers la ville kurde d’Afrine où se trouve un camp de déplacés. « Environ 20 000 personnes sont rassemblées au niveau du poste-frontière de Bab al-Salama et quelque 5 000 à 10 000 ont été déplacées vers la ville d’Azaz », expliquait vendredi Linda Tom, la porte-parole d’Ocha. Selon le gouverneur de la province frontalière turque, Suleyman Tapsiz, ce chiffre pourrait rapidement doubler.
Azaz se trouve à cinq kilomètres du poste-frontière turc d’Oncupinar. « La situation est désespérée dans la région d’Azaz », a alerté le chef de la mission de Médecins sans frontières (MSF) en Syrie, Muskilda Zancada. Les habitants d’Alep sont contraints de vivre, dans le froid et des conditions précaires, dans des camps installés à la hâte, notamment autour de la localité de Bab al-Salama. « Ils sont dans les champs, sur les routes et dans les mosquées », a raconté Mamoum Al Khatib, directeur d’une agence de presse, Shahba Press (pro-rebelles), basée à Alep. « Ils sont des milliers à dormir sans abris, sans tentes », a-t-il ajouté. L’ONG turque IHH a été autorisée à franchir la frontière pour apporter de l’aide d’urgence. De son côté, le Croissant-Rouge turc, qui attend de l’autre côté de la frontière le feu vert des autorités turques, assure être prêt à intervenir. « Si nécessaire ».

11 millions de civils en détresse 
« Plus de 11 millions de Syriens (4,6 millions de réfugiés et 6,5 millions de personnes déplacées) font face à leur cinquième hiver loin de chez eux. Ils ont un besoin urgent, voire vital, d’eau, de nourriture, d’assainissement et d’abris », a rappelé Manuel Sánchez-Montero, un responsable d’Action contre la faim, l’une des rares organisations internationales qui travaillent actuellement en Syrie.

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