Benoît Hamon : « Le clivage droite-gauche est reformulé »
Entretien réalisé par Frédéric Durand
Lundi, 8 Février, 2016
L'Humanité
Figure de l’aile gauche du PS, Benoît Hamon estime que le débat sur la déchéance de nationalité « réactive » le clivage politique. La primaire est le « seul moyen » d’éviter à la gauche de sombrer en 2017, dit-il.
La question de la déchéance de la nationalité et la révision constitutionnelle ont ravivé les débats au sein du PS. Quelle est votre position ?
Benoît Hamon Au lendemain des attentats, la nation s’est spontanément unie. La proposition d’inscrire la déchéance de nationalité dans la Constitution a créé la discorde là où il y avait la concorde. Le projet du gouvernement a beaucoup varié. Initialement réservée aux binationaux, la déchéance de nationalité concernerait désormais tous les Français. Elle créerait donc des apatrides. Je crois cette initiative inutile et dangereuse. Je m’y opposerai donc. Au-delà du débat juridique, je vois dans cette mesure une forme d’autoamnistie de la société française sur les raisons qui conduisent tant de jeunes Français à choisir la voie du terrorisme, du meurtre et du suicide. La déchéance permet d’échapper à des explications que certains redoutent sur les responsabilités spécifiques de la société française dans cette radicalisation. La déchéance offre un raccourci pratique pour éviter tout examen de conscience. Je partage l’analyse de l’universitaire Rachid Benzine quand il parle, s’agissant des attentats, d’un « double déni ». Le premier émanant d’une partie des Français musulmans, qui disent : « Ces terroristes-là, ce ne sont pas des musulmans, ce n’est pas l’islam », sauf qu’ils se revendiquent de l’islam au moment où ils agissent et qu’il faut interroger certains courants, comme le wahhabisme, en ce qu’ils facilitent ce passage du fondamentalisme vers l’extrémisme terroriste. Le second déni est celui d’une France qui proclame qu’« il n’y a rien à comprendre dans ce geste, ce n’est pas la France ». Parmi ces jeunes terroristes, parmi ces jeunes présents en Syrie et en Irak, la plupart sont passés par les écoles de la République et ont été élevés en France. Ce sont les enfants perdus et de la France et de l’islam. Qu’est-ce qui explique cet échec collectif ? Comment stopper ces phénomènes morbides ? Voilà ce qui me semble plus essentiel que ce débat sur la déchéance.
Ces débats justifient-ils que la question identitaire occupe désormais tout l’espace politique et médiatique ?
Benoît Hamon Dans son dernier livre, Piège d’identité, Gilles Finchelstein, de la Fondation Jean-Jaurès, explique que, là où l’identité structure les débats publics, le vote cesse d’être constitutif de l’identité, c’est l’identité qui détermine le vote. Je vote comme breton, comme corse, comme musulman ou comme catholique, etc. Alors qu’auparavant, le fait de voter socialiste, communiste, conservateur ou FN était une composante de mon identité. Les choix politiques, la liberté de conscience primaient sur les appartenances culturelles. Cette inversion constitue une pente extrêmement dangereuse parce qu’elle efface de facto la question sociale.
C’est cette dérive que vous avez tenté de combattre en interne…
Benoît Hamon Oui. J’observe l’essor d’une idéologie néo-conservatrice, au sein de l’exécutif, qui se reconnaît à trois caractéristiques : la revendication du primat de la question identitaire sur la question sociale, l’adhésion décomplexée au libéralisme économique et une vision pessimiste du monde, et de son avenir. Le débat sur la refonte du Code du travail viendra après celui sur la déchéance de nationalité, et il sera la nouvelle offensive de ce courant idéologique. Quelle est la conviction de ce dernier pour lutter contre le chômage ? Ce qui empêcherait les entreprises d’embaucher, ce serait les protections trop nombreuses et trop coûteuses de ceux qui travaillent. En diminuant les droits des insiders (les inclus au marché du travail – NDLR), on faciliterait les chances des outsiders (les exclus – NDLR) d’entrer sur le marché du travail. Les mêmes défendent l’idée que la dégressivité des allocations chômage encouragerait les chômeurs à chercher un emploi. Même si toutes les études démontrent exactement l’inverse. C’est injuste et inefficace, tout comme l’idée d’organiser la prévisibilité du licenciement abusif à travers le plafonnement des indemnités aux prud’hommes ! Les signes donnés par le gouvernement, depuis deux ans, sont tous les mêmes. Ils ont le mérite de la cohérence mais le défaut de l’inefficacité puisque, aujourd’hui, en dépit d’un contexte économique incroyablement favorable – un pétrole à un prix extraordinairement bas, des taux d’intérêt très faibles et un euro très compétitif par rapport au dollar, sans compter les politiques de soutien massif aux entreprises à travers le pacte de responsabilité –, on a un taux de chômage supérieur à 10 %, une pauvreté endémique et des inégalités qui continuent de se creuser.
Vous revendiquez une politique alternative à gauche, est-elle encore imaginable ?
Benoît Hamon Aujourd’hui, la recomposition du paysage politique français est en cours, les cartes se redistribuent. Que la gauche sociale-démocrate européenne soit ralliée aux axiomes libéraux, ça ne date pas de ce gouvernement. Margaret Thatcher ne disait-elle pas que son « plus grand succès, c’(était) Tony Blair » ? La famille sociale-libérale a été mise en échec en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Espagne, en Grèce… Et elle l’est aujourd’hui en France. Les choses changent cependant quand ceux qui, à gauche, partageaient des solutions avec la droite sur les questions économiques et sociales en sont venus à les partager sur la question du lien entre nationalité et citoyenneté. Il y a incontestablement un clivage droite-gauche qui s’est réactivé et reformulé, et qui est intéressant parce qu’il offre une base à partir de laquelle reconstruire.
Cette base pour reconstruire peut-elle s’incarner d’ici à 2017 ?
Benoît Hamon Si on veut qu’il y ait la gauche au second tour, le seul moyen, c’est une primaire, parce que son principe – je sais bien que ça fâche –, c’est qu’on se rallie à celui ou celle qui l’a gagnée. Ceux qui refuseraient par principe la primaire aujourd’hui, outre qu’ils nous priveraient d’une grande respiration politique et démocratique, nous feraient courir le risque de voir la gauche éliminée au second tour. De nombreux militants et élus socialistes la réclament et sont déterminés à y participer. La décision du président de la République sera bien évidement importante, mais maintenant la balle est dans son camp et celui de ses amis. L’éthique de responsabilité, quand l’extrême droite est aux portes du pouvoir, invite à se plier à un exercice démocratique qui rassemble, plutôt qu’à un acte vain et stérile d’autorité pour ordonner aux troupes de se ranger derrière le candidat sortant. Hélas, lorsque Jean-Christophe Cambadélis dit : « Oui pour une primaire, mais à condition qu’il y ait tout le monde, et il faut convaincre Mélenchon », ça veut donc dire non, je n’en veux pas ! Je regrette ces sempiternelles diversions ! La primaire sera de toute façon le seul moyen de rassembler la gauche.
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