lundi 8 février 2016

Cahuzac, le procès des mensonges

Cahuzac, le procès des mensonges

Grégory Marin
Lundi, 8 Février, 2016
L'Humanité

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L'ex-ministre Jérôme Cahuzac prête serment devant les députés de la commission parlementaire qui l'auditionnent, le 23 juillet 2013.
Photo : Martin Bureau / AFP
L’ex-ministre du Budget de François Hollande de 2012 à 2013 comparaît à partir de ce jour pour fraude fiscale, blanchiment et recel de fonds.
Contrairement aux déclarations que j’ai été conduit à faire alors que j’étais membre du gouvernement, je suis titulaire d’un compte à l’étranger et souhaite vous fournir toutes explications à ce sujet. » Cet aveu tant attendu par l’opinion, c’est aux juges d’instruction Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire que Jérôme Cahuzac, le ministre du Budget de Jean-Marc Ayrault, le fait, le 26 mars 2013. Depuis le mois de janvier, une enquête de la Direction nationale d’investigations financières et fiscales est ouverte, qui a vu défiler hommes politiques, membres de l’administration fiscale, banquiers et épouse, conduisant finalement aux mises en examen de Jérôme Cahuzac et de son ex-femme Patricia, ainsi que des banquiers et intermédiaires qui ont aidé le couple à organiser leur fraude fiscale. Le filet de la justice se resserrant, le principal protagoniste de l’affaire, accablé par les médias, pressé par son entourage politique de faire la lumière sur cette affaire, choisit de parler.

« Je n’ai pas et je n’ai jamais eu de compte à l’étranger »

L’affaire Cahuzac avait démarré en décembre 2012, quand Mediapart publiait plusieurs articles évoquant la détention, « pendant de longues années, d’un compte bancaire non déclaré à l’Union des banques suisses (UBS) de Genève ». Réponse immédiate du ministre : « Je n’ai pas et je n’ai jamais eu de compte à l’étranger », assurait-il devant l’Assemblée nationale, le 5 décembre, au lendemain des révélations. « Pour ce qui est du gouvernement, du premier ministre et du président de la République, chacun a affiché sa solidarité », affirme alors la porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem. Malgré les petits gestes venus du palais Bourbon, de la rue de Solférino ou… d’Éric Woerth, ancien ministre du Budget de Nicolas Sarkozy lui aussi un temps visé par la justice, les journalistes insistent.
Mediapart produit une conversation enregistrée où l’on reconnaîtrait la voix de l’ex-ministre du Budget, évoquant « un compte ouvert à l’UBS » et regrettant que ce ne soit « même pas la plus planquée des banques »… Certes, l’enregistrement date de 2000. Et il est porté à l’attention de la justice par un adversaire local de Jérôme Cahuzac, l’ancien maire RPR de Villeneuve-sur-Lot, Michel Gonelle. Le ministre contre-attaque sur deux fronts : il porte plainte pour diffamation et entame une procédure auprès d’UBS pour, dit-il, « définitivement clouer le bec » à ses accusateurs. Mais rien n’est prouvé, la banque lui ayant répondu – il a publié le message sur son blog – que « par principe, nous n’accédons pas à ce type de requête ». Quand elle le fera, sur saisine de la Direction générale des finances publiques, elle établira que « M. Cahuzac n’a pas disposé d’avoirs à l’UBS » pour « les années 2006 à 2009 ». « Prescription fiscale » oblige (dixit le ministre de l’Économie de l’époque, Pierre Moscovici), les demandes françaises ne remontaient pas au-delà de 2006, alors que « la première opération identifiée (menée avec l’aide de Philippe Peninque, un avocat lié à l’extrême droite, cousin par alliance de Mme Cahuzac – NDLR) date du 26 novembre 1992 ». Quant aux « années 2010 à 2012 », période visée par la convention d’assistance signée en 2009 entre la France et la Suisse, il faut oublier : début 2010, quelques jours avant de devenir président de la commission des Lois à l’Assemblée, le député PS de Villeneuve-sur-Lot avait fait le voyage à Genève pour clôturer son compte et le transférer dans une filiale d’UBS à Singapour…
Au cours du procès de Jérôme Cahuzac qui commence ce jour, la justice interrogera sans doute, à la suite des enquêteurs et des observateurs politiques, le rapport de l’ancien ministre à l’argent. « La politique a entraîné pour moi une vraie perte de revenus », avait coutume de dire le médecin, qui avait fait fortune dans l’implantation de cheveux et le conseil aux entreprises pharmaceutiques. Un besoin essentiel, du moment où il a goûté au confort, explique Mathieu Delahousse, dans son livre Code Birdie. Le couple qu’il formait avec Patricia s’est d’ailleurs largement entre-déchiré à ce propos au cours de leur divorce, traité parallèlement à leurs démêlés judiciaires, les accusations de l’une amenant la justice à s’intéresser aux comptes de l’autre, et vice versa.
Mais il est un point qui pourrait rester dans l’ombre. Au moment où, dans l’hémicycle du palais Bourbon, Jérôme Cahuzac regardait la nation en face pour réfuter les accusations de fraude fiscale qui le touchaient, l’exécutif savait-il ? Selon ses dires devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, Alain Zabulon, le directeur adjoint du cabinet de François Hollande avait lui-même mis le chef de l’État au courant le 15 décembre 2012, après un coup de fil de… Michel Gonelle. Ce que Zabulon ne savait pas, c’est que le président de la République aurait tout su dès le 4, informé par l’avocat de Mediapart, Jean-Pierre Mignard, et le patron du site, Edwy Plenel lui-même, expliquait Charles de Courson, président de la commission d’enquête parlementaire dans le Figaro du 18 juillet 2013. Autant de « fuites » qui avaient généré une réunion entre le mis en cause, son ministre de tutelle Pierre Moscovici et le chef de l’État, le 16 janvier 2013. La « muraille de Chine » que la présidence disait avoir dressée entre Cahuzac et l’exécutif paraissait bien fissurée…

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