Jean d’Ormesson « Je m’apprête à écrire un pamphlet métaphysique »
Entretien réalisé par Muriel Steinmetz
Lundi, 8 Février, 2016
L'Humanité
Jean d’Ormesson, entré dans la Pléiade, publie un nouveau livre et nous parle de son existence, de ses admirations, d’Aragon, de la politique et de la chance qu’il estime l’avoir accompagné depuis toujours.
Jean d’Ormesson est décidément partout en ce moment. Il y a peu, il était sur le Divan de Marc-Olivier Fogiel. Quelques jours avant, on le découvrait en pleine forme à l’émission de Ruquier On n’est pas couché, où il se payait le luxe de confondre Manuel Valls en le qualifiant d’homme de droite. Il fait son entrée en grande pompe dans la Pléiade. Son dernier livre, Je dirai malgré tout que cette vie fut belle, sort chez Gallimard (voir ci-contre la critique de Jean-Claude Lebrun). Il a accepté de nous recevoir dans sa maison de Neuilly.
Toute votre vie s’est partagée entre la littérature et le journalisme…
Jean d’Ormesson La littérature l’a finalement emporté. Mes derniers livres ont assez bien marché. Mes premiers, plutôt mal. J’ai écrit mon premier roman pour des motifs assez faibles : plaire à une jeune fille à qui c’était tout à fait égal. Sans réponse de Gallimard, j’envoie mon livre à Julliard qui m’appelle aussitôt : « C’est mieux que Sagan ! » Ce livre n’a pas été un grand succès. C’était moins bien que Sagan et puis à l’époque, le Figaro m’était hostile. J’avais publié, dans Arts, un article sur un roman de Pierre Brisson, grand directeur du Figaro. Ce n’était pas bon. J’ai eu cette phrase imprudente : « Il y a tout de même une justice. On ne peut être à la fois directeur du “Figaro” et avoir du talent. »
Mon premier succès fut la Gloire de l’Empire. Julliard était mort. J’ai apporté mes huit cents pages à Bernard Privat, neveu de Grasset. « Tes premiers livres n’étaient pas mal, m’a-t-il dit, c’était très amusant. Celui-là est illisible. » J’ai porté mon livre chez Gallimard. Il a été vendu à 300 000 exemplaires. À partir de là, j’ai eu de la chance. Plus ou moins. Il y a cinq ou six ans, j’étais peut-être plus vieux que maintenant – je couvais quelque chose. J’ai été assez malade, vous savez – j’ai écrit un livre qui s’intitulait C’était bien, une sorte de testament. Celui qui vient de sortir n’est sûrement pas un testament. J’en ai un autre en préparation. Il aura soixante-dix pages. Le livre de Stéphane Hessel Indignez-vous ! m’avait beaucoup intéressé. Ce sera très court, un pamphlet, pas politique mais métaphysique.
Dans Je dirai malgré tout que cette vie fut belle, du réquisitoire au plaidoyer, un autoportrait se dessine…
Jean d’Ormesson On m’a accusé de fausse modestie. En vérité, j’ai eu beaucoup de chance dans la vie. J’ai rencontré un peu partout des gens qui m’ont beaucoup aidé : à l’Unesco, au Figaro et aussi à l’Humanité. Je ne le dis pas par démagogie. L’Humanité a toujours été très amical avec moi. Pourquoi ? J’ai depuis longtemps une grande admiration pour Aragon. Quand il est mort, j’ai écrit un article d’admiration dans le Figaro. Ce qui n’était pas le cas de beaucoup de journaux, y compris le Monde. Georges Marchais m’a écrit : « Nous n’oublierons pas. »
Mon père n’était pas fortuné mais il était diplomate. J’ai toujours eu de quoi vivre. J’ai été élevé dans un château. Un mélange de grand luxe et de simplicité. Il y avait soixante chambres mais pas de salle de bain. J’ai pu faire des études facilement. À l’École normale, tous mes amis étaient de gauche. La khâgne d’Henri-IV était trotskiste. Mon grand défaut, c’est l’éparpillement. J’ai préparé quatre agrégations successives : lettres, histoire, allemand et philosophie. Althusser, communiste, était mon « caïman ». Quand il est mort, la presse a été très dure. Dans le Figaro Magazine, j’ai fait le seul article qui le défendait.
Quand j’étais en khâgne, Léon Blum apparaissait comme le gérant de la bourgeoisie. Vous vous rappelez les vers d’Aragon : « Feu sur Léon Blum. Feu sur les ours savants de la social-démocratie ! » Dans la famille de ma mère qui, elle, était ultra-réactionnaire, monarchiste, Blum passait pour un vrai bolchevik au couteau entre les dents. Cela m’a appris la relativité des opinions. Ce livre est donc un procès, une confession chrétienne et aussi un peu ce qui l’a remplacée, c’est-à-dire une cure de psychanalyse.
Tant d’années à écrire et à fréquenter des gens illustres, cela ne vous a-t-il pas amené à avoir de l’humanité en général une conception définitive ?
Jean d’Ormesson Un sentiment très fort chez moi, c’est l’étonnement. J’en ai un autre, un peu vieillot, l’admiration. J’ai longtemps passé pour un écrivain du bonheur. C’était un peu usurpé. Le monde est cruel. Il faut prendre les catastrophes avec une certaine volonté de l’emporter sur elles. Je suis d’un tempérament optimiste et l’admiration m’a beaucoup porté. J’ai surtout admiré les écrivains : Yourcenar, Gracq, Aragon par-dessus tout. J’ai une passion pour Aragon.
Vous vouliez qu’il entre à l’Académie française…
Jean d’Ormesson Vous connaissez ses poèmes d’amour ? « Ô mon jardin d’eau fraîche et d’ombre… Ma danse d’être… » N’est-ce pas magnifique ? Je n’étais pas de ses intimes. J’étais l’intime de François Nourissier. Il était un intime d’Aragon. Aragon n’a pas réussi à obtenir le Goncourt pour François Nourissier, c’est pour cela qu’il a démissionné du jury. C’est grâce à Nourissier que j’ai connu Aragon. Ce dernier, un peu provocateur, m’a dit un jour : « Tu sais, je suis snob. » « Vous êtes snob, mais venez à l’Académie. » Il avait quitté les Goncourt. Il a ri. J’ai dit à l’Académie : « Écoutez, on pourra peut-être avoir Aragon. » On m’a répondu : « Qu’il fasse ses visites. » Vous voyez Aragon faire ses visites !
Vous avouez être un gaffeur coutumier…
Jean d’Ormesson À la veille de l’émission de Ruquier, mon téléphone sonne. La personne me dit : « Je vous informe qu’il y aura l’ambassadeur du Népal. » J’arrive sur le plateau. « Vous savez la nouvelle ? », me dit-on. Je réponds : « Oui, l’ambassadeur du Népal est invité. » On me rétorque : « Non, il s’agit de Manuel Valls. » Parfois, je n’entends pas les questions !
Dans votre jardin secret littéraire, on trouve encore Chateaubriand et Paul-Jean Toulet…
Jean d’Ormesson On disait à Toulet « c’est bien léger ce que vous faites. » Et il disait : « Oui, léger comme de la cendre. » Il y a cette formule du poète allemand Hofmannsthal : « L’important c’est la profondeur. Où ça ? À la surface ! » Pensons à Mozart, son côté léger, sa gaîté qui cache tant de mélancolie.
Regrettez-vous vraiment, comme vous l’affirmez dans le livre, d’avoir consacré trop de temps à des tâches extérieures à la littérature ? Vous voici dans la Pléiade…
Jean d’Ormesson Cela me fait évidemment beaucoup de plaisir. L’Académie est un club de gens très honorables mais il y a peu d’écrivains. Tandis que dans la Pléiade, on trouve Aragon, Ionesco, Yourcenar. À Hugues Pradier qui dirige la Pléiade, j’ai demandé : « Comment vous choisissez les gens ? » Il m’a répondu : « Nous ne prenons pas les reines d’un jour. »
Est-ce que la faculté d’étonnement et d’émerveillement que vous revendiquez à la fin de l’ouvrage n’est pas au fond la clé de toute votre existence et le secret de la jeunesse perpétuée…
Jean d’Ormesson Vous avez raison. Il y a deux ou trois clés. Outre l’étonnement et l’admiration, un troisième thème court dans le livre, c’est le temps. Et aussi Dieu. Je passe souvent pour être un écrivain catholique. Il me manque quand même quelque chose de très utile, c’est la foi… Honnêtement, je ne sais pas si Dieu existe. Ce monde que j’ai tant aimé s’avérera formidablement injuste s’il n’y a vraiment rien d’autre. C’est dur de se dire que ce sont toujours les mêmes qui gagnent, les plus violents, les plus modestes restant sans rien. Un philosophe espagnol affirmait : « Croire en Dieu, c’est espérer qu’il existe. »
Cette réputation de légèreté qu’on vous fait, et que vous vous faites, n’est-elle pas contredite par l’amitié que vous témoignent des gens comme Althusser dans votre jeunesse, mais aussi Caillois, Mitterrand…
Jean d’Ormesson Et Mélenchon ! Je ne partage pas ses idées mais je trouve qu’il a beaucoup de talent. Quand il parle de la République, je trouve ça très brillant. Je l’ai récemment invité à déjeuner.
Vous avez donc des amis de tous les bords politiques. N’est-ce pas ce qui au fond vous assure la gratitude universelle ?
Jean d’Ormesson On me dit parfois : « Tu n’as jamais voulu faire de politique. » Le spectacle de la politique m’a beaucoup intéressé. La politique consiste en ceci : j’ai raison et vous avez tort. Or, je suis toujours porté à penser que mon adversaire a raison contre moi. Il y a une malédiction, c’est que mes adversaires deviennent mes amis. Je ne vais pas reparler de Mitterrand ou de Roland Leroy, ou même de Hollande. Je crois que sa politique n’est pas bonne mais… C’est une malédiction. J’aime bien mes adversaires.
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