Dans les dunes de Calais, la solidarité fait (l’)école
Sylvie Ducatteau
Lundi, 8 Février, 2016
L'Humanité
Lancée par Solidarité laïque, l’école du chemin des dunes a été inaugurée, samedi, dans la « jungle ». Une initiative provisoire destinée à rappeler les autorités à leurs obligations, parmi lesquelles le droit à l’éducation.
Calais (Pas-de-Calais), envoyée spéciale.
Une fois franchi le chemin des dunes, à quelques encablures de la mer, un chemin boueux mène à une petite enclave fermée. À l’intérieur, une école, une infirmerie, une bibliothèque, au total sept baraques aux charpentes fabriquées grâce au bois de centaines de palettes et sur lesquelles sont tendues de grandes bâches noires. Les deux classes, celle des adultes et celle des enfants, se font face sur la place où, au centre, trônent une aire de jeux, un mur d’escalade et le filet d’un grand tremplin. Les couleurs vives des ballons qui y sont accrochés marquent le grand jour : c’est l’inauguration de l’école laïque, ouverte à tous, dont la construction et l’équipement ont mobilisé des milliers de bras solidaires. Avec une grande absente, lors de cette cérémonie : l’éducation nationale, pourtant tenue d’assurer la scolarisation de tous les enfants présents sur le sol français.
Cent cinquante à trois cents enfants ont échoué dans ce camp et, nouveaux venus, de plus en plus de mineurs isolés y demeurent sans protection. « Ici, tout est symbole. Ce camp est le symbole de valeurs et de principes abandonnés par les gouvernements, sans même parler des obligations légales du droit à l’hébergement et du droit à l’éducation, qui ne sont pas respectés », dénonce Roland Biache, l’un des responsables de l’association Solidarité laïque. Il a coordonné le collectif de cinquante organisations (dont le SNUipp, l’Unsa, la FCPE, la Ligue de l’enseignement, pour les plus connues), qui a fourni argent, matériel et professionnels pour cette initiative présentée comme « une solution provisoire qui ne doit pas être pérenne ». La Fondation pour la sécurité électrique a assuré l’électrification des salles de classe, mais également de la « Bibliothèque du vivant », où seront collectés les récits des parcours des migrants. L’association Ateliers sans frontières a, elle, fourni et installé plusieurs ordinateurs et bientôt Internet.
« Pour continuer d’apprendre, quelles que soient les circonstances »
Depuis que le bidonville existe, il y a toujours eu quelqu’un pour faire une place à l’école dans la « jungle », y insufflant un peu d’humanité. L’école laïque a vu le jour il y a un an, modestement d’abord, grâce à un jeune réfugié nigérian, Zimako Jones. « Continuer d’apprendre, quelles que soient les circonstances, est fondamental pour reprendre confiance en soi et pour sa dignité », défend-il. Il est arrivé en mars à Calais, où il a croisé le même besoin d’agir chez Virginie Tiberghien, orthophoniste. Au printemps dernier, l’urgence s’est imposée avec l’arrivée dans le camp de centaines de familles et de leurs enfants. L’école devait être déplacée et agrandie. Il fallait faire vite. « Il a suffi de quelques rencontres entre Zimako, des militants solidaires de la paix, de l’accès à l’éducation pour tous – pour les enfants en priorité –, pour qu’une école laïque, ouverte à tous, voie le jour. Et pourtant, ça n’est pas aux associations d’assurer la scolarité des enfants », explique, émue, la jeune femme.
Tandis que se déroule la cérémonie, les petits écoliers ont pris place dans leur classe. Ils sont une dizaine installés autour d’une grande table ovale, emmitouflés dans leurs anoraks et leurs écharpes de laine. Le plus jeune a trois ans, la plus âgée n’a pas dix ans. Une fillette trace, d’un trait soigné de feutre bleu, les lettres arabes de son prénom à côté d’une fleur comme elle n’en a sans doute pas vu depuis longtemps. L’enseignante bénévole, en français puis en anglais, demande leur attention aux enfants. Les têtes se tournent vers elle ; enthousiastes, les petits écoliers répètent la lettre « o », celle qu’il faut apprendre à reconnaître et écrire.
« La nuit qui a suivi ma première venue dans le camp, j’ai fait des cauchemars et je me suis dis que je serai incapable d’y retourner », raconte Nathalie. C’était en avril 2015, au moment de l’ouverture de l’école. Depuis, deux jours et demi par semaine, cette jeune retraitée fait profiter les enfants de ses vingt années d’expérience d’enseignement en maternelle. « Le barrage de la langue, nous le dépassons en communiquant par signes, grâce au dessin aussi, et parfois avec l’aide des parents qui jouent les interprètes. Évidemment, ici, nous ne pouvons pas être dans une logique de progression classique. Les enfants ne font que passer », raconte-t-elle. Alors, les professeurs s’attachent à l’essentiel. Apprendre à se repérer dans l’espace, dans le temps. « Nous faisons aussi beaucoup de calcul, de numération. Cet apprentissage est fondamental pour leur future scolarité. Et puis, les mathématiques sont universelles… » se réjouit-elle.
Pas de sonnerie pour marquer la fin de l’école mais, en ce jour exceptionnel, la musique très rythmée de la fanfare de l’association Clowns sans frontières. La parade s’ébranle à travers le bidonville, sous des regards d’abord étonnés, puis des sourires face aux facéties des clowns. Lydie est heureuse. Depuis le mois de juillet, cette Calaisienne joue les blanchisseuses pour les migrants du camp. « Je n’en pouvais plus de ne rien faire pour eux, même si c’est difficile car mes enfants ne me comprennent pas. Je peux de nouveau me regarder dans une glace », confie-t-elle timidement.
À Calais, Les « anti-migrants » ne sont pas légion
Ils espéraient réunir 1 000 personnes, samedi, à l’appel du mouvement anti-migrants Pegida. Ils n’étaient qu’une petite centaine vociférant leur idéologie haineuse. Vingt ont été interpellés. Parmi eux, l’ancien patron de la Légion étrangère, le général Piquemal, 75 ans, qui avait appelé « tous les patriotes et associations patriotiques à se joindre » au rassemblement. Il passe, aujourd’hui, en comparution immédiate avec quatre autres manifestants, accusés de port illégal d’arme. Autre présence remarquée dans le troupeau néofasciste : Gaël Rougemont, le prétendu « Calaisien excédé » qui avait menacé d’un fusil le cortège de plusieurs milliers de personnes rassemblées, samedi 23 janvier, en soutien aux réfugiés.
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