Grèce. Les habitants des îles en lice pour le prix Nobel de la paix
Thomas Lemahieu
Mardi, 2 Février, 2016
L'Humanité
Au large de la Turquie, des milliers de réfugiés débarquent depuis des mois et les Grecs, durement frappés par l’austérité, n’hésitent pas une seconde à leur apporter leur solidarité. Une pétition réclame une forme de reconnaissance internationale pour ces derniers.
Les frontières se ferment partout en Europe, pas les leurs. Dans les îles de la mer Égée, à Lesbos, à Kos, à Chios, à Samos, à Rhodes ou à Leros, les habitants, étranglés par des années d’austérité infligée à la Grèce, voient débarquer tous les jours des centaines de migrants fuyant les guerres en Syrie, en Afghanistan ou dans la Corne de l’Afrique. Près d’un million ont emprunté cette voie depuis un an. Loin des sirènes xénophobes dont le chant empoisonne tout le Vieux Continent, les Grecs des îles les considèrent pour ce qu’ils sont, des réfugiés qu’il faut accueillir, des enfants, des femmes et des hommes à sauver de la noyade. Ce sont ces élans d’humanité que veulent saluer près de 650 000 signataires – hier, en fin de journée – d’une pétition électronique réclamant que le prix Nobel de la paix leur soit attribué en 2016.
« Les populations des îles grecques de la mer Égée ont fait et font encore tout ce qu’elles peuvent pour aider les réfugiés syriens, bien qu’elles soient depuis de nombreuses années victimes d’une sévère crise économique, soulignent les auteurs du texte lancé en novembre2015 par un architecte crétois. Leurs actions et leurs sacrifices ne passeront pas inaperçus parce qu’ils contribuent de manière importante à la paix et à la stabilité mondiales. »
Le ministre grec aux Politiques migratoires « heureux de l’énorme soutien » à cette initiative
Dans un courrier envoyé au comité norvégien du Nobel, la pétition a été relayée notamment par les parlementaires européens de Syriza, mais aussi de la Nouvelle Démocratie (droite), avec le soutien de responsables des Verts européens et de la GUE/NGL. « Les images quotidiennes de ces citoyens qui plongent dans les eaux glacées pour sauver des innocents ne peuvent que nous remuer, écrivent-ils. Leur honnêteté et leur héroïsme doivent être salués. »
La démarche a également été appuyée par Ioannis Mouzalas, le ministre délégué aux Politiques migratoires du gouvernement Tsipras, qui s’est dit « vraiment très heureux de l’énorme soutien » à cette initiative, sur fond de nouveau chantage à la Grèce, accusée de ne pas réussir à protéger la « frontière extérieure » de l’Union européenne (lire notre édition de vendredi dernier). Prix Nobel de la paix en 1984, l’archevêque sud-africain Desmond Tutu soutient également la candidature potentielle : « La manière avec laquelle les citoyens soi-disant ordinaires des îles grecques se sont rassemblés pour accueillir 900 000 réfugiés l’année dernière a été assez extraordinaire. Imaginez simplement que 900 000 visiteurs désespérés se présentent sur le pas de la porte de votre établissement relativement modeste. Affamés, épuisés et dans un état de stress aggravé… Ils ne parlent pas la même langue que vous, ils n’ont pas la même culture ni la même religion. Qu’est-ce que vous faites ? Vous ouvrez la porte… Incroyable ! »
Des universitaires du monde entier élaborent le plaidoyer destiné à convaincre le comité Nobel
Alors que les candidatures pouvaient parvenir jusqu’à ce lundi avant d’être triées et sélectionnées dans les mois qui viennent, des universitaires du monde entier élaborent le plaidoyer très formel destiné à convaincre les conseillers permanents du comité Nobel. Comme le prix n’est attribué qu’à des personnalités ou à des organisations, il est envisagé de mettre en avant non pas les réseaux citoyens de solidarité qui ont construit des centres d’accueil dans certaines îles ou qui distribuent chaque jour des centaines de repas, mais des individus devenus emblématiques de l’attitude des habitants des îles. Parmi les noms avancés jusqu’ici, il y a celui de l’actrice Susan Sarandon, venue à Lesbos pour sensibiliser l’opinion internationale, puis ceux de Stratis Valiamos, un pêcheur quadragénaire, et de Militsa Kamvisi, une retraitée de 85 ans. Cette dernière, une grand-mère qui a passé sa vie à cultiver les oliviers, avait été immortalisée par un photographe grec au mois d’octobre, alors qu’assise sur un banc avec deux copines, elle donnait le biberon à un bébé à peine débarqué. « Le bébé voulait un peu de sécurité, a-t-elle expliqué quand la presse grecque l’a retrouvée au moment où son image iconique faisait le tour du monde. Les vêtements de sa mère étaient trempés, le père paniquait car l’enfant hurlait. Nous, nous étions juste là, assises, et nous pouvions faire quelque chose. J’ai pris le bébé et le biberon, je l’ai séché, nous avons chanté une berceuse et il a bu le lait d’une traite. » Un tout petit geste parmi des milliers d’autres qui présente un visage fidèle aux valeurs déclarées de l’Europe, très loin des emballements racistes au Nord…
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