mardi 9 février 2016

Le rapport Terrasse veut réguler « l’uberisation » mais reste en surface


Le rapport Terrasse veut réguler « l’uberisation » mais reste en surface

PIERRIC MARISSAL
LUNDI, 8 FÉVRIER, 2016
HUMANITE.FR
Malgré quelques pistes intéressantes pour l’utilisateur, le rapport Terrasse, remis ce lundi soir au Premier ministre, tente un grand écart impossible entre Uber, pire avatar du capitalisme libertarien, et les plateformes d’entraide locale à but non lucratif. A tout ranger sous le terme d’ « économie de contribution », Pascal Terrasse passe à côté des grands enjeux, comme l’avenir du travail et la fiscalité du numérique.
"L'économie collaborative ce n'est pas l'ubérisation", affirme en préambule de son rapport le député PS  Pascal Terrasse. Dans le jargon « innovant » de la « French Tech », ainsi que s’autoproclament les patrons de startups français, cela se discute. On y parle d’« ubérisation » de manière péjorative, et « économie de collaboration » lorsqu’ils convient de vendre son concept. Le reste du temps, ces patrons emploient le terme américain de « gig economy », les « gigs » étant les cachets que reçoivent les musiciens après un concert. Par ce terme, ils expriment clairement leur volonté d’en finir avec le salariat au profit d’un statut d’indépendant généralisé et précarisé, payé au cachet.
Pour la clarté du propos, écartons donc la belle idée de « collaboration » bien loin d’Uber et autres Airbnb et proposons le qualificatif d’économie de plateforme. Car l’unique produit de ces entreprises est de proposer une plateforme (un site Internet, une application mobile…) qui met en relation des individus afin qu’ils échangent entre eux. Ponctionnant le plus souvent au passage leurs 20 % réglementaires.
Les questions du travail, de l’avenir du salariat et de la contribution de ces revenus à la protection sociale sont donc au centre des chamboulements amenés par cette économie de plateforme. Mais Pascal Terrasse n’est pas inquiété par l’idée de la généralisation du régime des indépendants dans ce secteur. Il explique dans son rapport qu’il ne faut pas chercher à créer de protection sociale spécifique pour ces travailleurs ni chercher à les salarier. Selon lui, ils n’ont qu’à s’affilier au statut de travailleur indépendant, qui se verra compléter bientôt du compte personnel d’activité. Et la question est ainsi balayée, "à l’exception des plates-formes de services à la demande de type Uber, dont on peut se demander si elles relèvent effectivement de l’économie collaborative, les plates-formes qui s’adossent effectivement à des initiatives collaboratives abritent essentiellement des particuliers" modère toutefois le rapport. "L'économie collaborative peut améliorer les opportunités pour les publics éloignés de l'emploi, notamment via le statut d'auto-entrepreneur, et contribuer à soutenir le pouvoir d'achat des consommateurs", justifie Pascal Terrasse.
Repères.
276 plateformes en activité en France. Les plus connues sont Airbnb (location de logements entre particuliers), Uber (VTC), Blabla Car (covoiturage), Le Bon Coin (petites annonces).
2,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires en France
15.000 entreprises marchent sur cette économie de plateforme en France mais seulement 13.000 personnes qui en vivent.
En 2025: cette économie de plateforme représentera 300 milliards d'euros dans le monde, dont 7,3 milliards d'euros en France.
8 Français sur 10 ont eu recours à cette « économie collaborative » et plus d’un Français sur deux a acheté un bien à un particulier via une plateforme en ligne.

Sécuriser l’utilisateur et responsabiliser la plate-forme

Le rapport Terrasse entend en revanche sécuriser l’utilisateur de ces plateformes en proposant toute une batterie de mesures pour les protéger des abus. Ainsi « le détail des éléments constitutifs du prix à payer par le consommateur » devra être clairement indiqué, a savoir les taxes, les assurances éventuelles et surtout la commission prise par la plateforme. Celle-ci devra également clairement afficher les raisons pour lesquels un contrat pourrait être rompu.
Autre mesure préconisée, Pascal Terrasse veut de la transparence et de la sécurité sur la manière dont sont déposés et affichés les avis d’utilisateurs sur ces sites. Visiblement enthousiaste, le député propose même la création d’une plateforme collaborative ou les usagers viendront noter et déposer des avis sur les autres plateformes collaboratives… Les utilisateurs - acheteurs peuvent y voir des avancées.
Le rapport Terrasse entend aussi clarifier le statut des vendeurs, dont certains abusent du flou qui entoure ces plateformes pour échapper aux impôts, le meilleur exemple étant les loueurs professionnels sur Airbnb, qu’il convient de distinguer du propriétaire qui loue son propre logement le temps de ses vacances. Mais la différence peut se révéler fort complexe à faire. Le rapport propose donc que les plateformes soient obligées d’envoyer directement à l’administration fiscale les revenus de leurs utilisateurs. Un véritable casse-tête, puisqu’il est par exemple possible d’être exonéré d’impôts sur la vente de ses biens matériels tant que cela ne dépasse pas 5000 euros. "L'administration devra expliquer que certaines activités ne créent pas de revenu imposable (ndlr. comme le covoiturage que le rapport considère comme un partage de frais) et que, quand elles dépassent la pratique amateur, ces activités exigent que l'utilisateur s'enregistre en tant que professionnel" dit le rapport.
Cela permettrait en revanche aux impôts de connaître précisément ce que la plateforme gagne sur le territoire français et de la taxer en conséquence. D’autant que les plus grosses, comme Airbnb et Uber, sont domiciliées au Luxembourg pour leurs activités européennes, à l’abri de bien des impôts français… Mais cette explication ne figure pas dans le rapport, qui appelle juste l'Etat "à agir pour que ces grandes entreprises étrangères paient leurs impôts en France".
En encadrant mieux les activités des utilisateurs, le rapport confie davantage de responsabilités aux plateformes, à qui il demande d’être "fiables, transparentes et loyales", afin de devenir des « gages de confiance pour le consommateur et d’équité vis-à-vis de l’économie traditionnelle ».  C’est pour cette raison que le rapport Terrasse ne préconise pas de régime fiscale spécifique aux plateformes numériques, il plaide au contraire pour une "égalité de traitement" pour ne pas créer de concurrence déloyale.
Pascal Terrasse a beau affirmer que "l'économie collaborative ce n'est pas l'ubérisation", son rapport lui-même est gangréné par l’Uber. Ne reste que très peu de place à la véritable collaboration comme ces plateformes à but non lucratif qui proposent, par exemple, de mettre en relation sans intermédiaire paysans et consommateurs locaux. Pour favoriser les circuits courts, la solidarité et l’entraide, le don et l’échange. Des initiatives, qu’il entend tout de même promouvoir sous la forme de "territoires collaboratifs expérimentaux" afin de "mettre en place des outils locaux de partage de biens et services à l'échelle locale, en particulier dans les territoires ruraux".

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