Réunion de crise agricole à Bruxelles, mais pour quel résultat ?
GÉRARD LE PUILL
LUNDI, 15 FÉVRIER, 2016
HUMANITE.FR
Reconduit comme ministre de l’Agriculture et porte parole du gouvernement, Stéphane Le Foll est à Bruxelles aujourd’hui pour tenter de sensibiliser la Commission européenne sur la gravité de la crise agricole en France et en Europe tandis que des paysans bretons tentaient de bloquer la ville de Vannes au lever du jour.
L’actuelle crise agricole devrait faire réfléchir nos décideurs politiques sur la totale inadaptation des politiques libérales en agriculture. Il a suffit en effet que la production mondiale de blé, soit légèrement supérieure à la demande solvable sur les marchés internationaux pour que le blé français rendu au port de Rouen pour être exporté ne vaille plus que 145€ la tonne contre une centaine d’euros de plus voilà seulement trois ans. Or, ce prix rendu à Rouen laisse moins de 130€ au producteur alors que le prix de revient moyen s’élève à 170€ la tonne.
La même situation prévaut dans la production de viande porcine et de lait. Il faudrait que le prix de base du kilo de carcasse de porc atteigne 1,40€ pour que les éleveurs commencent à tirer un revenu de leur travail. Il était à 1,12€ la semaine dernière au marché de Plérin après avoir été sous la barre de 1,10€ pendant plusieurs semaines. Sur le marché européen du porc, les éleveurs français subissent deux handicaps qui sont imputables à des distorsions de concurrence et à des habitudes de consommation. En utilisant du personnel étranger détaché avec un statut précaire dans les abattoirs, les abatteurs allemands peuvent mieux payer leurs éleveurs que n’acceptent de le faire les abatteurs français. En France, on consomme surtout des pièces nobles comme le jambon et notre pays doit exporter beaucoup de bas morceaux comme les pieds de porcs, la tête et le lard. Depuis l’embargo russe sur l’importation de toute viande porcine européenne mis en place pour des raisons sanitaires, les chambres froides regorgent de bas morceaux en France. Quand aux salaisonniers français qui transforment la viande fraiche en charcuterie, ils s’approvisionnent aussi en Allemagne et en Espagne, ce qui permet de maintenir la pression sur les prix payés aux éleveurs.
En production laitière, il faudrait que le litre de lait soit payé plus de 35 centimes pour que les éleveurs commencent à tirer un revenu de leur travail. Il n’est que de 30 centimes en moyenne actuellement. Ce qui est vrai pour les éleveurs français l’est aussi pour ceux des autres pays européens d’où l’importance de la réunion d’aujourd’hui à Bruxelles. Sauf qu’on n’y attend aucun résultat susceptible de sortir la production laitière d’une crise sans précédent en Europe, dix mois seulement après la fin de la régulation européenne de la production avec la sortie des quotas par pays en avril 2015.
Dès l’automne dernier, Phil Hogan, commissaire européen en charge de l’Agriculture, avait prononcé cette phrase stupéfiante : « je ne pense pas que beaucoup de producteurs produisent du lait payé en dessous des coûts de production. Ils disent que c’est le cas, mais en fin de compte, ils continuent de produire ». Bien que de nationalité irlandaise, ce gros malin de commissaire ne semble pas savoir qu’il est impossible de tarir un troupeau de vaches en production comme on arrête une chaîne de montage en usine en mettant les gens en chômage technique durant quelques semaines. Il ne semble pas comprendre davantage que le fait de stopper la production conduit à perdre encore plus d’argent qu’en produisant à perte puisque cela stoppe toute rentrée financière alors que la nourriture est disponible pour les animaux et qu’il faut aussi rembourser des emprunts.
Même s’il trouve quelques alliés parmi les autres ministres de l’Agriculture des pays membres de l’Union , il n’est pas sûr que Stéphane Le Foll obtienne à Bruxelles de quoi faire remonter les cours du porc et de lait puisque les seules mesures envisagées semblent se limiter au stockage privé ou public de pièces de porc , de poudre de lait et de beurre en surproduction. Lesquels reviendront plus tard sur le marché et pèseront à nouveau sur les cours.
Avant d’aller à Bruxelles ce lundi, le ministre de l’Agriculture avait rencontré les distributeurs et les transformateurs français vendredi 12 février en compagnie d’Emmanuel Macron, le ministre de l’Economie. Il s’agissait de convaincre les grandes enseignes de ne pas être trop exigeantes en matière de rabais sur les prix qu’elles demandent aux entreprises agroalimentaires dans le cadre de la négociation annuelle des prix qui permet aux produits de ces entreprises d’être référencés dans les linéaires. Suite à cette réunion, les deux ministres ont publié un communique commun dont voici quelques extraits :
« Au vu de la situation particulièrement grave dans laquelle se trouvent les éleveurs français, les Ministres ont indiqué très clairement aux entreprises de la distribution et de la transformation qu’il n’était pas acceptable que les négociations commerciales conduisent en 2016 à des baisses des prix dans les filières en difficulté, en particulier pour le produits laitiers, alors même que la majorité de nos concitoyens se déclare prête à les soutenir à travers leurs actes de consommation. Ils (les ministres NDLR) ont annoncé qu’ils étaient prêts à durcir le cadre législatif si les négociations commerciales ne respectaient pas cet objectif».
Cette dernière phrase mérite un petit rappel historique. Le cadre législatif dont font état les deux ministres résulte de la Loi de modernisation économique(LME) votée par les parlementaires de droite en 2008 et appliquée depuis 2009. Cette loi permet aux distributeurs de piller leurs fournisseurs de l’agro-alimentaire qui, à leur tour font baisser les prix payés aux producteurs. Elle a été suggérée à Nicolas Sarkozy par Michel-Edouard Leclerc dès l’été 2007. Elle a été justifiée par la « commissions Attali » dans son rapport final pour accroître la concurrence afin de « libérer l’économie ». A l’époque, la rédaction finale de ce texte elle fut confiée à Emmanuel Macron par Jacques Attali.
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