jeudi 1 décembre 2016

Marcos Ana, mort d’un poète

Disparition
Marie-José Sirach
Jeudi, 1 Décembre, 2016
L'Humanité
  
Toute sa vie, Marcos Ana aura vécu et combattu pour ses idées. Photo : Caroline Ventezou/AFP
Toute sa vie, Marcos Ana aura vécu et combattu pour ses idées. Photo : Caroline Ventezou/AFP
Le poète et militant communiste Marcos Ana est mort le 24 novembre dernier à 96 ans. Sa disparition a provoqué une vive émotion en Espagne.
Il venait d’avoir dix-neuf ans lorsqu’il fut arrêté et emprisonné par les franquistes en 1939. Quarante-deux ans quand il sera libéré. Marcos Ana détient le triste record du plus vieux prisonnier politique d’Espagne. Vingt-trois années derrière les barreaux. Condamné plusieurs fois à mort, il verra sa peine commuée à soixante ans d’emprisonnement. C’est en prison qu’il va se lancer dans l’écriture poétique dans des conditions d’enfermement épouvantables : faim, froid, tortures, vexations… Mais dans l’horrible prison de Burgos – réputée pour avoir été l’une des plus féroces en matière disciplinaire –, la solidarité s’organise et met sur pied une université populaire clandestine où les prisonniers républicains apprennent à lire et à écrire. On y dispense des cours de formation politique, on organise des cercles littéraires. « Pendant ces années, confie-t-il à l’Humanité dans un entretien réalisé par Cathy Ceïbe, je me suis formé politiquement. Grâce à nos familles, nous n’avons jamais été coupés du monde. Et puis la solidarité est arrivée d’Europe et d’Amérique latine. On recevait des cartes des ouvriers de Renault ou de Tchécoslovaquie. Quand on me demande ce qui est le plus beau dans la vie, je réponds : la solidarité. »
Ce fils de paysan sans terre, qui grandit dans les rues d’Alcala de Henares, militera d’abord dans une organisation catholique avant de s’engager dans les jeunesses socialistes puis communistes. Il s’éloigne définitivement de la religion après avoir découvert dans les gravats d’un immeuble bombardé par l’aviation mussolinienne le corps de son père. Un choc pour ce garçon à peine sorti de l’adolescence. Malgré son jeune âge, il ira batailler les armes à la main dans la sierra de Madrid pour contenir l’avancée des troupes franquistes. Son âge le sauvera d’une première condamnation, mais il sera définitivement arrêté sur dénonciation. Il apprendra en prison la mort de sa mère, Ana. Orphelin, il signera désormais du prénom de ses parents ses écrits : Marcos Ana.

Dans ses écrits, aucune amertume, aucun regret...

Lorsqu’il est libéré le 17 novembre 1960 suite à un décret de Franco qui ordonne la libération des prisonniers politiques incarcérés depuis plus de vingt ans, le retour à la vie civile sera rude. « Dites-moi à quoi ressemble un arbre / Dites-moi le chant de la rivière / Quand elle se couvre d’oiseaux /Parlez-moi de la mer, parlez-moi / De l’odeur ample des champs, / Des étoiles, de l’air », écrit-il dans un poème qui, plus tard, donnera le titre à son recueil Decidme como es un arbol (Dites-moi à quoi ressemble un arbre), paru en 2007. Dans ses écrits, aucune amertume, aucun regret, aucun esprit de vengeance : « La vengeance n’est pas un idéal politique. Je me sentirais profondément dégradé si mon objectif était que d’autres souffrent ce que j’ai souffert. La seule “vengeance” que je désire, c’est une vengeance historique : voir un jour triompher les idéaux pour lesquels j’ai lutté, pour lesquels des milliers d’hommes et de femmes ont perdu leur vie ou leur liberté », confiait-il toujours dans l’Humanité. Exilé en France avant de pouvoir retourner dans son pays, Marcos Ana toute sa vie durant aura vécu, combattu pour ses idées. Parmi les personnalités venues lui rendre un dernier hommage à Madrid, on pouvait reconnaître Almudena Grandes, Pilar Bardem et le juge Baltasar Garzon. Marcos Ana est entré dans la légende de son vivant. Il fut l’un des symboles de la résistance à la dictature franquiste, un homme intègre, un honnête homme, un poète, un militant communiste, un combattant de la liberté.
Chef de la rubrique culture

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