lundi 23 janvier 2017

Europe sociale: faut-il y croire ?

Europe sociale: faut-il y croire ?

Jean-Jacques Régibier
Samedi, 21 Janvier, 2017
Humanite.fr

Le Parlement européen et le Conseil de l’Europe s’engagent à mettre en place un socle de droits sociaux commun à toute l’Europe. Au delà des discours, quel crédit faut-il accorder à un projet lancé il y a deux ans par le très libéral président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker ?
Les syndicats y sont favorables, par réalisme et par principe. Aujourd’hui, rappelle par exemple la CGT, les différences de niveau économique, de salaire, de protection sociale, de conditions de travail, permettent aux grands groupes de mettre en concurrence les salariés des différents pays. « La réponse, explique le syndicat, n’est pas le repliement national, mais la construction d’un socle solide de garanties sociales européennes qui réduisent les possibilités de dumping social et permettent une harmonisation vers le haut des droits nationaux.»
C’est Jean-Claude Juncker qui en avait lancé le principe en 2015 lors de son discours sur l’état de l’Union devant le Parlement européen, en faisant lui-même appel aux syndicats. « J’espère que les partenaires sociaux joueront un rôle central dans ce processus », avait-il souhaité. Un an après, en septembre 2016, il affirmait vouloir aboutir rapidement : « nous sommes tenus de travailler au plus vite sur le pilier européen des droits sociaux ( … ) L’Europe n’est assez sociale. Nous devons changer cela, » affirmait-il.
Les premiers résultats tangibles sont intervenus cette semaine, d’abord avec le vote par le Parlement européen du rapport de la députée socialiste espagnole Maria Joäo Rogrigues, ensuite par l’engagement à faire aboutir le projet, pris par Conseil de l’Europe, pour qui « le renforcement de la dimension sociale de l’Union européenne représentera une étape décisive dans le rétablissement d’un lien de confiance entre l’institution et les citoyens de ses Etats membres. » C’est peu dire en effet que c’est par là que le bas blesse : l’Europe loin de ses citoyens, l’Europe ignorant les difficultés des travailleurs, l’Europe indifférente aux chômeurs, les fonctionnaires bruxellois enfermés dans leur tour d’ivoire, etc… entend-on  couramment asséner, autant de jugements, qui alimentent les discours populistes et aboutissent au repli nationaliste, et l’on vient de voir avec le Brexit, qu’on n’en était plus au stade des menaces.
Le rapport adopté par le Parlement européen part de ces mêmes constats. Il considère que l’Union européenne se doit d’apporter « une réponse rapide et tangible au sentiment de frustration et d’inquiétude qui grandit chez de nombreuses personnes en raison de l’incertitude des perspectives d’avenir, du chômage, des inégalités croissantes et du manque de possibilités, en particulier pour les jeunes. » Et il réaffirme la nécessité de développer un « modèle social européen » qui permette - c’est ce que soutient le rapport – « une prospérité durable, la justice sociale et l’égalité des chances, une répartition équitable des richesses, la solidarité entre les générations, l’état de droit, la non-discrimination, l’égalité entre les hommes et les femmes, les systèmes éducatifs universels et de qualité, des emplois de qualité, et une croissance durable. » Comment ne pas être d’accord avec de tels objectifs ? « Dans ce rapport, il y a un certain nombre de choses positives », estime Patrick Le Hyaric ( GUE/GVN. ) « Ces dernières années, on a surtout parlé d’union économique et monétaire, il est temps de parler d’un socle de progrès social et environnemental, c’est une condition sine qua non pour que les salariés et les peuples participent à une construction européenne faite à partir de leur besoins, ça c’est indispensable.»
Que propose concrètement ce socle européen des droits sociaux ? Indiscutablement des mesures progressistes, comme le droit d’être payé normalement, le droit d’avoir une assurance chômage, le droit d’avoir une pension de retraite, le droit à des conditions de travail décentes, le droit à la formation et à l’apprentissage, l’accès à la santé, le droit à la négociation et à l’action collective, etc… Le co-président du groupe des Verts au Parlement européen, Philippe Lamberts voudrait bien y croire, mais, ajoute-t-il, « avant de faire le bien, arrêtons de faire le mal. » Il explique : « on continue à dérouler le rouleau compresseur des réformes libérales : flexibilisation du marché du travail, mise en compétition de tous les travailleurs les uns avec les autres, affaiblissement de la négociation collective, réduction du rôle de l’état, du rôle de la sécurité sociale par le biais des normes budgétaires européennes et ce rouleau compresseur ne donne aucun signe de ralentissement, et puis on vient avec le socle des droits sociaux…On vous tape sur la tête avec un marteau et après on vient avec un peu de pommade ! » Si personne ne conteste la nécessité de ce socle commun des droits sociaux en Europe ( tous les députés de la Gauche Unitaire européenne, les Verts, les Socialistes, et certains députés PPE de droite et des Libéraux, ont voté le rapport ), dans le camp progressiste, on appelle surtout à la vigilance. « Rien ne sera possible sans une mobilisation des salariés, sans les organisations syndicales, et les associations », soutient Patrick Le Hyaric, ajoutant : «  ici on fait des discours, mais il faut des actes concrets. » Un point de vue partagé par Philippe Lamberts : « bien sur il faut un socle commun des droits sociaux, mais ce socle n’aura aucun sens si il n’est pas juridiquement contraignant, et ensuite, si on continue à mener des politiques économiques et sociales d’affaiblissement des mécanismes de redistribution que sont la fiscalité et la sécurité sociale. » Le député écologiste, qui dénonce une fois encore le soutien de la Commission européenne aux traités commerciaux comme le CETA, ou le TTIP, rappelle que lorsque le Portugal, la Grèce ou l’Espagne ont été accueillis au sein de l’Union européenne, il y a eu un véritable rattrapage en termes de revenus et de couverture sociale, mais ajoute : «  je voudrais qu’on retrouve cette dynamique positive de convergence vers le haut, or ce qu’on fait depuis la révolution néo-libérale en Europe, c’est la convergence vers le bas. »
En juin dernier, au Conseil de l’Europe, le premier ministre grec, Aléxis Tsypras avait lui aussi dressé un réquisitoire sévère contre les dérives d’une Europe gangrénée par le néo-libéralisme et le nationalisme. Devant les représentants des 47 pays européens du Conseil, il avait défendu l’idée d’une Europe sociale et solidaire, seul remède, selon lui, aux crises majeures que traverse le continent.  « La République et la démocratie sont en danger quand les droits sociaux ne sont pas garantis, » avait-il assuré. Six mois après, c’est au tour de ce même Conseil de l’Europe de s’engager dans le soutien à un socle européen des droits sociaux. Un soutien non négligeable puisque cette institution qui regroupe 47 états représentant plus de 820 millions de citoyens, est beaucoup plus large que l’UE, et ensuite parce qu’elle pourrait se donner les moyens d’agir contre ceux qui ne respecteraient pas la charte des droits sociaux, une fois qu’elle sera adoptée. Christos Giakoumopolos, le directeur des Droits de l’Homme au Conseil, l’a en tous cas réaffirmé vendredi: « les droits sociaux sont des Droits de l’Homme, » expliquant que la charte « garantit des droits pour les travailleurs, et des obligations pour les états », et qu’il s’agit bien, comme pour la défense de tous les droits fondamentaux, « de règles contraignantes » qui doivent aboutir à des changements réels dans la vie des citoyens. Une urgence selon le Conseil, pour qui « de toute évidence, le respect des droits sociaux est encore plus nécessaire en temps de crise et de difficultés économiques qu’en temps ordinaire. »
Au cours de l’année, une large consultation européenne, notamment auprès des syndicats et des représentants des citoyens, va servir de base à la proposition finale de socle européen des droits sociaux qui va être présenté par la Commission européenne au printemps prochain. Face à la dérégulation qui accompagne partout la mondialisation sauvage de l’économie, ce socle pourrait donner à l’Europe - s’il n’en reste pas au niveau des mots - un rôle nouveau, celui de référence mondiale pour les droits sociaux.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire