mercredi 18 janvier 2017

Libertés. L’inquiétante dérive sécuritaire européenne


Libertés. L’inquiétante dérive sécuritaire européenne

Camille Bauer
Mercredi, 18 Janvier, 2017
L'Humanité
Dans un rapport publié hier, Amnesty International pointe les dérives et autres entorses aux libertés fondamentales que les pays de l’Union européenne ont mises en place au nom de la lutte contre le terrorisme.
Et si, au nom du terrorisme, l’Europe dérivait vers un régime de non-droit ? C’est la mise en garde prononcée hier par Amnesty International à l’occasion de la sortie du rapport intitulé « Des mesures disproportionnées : l’ampleur grandissante des politiques sécuritaires dans les pays de l’UE ». Au terme de deux années d’études, l’organisation de défense des droits de l’homme a détaillé les mesures prises par quatorze pays au nom de la lutte contre le terrorisme.
Tout en rappelant que « la menace est réelle et le besoin d’être protégé indiscutable », John Dalhuisen, directeur des programmes Europe à Amnesty, a estimé que « prises dans leur ensemble, ces mesures offrent le tableau du démantèlement pierre par pierre de tout l’édifice européen de protection des droits construit depuis la Seconde Guerre mondiale ». Elles « ont sapé l’État de droit, renforcé les pouvoirs exécutifs, mis à mal les contrôles judiciaires, restreint la liberté d’expression et exposé l’ensemble de la population à la surveillance des gouvernements », résume le rapport.
Normalement exceptionnel, l’état d’urgence tend à se normaliser. À la suite de la France, qui a joué en la matière un rôle leader, la Hongrie, la Pologne ou la Bulgarie, qui n’ont pourtant pas été frappées directement par le terrorisme, ont adopté des lois facilitant le passage et le maintient à l’état d’urgence. Ces législations permettent le renforcement sans contrôle des pouvoirs exécutifs et des restrictions sans précédent des libertés, souligne le rapport. Comme en Pologne, où la loi prévoit une interdiction totale des rassemblements publics mais également une vaste surveillance, sans autorisation préalable, de catégories entières de la population. Ainsi, la législation permet désormais de mettre tous les étrangers sur écoute pendant trois mois, sans le moindre contrôle judiciaire…

Un recul des droits individuels

Au nom de la volonté de punir l’incitation au terrorisme, le délit d’opinion s’est considérablement élargi. La France, l’Espagne, le Royaume-Uni, l’Allemagne ont, par exemple, adopté des lois créant des crimes d’incitation ou de promotion du terrorisme. Des notions assez floues pour permettre des inculpations pour le simple usage d’un mot, comme l’ont expérimenté deux marionnettistes espagnols, accusés en février 2016 de « glorification du terrorisme » et « d’incitation à la haine et à la violence » pour avoir donné… un spectacle dans lequel une marionnette tenait une pancarte « Gora Alka ETA ». La nécessité invoquée par les États de faire de la prévention permet aussi de sanctionner des intentions criminelles présumées, et non plus seulement des actes.
Face à ces dérives, les institutions européennes ont eu une réaction « molle ». Dernière instance de recours et garante des libertés individuelles, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) est de plus en plus contestée. « Motivés par la peur d’apparaître faible ou de favoriser l’éclatement de l’Europe, ces reculs conduisent l’UE à renoncer à ses propres valeurs », estime Amnesty. Dans ce processus, la France a souvent été un exemple imité, selon Dominique Curis, responsable du programme liberté d’Amnesty. Elle a aussi joué un rôle central dans la rédaction de la directive européenne contre le terrorisme, qui doit être adoptée aujourd’hui et entérine le recul des droits individuels.
Les lois antiterrorisme ont aussi mis à mal le principe de non-discrimination. Elles ont permis la criminalisation des migrants et des demandeurs d’asile, notamment à l’est de l’UE. Ahmed H., Syrien domicilié légalement à Chypre, a ainsi été condamné à dix ans d’emprisonnement en Hongrie pour « acte de terrorisme ». Son crime ? Avoir été sur la frontière pour aider des parents venus de Syrie et avoir demandé dans un mégaphone à la police de s’écarter pour laisser passer les réfugiés. Au-delà des migrants, « il y a une convergence entre ces mesures et la crainte de l’étranger, du musulman », estime John Dalhuisen. Parce qu’au fond, « on accepte beaucoup plus facilement les mesures antiterroristes et les restrictions des libertés tant qu’on considère qu’elles concernent l’autre ». Mais en ces temps de montée du populisme, Amnesty appelle les électeurs européens « à faire preuve d’une extrême prudence quant à l’éventail des pouvoirs et l’étendue du contrôle sur leurs vies qu’ils sont prêts à conférer à leurs gouvernements ».
En finir avec l'état d'urgence
Vingt personnalités, parmi lesquelles Étienne Balibar, Serge Slama, Mireille Delmas-Marty ou encore Thomas Piketty, ont interpellé les candidats à la présidentielle pour leur demander de mettre fin au régime de l’état d’urgence, inefficace et dangereux pour la démocratie. « Voilà plus d’un an que  l’ensemble des acteurs qui se sont  sérieusement penchés sur la question ont  montré que l’état d’urgence avait “épuisé”  ses effets utiles », notent les signataires de cet appel. Qui pointent également les risques « d’accoutumance » à ce régime dérogatoire qui altère « les équilibres  fondamentaux de notre démocratie ».

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