mercredi 18 janvier 2017

Patronat. Gattaz cornaque ses candidats

Patronat. Gattaz cornaque ses candidats

Sébastien Crépel
Mercredi, 18 Janvier, 2017
L'Humanité

Le Medef va auditionner la plupart des prétendants à l’Élysée. Objectif : verrouiller le scrutin pour s’assurer que ses exigences seront au pouvoir.
Le patronat se fait du souci. Le président du Medef, Pierre Gattaz, l’a confié hier matin au cours de sa première conférence de presse mensuelle de l’année : « On ne peut envisager que la croissance économique ne bénéficie qu’à quelques “happy few” (heureux élus – NDLR). Il faut que le numérique et la mondialisation bénéficient à toutes et à tous. » Sur les chaises des journalistes, était posé le texte d’une tribune parue récemment dans le Monde et signée du responsable du pôle international et Europe du Medef, Bernard Spitz. Il y est question, après le Brexit et l’élection de Donald Trump aux États-Unis, des « peurs et (de) la colère que suscitent partout les inégalités de développement face aux progrès techniques et à la mondialisation. Le libre-échange est désormais perçu comme un facteur de régression (…). La perception dominante est celle d’un peuple de perdants face à une petite tribu de super-gagnants ». Et l’auteur de ce brûlot de proposer, pour y remédier, une « nouvelle entente internationale », un « nouveau Bretton Woods social » au G20 et à l’ONU, « replaçant le social au cœur des enjeux ».
C’est dire si l’heure est grave au siège de l’avenue Bosquet, dans le chic 7e arrondissement parisien, après des années passées à applaudir et à pousser les feux de toutes les déréglementations libérales. Pas de méprise, pourtant. À l’heure des vœux pour 2017, le Medef ne s’est pas converti subitement à la transformation du système : il veut le sauver. Mais pas n’importe comment. Dans un habile retournement, le patronat entend exploiter à son profit l’inquiétude non feinte qui le saisit face à l’imprévisibilité des effets politiques de la colère des peuples. Et, une fois la menace agitée du « vent populiste qui balaye les clivages partisans habituels », tracer ainsi la voie à suivre aux candidats à la présidentielle qui promettent que tout change pour que tout reste comme avant.

Le patron des patrons n’a cessé de se mêler de la conduite du pays

La plupart des prétendants à l’Élysée seront auditionnés un par un – Marine Le Pen comprise, une première : comme quoi la rhétorique contre le « populisme » a ses limites. Car le Medef sait qu’il joue gros en 2017. En quatre ans qu’il en préside les destinées, Pierre Gattaz a pris le goût de se faire obéir. Et il n’entend pas perdre ce qu’il a obtenu. À tel point que, à l’occasion de sa dernière université d’été, en août, son organisation était l’une des seules à tirer un bilan positif de l’action de François Hollande, qui « n’aura pas été un quinquennat pour rien, il aura permis de révéler le rôle fondamental de l’entreprise, d’assumer l’importance d’une politique de l’offre », indiquait Pierre Gattaz dans les Échos. « Je décide, il exécute », en quelque sorte. Le mot célèbre de Jacques Chirac semble s’être appliqué à merveille au patron des patrons et à François Hollande, ainsi qu’à son premier ministre, Manuel Valls. Celui qui prétendait lors de son élection à la tête du Medef « ne pas faire de politique » n’a jamais cessé de se mêler de la conduite du pays, se montrant à l’occasion menaçant, comme lorsqu’il lançait, dans son « discours d’investiture » en juillet 2013 : « Mon message est clair : nous n’accepterons plus (sic) de hausse des prélèvements obligatoires, ni de hausse de taxes ou d’impôts. » Et d’estimer le temps venu d’un « pacte de confiance » posant « la responsabilité du gouvernement de bâtir un environnement économique, législatif et réglementaire qui soit favorable à nos entreprises par la baisse de nos charges et par l’allégement des contraintes administratives qui pèsent sur nos entreprises ». Un programme politique que François Hollande a mis en œuvre moins de six mois plus tard, avec le « pacte de responsabilité », tournant majeur du quinquennat, et les 41 milliards d’euros de cadeaux sans contrepartie à la clé. On pourrait multiplier les exemples, à travers la loi travail, la transcription de l’accord national interprofessionnel (ANI) sur l’emploi, l’extension du travail du dimanche…
Cette fois, Pierre Gattaz sent qu’il peut pousser son avantage. Baisse des impôts et des « charges », « simplification » sociale et réglementaire : un « livre bleu » devrait détailler le programme qu’il appelle de ses vœux pour le prochain quinquennat. Et il a l’embarras du choix du candidat pour le porter : nombreux sont ceux qui lui ont donné des gages. Macron, avec la loi qui porte son nom et dont la démarche est « tout à fait intéressante », juge Gattaz, Valls et son « j’aime l’entreprise », incroyable acte d’allégeance lancé en 2014 à l’université d’été du Medef. Et, enfin, Fillon qui a fait monter les enchères en vantant un programme « le plus libéral de tous » les candidats à la primaire de la droite au dernier raout d’été des patrons. De quoi ravir les oreilles de Gattaz : « C’est un programme pragmatique. Il met l’entreprise au cœur de son programme, ça nous va bien », jugeait-il le 28 novembre, tout en l’appelant hier à la prudence sur son intention de suppression d’un demi-million de fonctionnaires, objectif « louable » mais qui, « dit comme ça », pourrait « mettre le feu au pays »… Quant à Le Pen, elle peut jouer le rôle d’épouvantail qu’on attend d’elle. Même si dans son entourage on se verrait bien adoubé par le Medef : « Le FN est l’ami de toutes les entreprises, du petit commerçant, au géant français du CAC 40 », a expliqué hier son conseiller économique, l’eurodéputé Bernard Monot, rappelant que le FN est composé de « vrais libéraux, partisans sans ambiguïtés de l’économie de marché et de la libre entreprise ». On ne choisit pas toujours ses amis.

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